Zéro artificialisation nette : les députés entament l'examen en séance de la proposition de loi sénatoriale

Avec retard, les députés ont commencé ce 22 juin au matin l’examen en séance publique de la proposition de loi sénatoriale visant à assouplir la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN). Ils ont jusqu’à demain soir pour s’accorder sur un texte fortement revu en commission, avec pour objectif une commission mixte paritaire conclusive d’ici la mi-juillet. L’introduction d’une "garantie rurale" et, plus encore, les modalités de décompte des "grands projets" concentreront les discussions. À l’approche des élections sénatoriales, le risque d’un rejet du texte paraît toutefois relativement circonscrit. Reste à en connaître le contenu exact.

C’est avec un jour de retard sur le calendrier que l'examen en séance publique de la proposition de loi "visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires" s’est ouvert ce 22 juin à l’Assemblée nationale. "L’objectif est de ne pas quitter l’Hémicycle sans accord", l’enjeu étant de parvenir "à une commission mixte paritaire (CMP) conclusive avant la mi-juillet", a d’emblée prévenu le ministre Christophe Béchu, ouvrant les débats sur le texte adopté à la mi-mars par les sénateurs en première lecture. Un calendrier serré, dicté par les élections sénatoriales de septembre. L’absence d’accord repousserait en effet "l’atterrissage d’un dispositif en octobre", a précisé le ministre à la presse. Or il y a urgence, le compteur de l’artificialisation tournant déjà à plein régime (voir notre article du 14 juin). Les députés n’auront que deux jours pour se prononcer sur les plus de 600 amendements déposés sur le texte, le vote solennel étant par ailleurs prévu mardi prochain.

Légiférer par décrets

Ces amendements portent sur un texte largement raboté. Pour tenir compte de ce "temps législatif très contraint", le gouvernement a en effet décidé de "diviser en deux parties" la version adoptée par le Sénat : "une qui va faire l’objet de décrets, l’autre qui va faire l’objet de discussions législatives" ces deux jours, expliquait mercredi le ministre à la presse. Lors de l’examen par les députés en commission (voir notre article du 19 juin), les articles ayant ainsi "vocation à être traités par décret" ont ainsi été supprimés. "Ce n’est pas un exercice de dessaisissement du Parlement, mais une forme de recherche d’efficacité", assure Christophe Béchu. En gage de sa bonne foi, le ministre argue que les projets de décret ont déjà été rendus publics (voir notre article du 15 juin). Mais il ajoute qu’ils ne seront pas publiés "si on n’arrive pas à une CMP qui permette d’aboutir à un texte global". 

Pas de remise en cause des objectifs et des temps de passage

Il ne fait guère de doutes que le texte devrait être adopté par l’Assemblée. "À défaut de pouvoir revenir sur la philosophie générale, […] nous préférons des avancées, même a minima, au statu quo", concède ainsi Vincent Rolland (LR). Pour preuve, le député Marc Le Fur (LR) a retiré en ouverture des débats son projet de rejet préalable du texte, expliquant que son objectif n’était "pas de rejeter le texte du Sénat", mais bien de dénoncer le principe même du ZAN. Un principe qu’il a qualifié tour à tour de "système de rationnement et de glaciation du territoire", introduisant "de façon hypocrite la décroissance", ou encore de "monstre bureaucratique", "ruralicide" et digne de "l’Absurdistan". Mais le député est conscient que le match ne sera pas rejoué, et le principe pas remis en cause (un amendement du groupe LFI propose toutefois de le renforcer, pour atteindre la neutralité foncière dès 2040). Christophe Béchu a d’ailleurs rappelé à la presse que pour le gouvernement, "la ligne rouge, c’est 2031, c’est 2050, c’est 125.000 hectares", soit "les objectifs et les temps de passage" arrêtés par la loi Climat (125.000 hectares d’artificialisation maximum jusqu’en 2031, et zéro artificialisation nette à compter de 2050). 

Le ZAN, bouc-émissaire ?

Un principe dont le ministre estime qu’il "a été unanimement salué quand il a été voté", et qu’il ne cesse de défendre depuis, notamment en relativisant sa portée. "La loi Climat n’a pas créé une rupture, mais amplifie une tendance." Elle "prolonge une baisse [de l’artificialisation] qui a déjà été entamée", a-t-il mis en exergue dans son allocation d’ouverture des débats. Ne faisons pas "porter sur le ZAN le poids de toutes les misères du monde", a-t-il encore plaidé, invitant les députés "à ne pas se tromper de constat", pour ne pas se tromper de combat. "La crise du logement existe partout en Europe, y compris là où il n’y a pas de ZAN", a-t-il pris en exemple. Et de dénoncer encore "le fait de laisser penser que le ZAN marque la fin de la maison individuelle. C’est une caricature". À l’appui, il a affirmé que "passer de 8 maisons à l’hectare [les opérations de moins de 8 logements à l’hectare sont d’après le ministère responsables de 51% de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers sur la dernière décennie] à 16 maisons à l’hectare, soit de 1.250m2 de terrain à 625m2, permettrait d’atteindre les deux tiers des efforts attendus pour l’habitat sur les 10 ans qui viennent".

Grands projets et garantie rurale

Reste à savoir quel sera le contenu du texte, et les "assouplissements" finalement apportés, ou non. De ces derniers dépendront le vote final de la plupart des groupes (de LFI au RN), seuls les groupes Renaissance et Horizons ayant d’emblée indiqué leur intention d’approuver le texte. Les débats se concentreront sans nul doute sur ses articles 4 et 7. Ils seront d’ailleurs examinés en priorité, à la demande du président de la commission des affaires économiques, Guillaume Kasbarian. À savoir la prise en compte des "projets structurants de demain" d’une part, et la "garantie rurale" de l’autre.

Pour les premiers, les discussions promettent d’être particulièrement dures. Le problème de la comptabilisation des "grands projets" fut d’emblée relevé, notamment par les régions particulièrement concernées, comme celle des Hauts-de-France. Elle restait fort nébuleuse (voir notre article du 1er mars). Son acuité s’est depuis renforcée avec les velléités de réindustrialisation portées notamment par le projet de loi Industrie verte (voir notre article du 16 mai), la position du ministre de l’Économie sur la (non) prise en compte de ces projets industriels dans les enveloppes ZAN (voir notre article du 1er juin) n'épousant pas celle défendue par son collègue de la transition écologique. Lors de l'examen du projet de loi en commission (voir notre article du 19 juin), les sénateurs sont, eux, allés dans le sens de Bruno Le Maire.

Pour la seconde, tous les groupes – à l’exception des écologistes – devraient au moins se retrouver sur le principe, voire les modalités (le groupe LFI s’étant prononcé en faveur d’une garantie en pourcentage – solution naguère proposée par Christophe Béchu et à laquelle il a finalement renoncé – plutôt qu’en hectare). Du groupe LR ("le maire ne doit pas être un exécutant du ZAN", tonne Marc Le Fur), aux groupes communiste (Sébastien Jumel plaidant pour "le droit des maires à demeurer souverains en matière d’aménagement", dénonçant des "communes malmenées par des décennies d’abandon en tous genres" et voyant dans la mise en place du ZAN "une usine à emmerdements") et RN (Christine Engrand dénonçant "un véritable projet d’affaiblissement de la cellule communale" et les modalités inéquitables du texte, alors que "28% des communes ne sont responsables que de 5% de la consommation des terres entre 2009 et 2021"), en passant encore par le groupe Liot.

Concilier Assemblée et Sénat

Surtout, restera alors à concilier les positions de l’Assemblée et du Sénat, ce qui risque d’être d’autant plus malaisé que la version de ce dernier aura été rabotée par la chambre basse. À l’approche des élections sénatoriales, on imagine toutefois mal les sénateurs renoncer par jusqu’au boutisme à un certain nombre "d’améliorations" souhaitées par les maires, prévues par le texte et qui semblent faire consensus. Ainsi de la prise en compte des opérations de renaturation conduites avant 2031, de l’introduction d’un sursis à statuer sur les demandes d’autorisation d’urbanisme, de la prise en compte du recul du trait de côte ou encore, last but not least, du passage d’un "rapport de compatibilité" à un "rapport de prise en compte des dispositions du Sraddet (ou du SAR) relatives à la lutte contre l’artificialisation dans les documents d’urbanisme. "C’est souhaité par l’Association des maires de France et Régions de France ne demande pas la prescriptivité, ce qui fait que c’est un peu complexe d’aller défendre une mesure quand vous n’avez pas d’amis ou d’alliés pour être capable de la déployer", convenait devant la presse Christophe Béchu.

 

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