Aides fiscales au logement : la Cour des comptes revient à la charge

Dans un rapport rendu public ce 21 mars, la Cour des comptes porte une nouvelle fois un regard sévère sur les quelque 18 milliards d'euros de dépenses fiscales en faveur du logement, qu'il s'agisse d'investissement locatif ou d'accession à la propriété : dispositifs non évalués, dépenses non chiffrées, effets indésirables mal mesurés… et préconise donc un vaste effort de rationnalisation.

Dans un rapport rendu public le 21 mars et réalisé à la demande de la commission des finances de l'Assemblée - elle-même inquiète du coût de certains dispositifs (voir notre article ci-dessous du 24 juillet 2018) -, la Cour des comptes revient sur un de ses sujets favoris : la gestion des aides fiscales en faveur du logement, autrement dit les différents dispositifs qui ont tendance à se succéder et à s'accumuler depuis des années, sinon des décennies. Ils portent, pour une bonne part, sur le soutien à l'investissement locatif, mais concernent aussi d'autres aspects comme l'accession à la propriété : Robien, Robien recentré, Borloo neuf, Scellier, Scellier intermédiaire, Duflot, PTZ, Pinel, Denormandie...

Soixante-six aides fiscales pour 18 milliards d'euros

L'enjeu n'est pas mince, puisque les 66 principales dépenses fiscales en faveur du logement (crédits et réductions d'impôts, exonérations et abattements, taux réduits…) représentaient 18 milliards d'euros en 2018, soit près de 20% de l'ensemble des dépenses fiscales.

Sans surprise, la Cour des comptes renouvelle ses critiques, souvent sévères, sur ces dispositifs et appelle à "une profonde rationalisation des dépenses fiscales en faveur du logement". Outre qu'elles engendrent des "pertes de recettes significatives", ces dépenses répondent à une logique d'accumulation et les objectifs affichés manquent de lisibilité. Plus d'un tiers d'entre elles ont d'ailleurs été conçues avant 2000 et la plus ancienne remonte à... 1936 !

La Cour constate aussi que près d'un tiers des 18 milliards d'euros de dépenses fiscales (soit 5,6 milliards) émanent d'amendements parlementaires, qui ne bénéficient pas d'études d'impact préalables. Les résultats obtenus sont même parfois contraires aux objectifs généraux de la politique du logement. Ainsi, "les dépenses fiscales en faveur du logement profitent de manière croissante aux propriétaires bailleurs publics ou privés (+5% entre 2012 et 2018), alors même que celles au bénéfice des propriétaires occupants, notamment des plus modestes, diminuent (-29% sur la même période)".

Un chiffrage imprécis et un pilotage "perfectible"

La Cour des comptes relève d'ailleurs au passage que "le chiffrage des dépenses fiscales en faveur du logement doit progresser". La loi de finances sous-estime ainsi le volume réel de ces dépenses fiscales et l'écart ne cesse de s'accroître entre le prévisionnel et le réalisé. Le rapport observe même que "dix-sept dépenses fiscales n'ont pas été chiffrées dans la loi de finances pour 2019, six d'entre elles ne l'ayant jamais été antérieurement". Or ces dépenses non chiffrées représentent tout de même un total de 2,3 milliards d'euros en exécution. Même si des progrès ont été réalisés au cours des dernières années, la présentation des dépenses fiscales doit donc être sérieusement complétée.

Dans le même esprit, la Cour des comptes juge le pilotage des dépenses fiscales "perfectible", la DGALN (direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature) ne disposant aujourd'hui "d'aucun moyen en cours d'exercice pour modifier les modalités de leur mise en œuvre, ces mesures s'apparentant pour l'essentiel à des dépenses de guichet". La mise en place, en 2013, des conférences fiscales pourrait toutefois contribuer à une meilleure gouvernance de ces dépenses, même si "leur bilan reste limité" à ce jour.

Un impact réel qui reste à évaluer

La Cour des comptes plaide aussi fermement pour une amélioration de la mesure des effets de la dépense fiscale en matière de logement, tout en reconnaissant que cette mesure des impacts est particulièrement difficile en matière d'aides fiscales au logement. Cette amélioration est d'autant plus nécessaire que certains dispositifs "peuvent avoir des effets indésirables, dont la mesure est rarement effectuée".

La même difficulté existe pour le contrôle des contreparties de la dépense fiscale en faveur du logement. La Cour a ainsi pu constater "que la réalité de ces contreparties attachées à la dépense fiscale ne donne même pas lieu à de simples tests de cohérence informatisés". Or, depuis quelques années, le législateur a tendance à introduire des contreparties à respecter par les bénéficiaires d'aides fiscales au logement.

Malgré ces difficultés, le rapport estime que "l'évaluation des dépenses fiscales en faveur du logement demeure impérative". Elle a d'ailleurs formulé à plusieurs reprises des recommandations en ce sens au cours de ces dernières années. Mais "elle constate, une nouvelle fois, que des évaluations approfondies, rigoureuses et objectives des principales dépenses fiscales en faveur du logement font toujours défaut". Or, "seule une évaluation objective permettrait de mesurer l'efficience comparée de ces dispositifs au regard de solutions alternatives comme les subventions ciblées, la modulation de taux ou la sortie progressive et sécurisée des dispositifs d'aide à l'investissement locatif".

Pour un grand soir des aides fiscales au logement

La conclusion est que "la Cour appelle à un effort vigoureux de rationalisation de la gestion de ces dépenses fiscales en faveur du logement". A cette fin, le rapport formule sept recommandations. Il s'agit notamment de mieux utiliser la conférence fiscale de la mission "Cohésion des territoires" pour préparer les arbitrages en matière de dépenses fiscales en faveur du logement, sur la base d'une évaluation de leur efficience, mais aussi d'améliorer la présentation des documents budgétaires annexés au projet de loi de finances.

Plus délicat politiquement, il s'agit aussi de "programmer la suppression des dépenses fiscales en matière de logement dont l'efficacité et l'efficience n'ont pas été démontrées et, en l'absence d'évaluation, de proposer la suppression des mesures non chiffrées ou d'un montant non significatif". L'Etat devrait également renoncer aux mécanismes et aux dépenses fiscales en faveur du logement, dont l'administration n'est pas en mesure de contrôler effectivement les contreparties attendues des bénéficiaires.

Pour éclairer les décisions sur ces différents points, la Cour recommande de réaliser, sur la période de la loi de programmation des finances publiques, une évaluation des dépenses fiscales les plus significatives en faveur du logement. Dans le même esprit, elle préconise aussi de limiter des dépenses fiscales dans le temps et de soumettre leur renouvellement aux résultats d'une évaluation.