Accélération des énergies renouvelables : une loi qui porte mal son nom, selon un premier bilan d'application

Onze mois après sa promulgation, la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables (Aper) bute sur de nombreux obstacles qui freinent son application, selon un rapport adopté par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale ce 13 février. Seules 31% des mesures réglementaires nécessaires à sa mise en œuvre ont été prises. Surtout, en l'absence d'une nouvelle loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, l'exercice de définition des zones d'accélération des énergies renouvelables par les collectivités est sérieusement compliqué.

Devant le bilan statistique de la mise en œuvre de la loi du 10 mars 2023 d'accélération de la production d'énergies renouvelables (Aper), Henri Alfandari (Horizons, Indre-et-Loire), l'un des quatre auteurs du rapport d'information adopté par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale ce 13 février a fait part de sa "déception" face à l'objectif d'accélération porté par l'intitulé du texte. "Ses 105 articles ne nécessitent pas tous des mesures d'application mais sur les 32 textes attendus, seuls une dizaine ont été pris à ce jour", a-t-il regretté. "Si cette loi devait être une loi d'accélération, celle-ci ne s'est pas traduite par une réactivité renforcée des ministères", a estimé Maxime Laisney (LFI, Seine-et-Marne), corapporteur. "Près de 70% des décrets n'ont toujours pas été pris sans compter que la plupart des rapports prévus par la loi n'ont pas été rendus et que les instances qui devaient être créées comme l'Observatoire des énergies renouvelables n'existent toujours pas", a-t-il poursuivi.

Zones d'accélération des énergies renouvelables : comment faire sans objectifs préalablement définis ? 

Au-delà du décompte des textes publiés, les rapporteurs, qui ont auditionné une trentaine d’acteurs et reçu une quinzaine de contributions écrites, ont choisi de centrer leurs travaux sur plusieurs sujets jugés "stratégiques". Le premier est celui de la planification des énergies renouvelables terrestres et tout particulièrement de la définition des zones d'accélération des énergies renouvelables (Zaer) par les élus locaux. L'État a mis à leur disposition les informations nécessaires sous la forme d'un portail cartographique réalisé par l'IGN et le Cerema mais "le travail des élus locaux reste laborieux", estime Henri Alfandari, qui pointe "un manque de coordination entre les différents échelons". "Certains élus disent ne pas se sentir suffisamment accompagnés dans les démarches effectuées ou à l'inverse, avoir le sentiment que les décisions étaient déjà prises pour eux", rapporte-t-il.

Les Zaer doivent ensuite être validées par les comités régionaux de l'énergie (CRE) sur la base des objectifs régionaux de déploiement des énergies renouvelables (EnR) qui découlent eux-mêmes de la future loi de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), toujours pas présentée. "Comment faire, alors que ces objectifs n'ont toujours été définis ?", interroge Henri Alfandari. "Nous ne disposons pas d'une clef permettant une juste répartition territoriale, pointe-t-il. Une telle incertitude est préjudiciable à l'organisation d'un travail serein sur les zones d'accélération et pourrait être source de contentieux". "On demande aux élus de définir dans la précipitation des zones d'accélération censées correspondre à des objectifs qui n'existent pas et sont en cours de réactualisation, surenchérit Maxime Laisney. Quand bien même ces zones auront été définies, elles devront être immédiatement revues quand la PPE sera adoptée", ce qui est tout simplement "kafkaïen", pour le député.

Dans l'attente d'une planification des ouvrages de raccordement

Autre sujet sur lequel les rapporteurs ont focalisé leur attention : l’adaptation du régime des raccordements électriques. "Le foisonnement des EnR comme la multiplication des points de consommation démultiplient les besoins de raccordement", constate le rapport. " Il importe donc de mettre rapidement en place une planification des ouvrages de raccordement à développer qui soit solide et assez rapidement adaptable, pour anticiper les besoins tout en évitant d’en faire trop pour limiter les actifs échoués, et d’actionner les leviers permettant de prévenir une dérive des délais de réalisation, voire de les réduire", ajoute-t-il. L'ordonnance réécrivant une partie de ces dispositifs, a été publiée à peine cinq mois après la promulgation de la loi mais "leur mise en œuvre nécessite souvent des mesures réglementaires complémentaires qui font encore, presque toutes, défaut à ce jour", relèvent-ils. Faute de ces textes devant faciliter le déploiement coordonné des réseaux électriques, "il se pourrait que les réseaux deviennent un obstacle à l’objectif d’accélération des énergies renouvelables", soulignent les députés.

Les rapporteurs se sont aussi intéressés à l'article 19 de la loi qui introduit, sous conditions, une reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur (Riipm) pour certains projets d'EnR dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’État. Le décret relatif aux conditions de reconnaissance de la Riipm a été publié le 28 décembre 2023. Conformément à la loi, il prévoit différents seuils d'application par types d'énergies mais pour Henri Alfandari, il est regrettable de ne pas avoir pu en faire "un outil d'incitation pour les porteurs de projets à aller s'installer dans les zones d'accélération, en conditionnant la présomption de Riipm à l'implantation dans de telles zones".

Agrivoltaïsme et photovoltaïque et zones agricoles : la vigilance est de mise

L'application des dispositions sur l'agrivoltaïsme et le photovoltaïque en zones agricoles, naturelles ou forestières ont aussi retenu l'attention des rapporteurs. Pour Éric Bothorel, député Renaissance des Côtes-d'Armor, le projet de décret mis en consultation fin 2023 a évolué mais il craint de le voir "s'éloigner de la volonté du législateur". Il pointe notamment le "risque que des terres à potentiel agricole soient identifiées comme pouvant accueillir des projets photovoltaïques au sol". Pour préserver les terres agricoles, il juge nécessaire que les chambres d'agriculture puissent "examiner au cas par cas les terres concernées et avoir le dernier mot sur l'identification des terrains ouverts aux implantations photovoltaïques en respectant des délais raisonnables".

Tout en reconnaissant "la volonté transpartisane de défendre la souveraineté alimentaire, de préserver l'agriculture et de freiner l'artificialisation des sols", Nicolas Meizonnet, député RN du Gard et corapporteur a fait part de ses craintes "que nous passions à côté de cet objet". "Le risque de voir se multiplier les projets alibi n'est pas définitivement écarté, l'installation de ces panneaux offrant une rente bien supérieure à ce que rapportent aujourd'hui les activités de culture ou d'élevage", a-t-il estimé.

"Face à la crise agricole, ne laissons pas croire qu'une partie de la solution résiderait dans la transformation de terres à vocation nourricière en terres de production d'énergie, a aussi mis en garde Maxime Laisney lors de la présentation du rapport. Sur ce point, le décret mis en consultation ne me semble pas équilibré, en permettant des taux de couverture bien trop élevés, de l'ordre de 40%". "Il faut éviter au maximum le changement d'affectation des sols qui reste la principale cause de perte de biodiversité, d'autant que le gisement photovoltaïque sur le bâti permettrait de couvrir nos besoins en énergie solaire, comme le rappelle l'Ademe", a-t-il également souligné.