Amiante à l'école : l'intersyndicale de l'Éducation nationale lance un cri d'alerte
Six syndicats de l'Éducation nationale dressent un constat de carence de la politique de prévention en matière d'amiante. Ils en appellent à un sursaut sur la question de l'information et à un plan national d'investissements.

© Capture vidéo FSU-SNUipp
82% des bâtiments scolaires datent d'avant 1997 – date à laquelle l'amiante a été interdite dans les constructions – et 70% d'entre eux contiennent encore de l'amiante. C'est le constat alarmant dressé par l'intersyndicale de l'éducation (FSU, Unsa, CFDT, CGT éduc'action, Snalc et SUD éducation) lors d'une conférence de presse tenue jeudi 13 mars 2025.
Pourquoi alarmant ? D'abord parce que, comme le rappelle Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, "la dangerosité de l'amiante est connue et reconnue. Elle a été utilisée massivement pendant plus de cent trente ans, notamment dans la construction des établissements scolaires. On sait que l'amiante est un cancérigène sans seuil, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de niveau en dessous duquel il n'y aurait aucun risque. Dès lors qu'il y a de l'amiante, il y a un danger pour les élèves et pour nos collègues. C'est un poison lent qui peut tuer en silence".
Et aussi parce que, toujours selon Sophie Vénétitay, "une enquête du ministère de l'Éducation nationale de 2024 montre que seuls 50% des établissements possèdent un dossier technique amiante [DTA, qui doit être constitué par le propriétaire des bâtiments, ndlr] qui permet de savoir où on en est. Ce chiffre est catastrophique et révélateur de la carence de la politique de prévention." Autrement dit, pour la responsable syndicale, "il n'y a pas vraiment de politique de prévention dans l'Éducation nationale en matière d'amiante et encore moins de protection suffisante contre les risques".
"Comment les directeurs d'école peuvent-ils interpeller des maires ?"
Pourquoi une telle carence ? Les syndicats mettent en cause un circuit de l'information inopérant. Isabelle Vuillet, cosecrétaire générale de la CGT Éduc'action, explique : "Le premier problème est de faire remonter les informations. Pour cela, il faut que les chefs d'établissements et directeurs d'école obtiennent des collectivités le DTA. Or ils ne savent pas forcément par quel biais passer pour obtenir ce DTA, qui, de plus, n'est pas toujours à jour. Et les personnels ne sont pas forcément formés à la lecture de ce document très technique." La question de l'information serait presque facile à résoudre si elle ne tenait qu'a la formation des responsables d'établissements. Or elle est beaucoup plus vaste.
Ici, il faut se pencher sur le plan Amiante du ministère de l'Éducation nationale. Un premier niveau demande aux acteurs de terrain (directeurs d'école, assistants de prévention et inspecteurs de l'Éducation nationale-IEN) d'interpeller les collectivités locales afin de leur demander les informations obligatoires qu'elles doivent avoir en tant que propriétaire des locaux. Si le premier niveau n'obtient pas d'information, on passe au deuxième niveau, où il est cette fois demandé aux directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (Dasen) et aux inspecteurs d'académie d'interpeller les collectivités. Enfin, en cas de besoin, on en arrive à un troisième niveau, qui fait intervenir le recteur d'académie et le préfet. "Le problème, pointe Vincent Loustau, secrétaire fédéral du SGEN-CFDT, est que les niveaux 2 et 3 n'interviennent que si le niveau 1 n'a pas obtenu de réponse. Or, le niveau 1 n'est tout simplement pas opérationnel."
Selon le responsable syndical, dans le premier degré, les IEN, "chargés d'entretenir de bonnes relations avec les collectivités", se trouvent face à un sujet "qui les met en difficulté" et pour lequel "ils n'ont pas la posture politique et le poids pour obliger des maires ou les collectivités propriétaires à intervenir sur ses questions". Quant aux directeurs et directrices d'école, "un métier aujourd'hui en difficulté, en souffrance, comment peuvent-ils interpeller des maires ? s'interroge Vincent Loustau. Ils vont être seuls pour assumer ce qu'ils vont soulever en termes anxiogènes. Il n'y a aucune formation amiante aujourd'hui pour les directeurs et directrices d'école".
La situation est tout aussi inconfortable dans le secondaire où ce travail d'information est demandé à des assistants de prévention, chargés des missions santé et sécurité. "Ce sont souvent des conseillers pédagogiques EPS à qui on a ordonné cette mission sans leur laisser le choix", déplore Vincent Loustau. Résultat : 68% de ces assistants de prévention ne consacrent aucun temps à ces missions ou moins de 20% de leur temps, la norme recommandée par le ministère de l'Éducation nationale. Difficulté supplémentaire pour faire face à mission "très lourde, technique, réglementaire" : le taux de rotation des assistants de prévention est de 25% chaque année. Résultat : si, il y a deux ans, plus de 60% des collèges avaient désigné un assistant, on est aujourd'hui à moins de 30%.
Quand la collectivité ne fait pas les travaux préconisés
Il n'est guère étonnant dans ces conditions de constater que l'accès à l'information est la première difficulté relevée par Émilie Declercq, de Sud Éducation, en matière d'amiante. "Seul un quart des établissements ont aujourd'hui une information", constate-t-elle. Elle dénonce même que plusieurs collectivités n'aient pas communiqué leur DTA aux syndicats malgré des décisions de la Cada (Commission d'accès aux documents administratifs) qui a donné raison à ces derniers.
La difficulté suivante, lorsqu'on se rend compte qu'il n'y a une présence d'amiante dans une école, c'est quand rien n'est fait. Et Émilie Declercq de citer plusieurs exemples : "Dans deux collèges de la Sarthe, des rapports de 2017 indiquent la présence d'amiante et demandent des mesures correctives de niveau 2 – le plus haut niveau de dégradation. Mais rien n'a été fait depuis huit ans. Dans un lycée de La Roche-sur-Yon, la collectivité [le conseil régional des Pays de la Loire, ndlr] a dit qu'elle ne ferait pas les travaux préconisés dans le dossier." Enfin, la représentante de Sud Éducation fustige "les alertes lancées par les personnels et ignorées par l'Éducation nationale."
Pour enfin avancer sur ce dossier de santé publique qui traîne depuis trente ans, les six syndicats avancent leurs revendications. Parmi elles : l'application de la réglementation, la prise en compte de l'amiante comme risque professionnel, la présence dans chaque site d'un DTA à jour, la mise à disposition des documents prévus par la loi aux usagers, personnels et syndicats, la constitution d'une base de données consultable par tous. Mais aussi le repérage systématique avant travaux, y compris pour les travaux de maintenance, la mise en sécurité des élèves et des personnels dans des locaux provisoires de qualité à l'écart des travaux en cas de travaux, la formation en urgence des agents de maintenance et d'entretien ou encore le suivi médical pour l'ensemble des élèves et des personnels exposés.
"Si les collectivités n'ont pas les moyens, l'État devra le faire"
Mais surtout, l'intersyndicale demande "un plan de désamiantage de tous les matériaux et produits contenant de l'amiante dans tous les établissements scolaires". Seulement, pour faire face à un tel plan, les acteurs publics devront surmonter un mur d'investissements. Un mur dont le coût est encore inconnu mais s'annonce colossal. "On a estimé qu'il fallait au moins 4 milliards d'euros par an pendant dix ans pour la rénovation énergétique, qui est aussi un moyen de travailler le bâti scolaire et donc de désamianter, rappelle Sophie Vénétitay. C'est un chiffre très partiel qui permet de donner un ordre de grandeur."
Qui pourra mettre la main à la poche ? Pour Ghislaine David, cosecrétaire générale du SNUipp-FSU, la participation des collectivités est déjà sujette à caution : "Certaines mairies préfèrent fermer les écoles plutôt que faire des travaux car elles n'ont pas les moyens de les financer." Tandis qu'Émilie Declercq anticipe : "Si les collectivités ne veulent pas ou n'ont pas les moyens de prendre des mesures, l'Éducation nationale devrait pouvoir le faire."
L'État au secours des collectivités dans le dossier de l'amiante ? Pour Géraldine Alberti-Baudart, secrétaire nationale d'Unsa-éducation, "la problématique de l'amiante est celle de la décentralisation et des compétences de l'État. La dispersion des responsabilités est un véritable souci pour les usagers et les agents de l'État." On l'aura compris, quels que soient les financeurs d'un plan national en faveur de la lutte contre l'amiante à l'école, les syndicats en appellent à une "impulsion politique" qui, selon eux, "n'existe pas aujourd'hui". Et ce n'est pas la récente disparition du groupe d'étude Amiante de l'Assemblée nationale qui les rassurera.
› Lancement des Assises de la santé scolaireÉlisabeth Borne, ministre de l'Éducation nationale, a ouvert jeudi 13 mars 2025 une série de concertations préparatoires aux Assises de la santé scolaire qui se tiendront à Paris le 14 mai 2025. Cet événement vise à rassembler la communauté éducative autour de la question de la santé et du bien-être des élèves. Pendant deux mois, les organisations syndicales seront reçues à plusieurs reprises, annonce le ministère dans un communiqué. Ces réunions permettront "de cerner au mieux leurs perceptions et leurs attentes, et de les associer aux propositions qui seront élaborées". Parmi les enjeux : l'attractivité des métiers de la santé scolaire et leurs missions ou encore la santé mentale, grande cause nationale 2025. À l'issue des deux mois de concertation, des mesures seront annoncées pour engager une transformation de la santé scolaire, indique encore le ministère. |