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Handicap - Accessibilité : êtes-vous prêts à "enjamber" 2015 ?

La sénatrice Claire-Lise Campion, auteur du récent rapport "Réussir 2015" sur l'accessibilité, était l'invitée d'un déjeuner-débat organisé par l'association de journalistes Ajibat, pour débattre de la mise en oeuvre de la loi Handicap de 2005 avec une architecte "en colère", Emmanuelle Colboc, et un inspecteur de l'Igas au franc-parler, Patrick Gohet. Tous trois sont d'accord pour garder 2015 comme année d'entrée en vigueur de la loi sur l'accessibilité de 2005, tout en cherchant des compromis pour donner davantage de temps et de souplesse aux maîtres d'ouvrage de bonne volonté.

"Le rapport Campion suggère une stratégie qui permet d'enjamber 2015." L'expression de Patrick Gohet, inspecteur général des affaires sociales, convient tout à fait à la sénatrice Claire-Lise Campion, auteur du rapport "Réussir 2015" sur la mise en œuvre de l'obligation d'accessibilité des personnes handicapées", remis début mars à Marie-Arlette Carlotti (voir notre article ci-contre du 4 mars). Tous deux étaient réunis, avec l'architecte Emmanuelle Colboc, lors d'un déjeuner-débat organisé précisément sur ce thème, le 10 avril, par l'Ajibat (Association des journalistes de l'habitat et de la ville).
"Le rapport Campion a contribué à ce que tous les acteurs de l'accessibilité prennent conscience que 2015 devait rester une date symbolique à ne pas toucher mais que tout ne serait pas réalisé cette année-là", a également observé Patrick Gohet.

Enjamber 2015 avec les Ad'AP

Pour "enjamber 2015", Claire-Lise Campion a conçu, pour les ERP (établissements recevant du public), un nouvel outil : des agendas d'accessibilité programmée, dits "Ad'AP". Mesure phare de son rapport, ce document de programmation et de financement serait valable pour les maîtres d'ouvrage publics et privés, modulable selon l'importance de l'équipement (3 à 4 ans avec possibilité de reconduction de 2 ou 3 ans).
S'il peut "enjamber" la date symbolique de 2015, il ne pourrait en revanche pas "sauter par-dessus" la CCDSA (commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité), souligne l'inventeur de l'outil. Le tampon "CCDSA" sur un Ad'AP constituerait une "preuve" de la bonne volonté du maître d'ouvrage à appliquer la loi, mais à une échéance réaliste compte-tenu de ses contraintes notamment budgétaires. Reste que, Ad'AP ou pas, "à partir du 1er janvier 2015, chacun est soumis à la saisine du juge", rappelle la sénatrice. Et si un tel document peut appeler la clémence, il ne garantit pas la décision du juge.
"Il y a encore un ou deux ans, des associations brandissaient la menace du juge (pour faire pression sur l'accélération des opérations de mise en accessibilité)", se souvient Patrick Gohet qui, avant d'intégrer l'Igas, a été délégué interministériel aux personnes handicapées et auparavant, au début des années 2000, directeur général de l'Unapei (Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales). Aujourd'hui, les associations sont "plus réalistes" et donc "moins virulentes", constate-t-il, avant d'ajouter : "mais il faut dealer pour que tous les acteurs adhèrent à l'Ad'AP et éviter toute judiciarisation car si la jurisprudence fait école cela peut être très périlleux pour la loi de 2005 elle-même".

Les Ad'AP, c'est possible dès aujourd'hui

Nul besoin d'attendre le feu vert du Comité interministériel du handicap, prévu en juin 2013, pour élaborer son Ad'AP, "des agendas peuvent être soumis dès aujourd'hui à la CCDSA", invite Claire-Lise Campion, qui espère bien que son conseil général (où elle a encore un mandat, mais pas dans l'exécutif) donnera l'exemple…
La sénatrice de l'Essonne compte tout de même sur le Premier ministre pour donner aux Ad'AP "un portage et un accompagnement" au plus haut sommet de l'Etat. Une "impulsion nationale" nécessaire, qu'elle espère suivie d'une impulsion "territoriale", le tout accompagnée d'une campagne de sensibilisation et de communication auprès du grand public.
Car Claire-Lise Campion comme Patrick Gohet prennent très au sérieux la menace d'une opposition croissante entre "les blocs des valides et les blocs des invalides", selon l'expression de la parlementaire. Dans l'exercice de sa mission, elle a été confrontée à des élus locaux rapportant des propos de leurs concitoyens (quand ils ne les assumaient pas eux-mêmes) du type "pourquoi dépenser de l'argent pour une rampe à fauteuil roulant alors que notre village ne compte aucun handicapé moteur ?".
"Comme le suggère votre rapport, il faut une campagne publique nationale qui tienne compte de la capacité de réception du public par rapport à la notion de handicap", approuve Patrick Gohet. "On continue à considérer les personnes handicapées comme des gens à part", regrette-t-il, pour expliquer notamment la prolifération des normes "handicap" alors qu'il suffirait d'intégrer "les transformations conceptuelles nécessaires au mieux-vivre et au mieux-être pour tout le monde" à l'exemple de la Suède où, a-t-il pu observer, on ne se pose plus la question de la largeur des portes : elles sont toutes suffisamment larges pour laisser passer un fauteuil…

De l'accessibilité à l'adaptabilité

En France, on en est très loin, à écouter Emmanuelle Colboc, auteur d'un rapport sévère sur l'impact des règles d'accessibilité dans la construction de logements neufs. Cette "architecte, femme, mère, citoyenne", comme elle se décrit elle-même, est toujours "en colère" car "la règle m'est devenue de plus en plus insupportable". "On fait des logements mal fichus !", se plaint-elle, car, parallèlement aux contraintes handicap, les bailleurs sociaux comme les promoteurs privés exigent des logements de plus en plus petits. Résultat : dans un 3 pièces de 63 m2 (*) répondant aux normes handicapés, il reste moins de 20 m2 pour le séjour, il n'y a plus de surface de rangement (cellier, cave, grands placards…)… "et après on reproche aux gens d'entreposer des choses sur leur balcon !".
"La voie de l’adaptabilité nous paraît être la plus raisonnable sur les plans à la fois technique et économique", lit-on dans la conclusion de son rapport très illustré et très concret. "C’est celle qui offrira le plus grand panel de possibilités. Elle pourra en effet s’accommoder dans le temps aussi bien d’une population qui vieillit, que d’un habitant invalidé par un accident pour une durée plus ou moins longue, ou encore d’une structure familiale qui évolue. C’est bien l’ensemble de ces paramètres qui doit être pris en compte".
Pourquoi ne pas avoir suggéré cela lors de la préparation de la loi de 2005 ? "Vos organisations professionnelles ont été associées en amont, je me souviens qu'elles étaient présentes !", s'agace Patrick Godet, après avoir patiemment écouté l'architecte exposer ses griefs et les incohérences de la règle. Plus tard dans la discussion, il lui glissera : "je vous le dis : les associations sont très remontées contre les architectes…"
Au café, il était clair que la concertation entre tous les acteurs de l'accessibilité devait se poursuivre. Histoire d' "enjamber" collectivement tous les freins au mieux-être des personnes handicapées.

Valérie Liquet

(*) Les surfaces couramment demandées sont, selon Emmanuelle Colboc, pour un trois pièces : 63 m2 voire 60 m2 dans le public (contre 70 m2 il y a 30 ans) et 58 à 56 m2 dans le privé.
 

 

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