Développement des territoires - Ascension sociale : de grandes disparités entre les territoires
Faisant écho au travail mené aux Etats-Unis en 2014 par Raj Chetty*, France Stratégie s'est intéressé aux chances d'ascension sociale des enfants d'ouvriers et d'employés dans une note présentée le 6 novembre 2015. La conclusion est simple : "Il y a de la mobilité sociale en France, mais elle est inégalement répartie sur le territoire", a avancé Jean Pisani-Ferry, le commissaire général, lors d'une conférence de presse.
Au niveau national, entre les générations des baby-boomers de 1950-1964 et celles de 1965-1979, le taux de mobilité ascendante est passé de 25% à 33%. Tous les départements de naissance ont connu une augmentation, à l'exception de l'Hérault où la mobilité ascendante a stagné, mais il y a de grandes disparités régionales. Les individus d'origine populaire, soit les enfants d'ouvriers et d'employés, voient ainsi leurs chances d'ascension sociale varier du simple au double, de 25% à 50%, selon leur département de naissance. "Les chances d'ascension sociale selon le lieu où vous êtes né ou celui où vous avez grandi ne sont pas les mêmes", a souligné Jean Pisani-Ferry.
Au rang des régions qui offrent le plus de mobilité sociale : l'Ile-de-France, l'Aquitaine, la Bretagne, Midi-Pyrénées et Rhône-Alpes. La région Ile-de-France est la championne en la matière : 40% des jeunes actifs issus des classes populaires et originaires de cette région occupent des positions professionnelles moyennes ou supérieures. Le taux d'ascension sociale atteint 44,1% dans les Hauts-de-Seine, 42,6% dans les Yvelines, et jusqu'à 47,2% à Paris. Et, contrairement aux idées reçues, la Seine-Saint-Denis obtient un taux de 40,2%. L'Ile-de-France est aussi la région qui contribue le plus à l'ensemble de la mobilité sociale ascendante en France : près de 20% des "promus" y sont nés.
A l'inverse, dans trois régions, Picardie, Poitou-Charentes et Nord-Pas-de-Calais, l'ascenseur social fonctionne mal. Un peu plus d'un quart seulement des enfants d'ouvriers et d'employés ont connu une mobilité ascendante dans les générations les plus récentes. Le taux d'ascension sociale est ainsi à 25,9% dans l'Aisne, 25,5% en Charentes et 24,7% dans la Creuse.
Développer l'offre de logement social dans les zones dynamiques
D'après France Stratégie, l'environnement économique a un effet positif mais limité sur l'ascension sociale. De même, la structure socio-démographique des territoires (taille des fratries, nombre de familles monoparentales notamment) joue peu sur ces résultats. Le seul paramètre qui semble jouer un rôle déterminant est le niveau d'éducation et plus particulièrement l'obtention d'un diplôme d'enseignement supérieur. "Les régions à forte mobilité sociale ascendante sont celles où les taux de diplômés du supérieur, en général et chez les classes populaires en particulier, sont les plus élevés", précise la note signée par Clément Dherbécourt.
Pour rééquilibrer l'ensemble, France Stratégie avance plusieurs recommandations, tirant plus sur la corde de la mobilité géographique que sur celle de l'aménagement du territoire. Le commissariat propose ainsi, en premier lieu, de favoriser l'installation dans les régions dynamiques. "La forte immobilité géographique des enfants d'origine populaire contribue à renforcer l'immobilité sociale, surtout dans les zones à faibles opportunités, insiste le chercheur, la mobilité vers les zones à fort développement, à commencer par l'Ile-de-France, augmenterait certainement les opportunités des individus nés dans les autres régions." France Stratégie propose de mettre en place des incitations à la mobilité géographique pour les individus d'origine populaire ou pour leurs parents mais aussi de développer en priorité l'offre de logement social dans les zones dynamiques pour y favoriser l'installation de familles à faibles revenus.
Fusionner les académies des treize grandes régions
Autres préconisations : augmenter le taux d'accès au supérieur par le bas, avec une meilleure inclusion des enfants des classes défavorisées. D'après la note, l'option retenue en France depuis plusieurs décennies, à savoir la massification homogène de l'enseignement supérieur sur le plan territorial, a permis d'augmenter les chances de mobilité ascendante mais n'a pas permis le rattrapage, d'une génération à l'autre, entre régions défavorisées et régions favorisées. Pour éviter de reproduire le même schéma, France Stratégie estime qu'il faut augmenter les taux moyens de réussite scolaire des individus d'origine populaire en ciblant en priorité les territoires à faible taux de diplômés. Dans le même esprit, le commissariat propose aussi de favoriser les zones où la réussite scolaire des enfants des classes populaires est faible dans la dépense par élève dans le primaire et le secondaire.
Enfin, France Stratégie propose de développer la coopération entre académies, allant jusqu'à préconiser de rapprocher, voire de fusionner les académies au sein des treize nouvelles grandes régions pour améliorer l'orientation des élèves "par une meilleure coordination des acteurs locaux et par une répartition spatiale plus juste des moyens". Il s'agirait aussi de mettre en place un système de quotas ou de places réservées pour les individus d'origine défavorisée. Dans ce cadre, France Stratégie pointe aussi du doigt les barrières à l'entrée du supérieur que constitue la régulation mise en place par les académies, via le logiciel "Admission Post-Bac" notamment. "Ces barrières à l'entrée du supérieur ne sont pas favorables à la réduction des inégalités entre territoires, précise ainsi la note, elles pourraient être remplacées par de véritables outils d'orientation et d'accompagnement des étudiants." Dans le domaine de l'orientation, Jean Pisani-Ferry a reconnu qu'il y avait un "problème massif d'accès à l'information".
Emilie Zapalski
* "Is the United States a Land of Opportunity ? Recent Trends in Intergenerational Mobility" (Janvier 2014)