Emploi - Y a-t-il un exode des jeunes diplômés français à l'étranger ?
Les jeunes diplômés français partent-ils de plus en plus à l'étranger ? La question a été posée à l'occasion des auditions menées le 13 mai 2014 par la commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France de l'Assemblée nationale.
D'après les données du ministère des Affaires étrangères, plus de 1,6 million de personnes sont inscrites au registre national des Français établis hors de France. Mais cette inscription étant facultative, on estime à environ 2 millions le nombre de Français installés à l'étranger. Ce nombre est en croissance ces dernières années. Il était de 1 million seulement en 2001, soit une hausse située entre 3 et 4% au cours des dix dernières années. Mais d'après Etienne Wasmer, professeur d'économie à Sciences-Po Paris et codirecteur du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (Liepp), auditionné le 13 mai par la commission, le phénomène d'expatriation n'est pas si développé. "Il n'y a pas de fuite massive des personnes les plus qualifiées, a ainsi signalé Etienne Wasmer durant son audition. Tout au plus une légère tendance croissante."
Les taux d'émigration de différents pays (Allemagne, Royaume-Uni, Italie…), dont la France, montrent une tendance à l'expatriation, "mais la France et les Etats-Unis sont en-dessous des autres pays et le taux d'expatriation de la France est passé d'un peu plus de 1% dans les années 1980 à un peu plus de 2% aujourd'hui. La France n'a jamais été un pays d'émigration".
S'il n'y a pas de grande tendance à la hausse de l'émigration des Français les plus qualifiés, on note toutefois un changement de comportement des jeunes en la matière. D'après le baromètre de l'humeur des jeunes diplômés 2014 du cabinet Deloitte, réalisé chaque année, plus d'un quart des jeunes diplômés en recherche d'emploi sont séduits par l'expatriation. 27% des jeunes interrogés ont répondu qu'ils n'envisageaient leur avenir qu'à l'étranger, soit 14% de plus qu'un an auparavant. Et les durées de travail à l'étranger semblent de plus en plus longues. "Parmi ceux qui souhaitent partir, 45% envisagent une expatriation supérieure à six ans et 30% déclarent ne plus vouloir revenir en France", a souligné Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines au cabinet Deloitte devant les députés.
Les raisons principales qui expliquent ce changement de comportement sont nombreuses. "L'ampleur du chômage et notamment celui des jeunes, constitue l'une des explications les plus pausibles à cette accélération soudaine d'expatriation des jeunes qualifiés, explique la CCI Paris Ile-de-France, dans une étude publiée en mars 2014 sur le sujet. On peut y ajouter la chute du moral des Français et la morosité ambiante qui prévaut, en France, depuis l'éclatement de la crise de la dette souveraine européenne."
"Ils reviennent au moment où il faut financer l'éducation et la santé"
Autres explications : la mobilité des jeunes est fortement stimulée par les politiques nationales et européennes, à travers des programmes comme Erasmus ou le volontariat international en entreprise (VIE). "Ces diverses initiatives ont des effets très nets sur la mobilité des jeunes diplômés," assure la CCI Paris Ile-de-France.
Les attentes des employeurs sont aussi un facteur à prendre en compte. Dans de nombreuses filières, l'expérience internationale et la pratique des langues sont valorisées, ce qui incite les jeunes à partir à l'étranger pour enrichir leur parcours professionnel. D'après le baromètre du cabinet Deloitte, les principales motivations des jeunes diplômés qui partent à l'étranger sont les suivantes : travailler dans un environnement culturel différent, dans un milieu professionnel positif et apprendre ou progresser dans la maîtrise d'une langue étrangère. On y trouve aussi d'autres motivations, comme un meilleur salaire ou de nouvelles façons de travailler.
D'après ce baromètre, les régions du monde qui attirent le plus les jeunes diplômés qui envisagent leur avenir professionnel à l'étranger sont l'Amérique du Nord à 60% (Canada 37% et Etats-Unis 32%), l'Europe pour 54% (dont 26% pour le Royaume-Uni) et l'Océanie (19%) et particulièrement l'Australie (18%).
Mais si le phénomène s'accélère, certains paramètres peuvent laisser penser que ces jeunes pourraient revenir par la suite, en fonction de leur cycle de vie. "Ils partent travailler dans leurs premières années au moment où ils dépensent peu en santé et peu en éducation, et au moment où il faut financer l'éducation et la santé, ils reviennent, a précisé Etienne Wasmer, la question est de savoir quelle conclusion on peut en tirer : faut-il arrêter de financer l'éducation et la santé ou bien faut-il faire en sorte qu'on puisse à tout moment de la vie être suffisamment attractif ? C'est une vraie question."