Attractivité résidentielle : la fin d'un modèle ?

Le modèle d'attractivité résidentielle qui a longtemps prévalu atteint aujourd'hui ses limites face aux multiples transitions en cours (écologiques, énergétiques, tourisme durable, coopération interterritoriale). C'est l'un des constats des écoutes territoriales 2023 organisées par l'Unadel et dont la synthèse a été présentée le 10 novembre lors de la Journée des territoires.

"La virulence des transitions serait peut-être en train de rebattre les cartes de grandes recettes territoriales que l'on pensait hégémoniques." Fruit des écoutes territoriales, menées depuis 2014 par l'Union nationale des acteurs et des structures du développement local (Unadel), le rapport "Habiter, travailler et agir ensemble au temps des transitions", présenté le 10 novembre 2023, constate des changements importants dans la façon dont les territoires imaginent leur transformation pour faire face aux transitions actuelles, que ce soit en matière d'énergie, d'écologie, de tourisme durable ou encore de coopération interterritoriale.

En 2023, l'Unadel a choisi d'aborder ces thèmes en interrogeant quatre territoires volontaires*. 

Premier constat : l'attractivité résidentielle n'est plus la formule magique. Cette notion se caractérise par le cadre de vie offert par ces territoires (beauté et préservation des paysages, espaces naturels), la qualité des relations humaines (convivialité, tranquillité…) et les possibilités d'émancipation qu'ils proposent (terrain pour reconstruire "une autre vie"). Des caractéristiques qui constituaient jusqu'à présent autant de motifs d'attrait. Mais "les territoires écoutés sentent que c'est la fin d'un modèle", a expliqué Clémence Dupuis, architecte, enseignante et chercheuse au sein de la Chaire Territorialisation**, auteure du rapport, lors de la Journée des territoires organisée le 10 novembre par l'Unadel, "il y a un paradoxe à ce sujet, d'un côté les territoires sont fiers de s'afficher comme attractifs sur le plan résidentiel, de l'autre, ils décrivent les limites de ce modèle".

Les tensions entre nouveaux et anciens habitants

Le regain d'attractivité de certains territoires observé depuis la crise sanitaire se heurte à des difficultés. Tout d'abord l'accès à un logement décent devenu de plus en plus compliqué pour nombre de ménages. Dans le PETR Sud Lozère, les résidents ont du mal à trouver un logement décent à l'année, du fait de la multiplication des résidences secondaires et des locations saisonnières via AirBnB. Mais c'est plus globalement la crise du logement qui se fait sentir. "On retrouve ce problème d'accès au logement dans tous les territoires, même dans le rural", a détaillé Clémence Dupuis. Valenciennes (Nord), rencontre un problème d'obsolescence ou de faiblesse de l'offre de logements.

La question des mobilités est aussi prégnante. Si l'espace est vécu positivement pour la qualité de vie, son corollaire, la forte dépendance à la voiture, l'est moins, surtout quand l'offre de transport alternative est peu développée. 

Enfin, le partage des ressources matérielles (eau, foncier, construction…) devient difficile. "Les territoires parlent de crises, à venir ou entamées", détaille le rapport. Les tensions sur l'accès à l'eau sont notamment citées par trois territoires sur quatre. Le pays de Fayence (Var) a par exemple vécu deux sécheresses récentes et depuis le territoire entier s'inquiète de sa viabilité même à long terme.

Tout ceci peut générer des tensions entre nouveaux et anciens habitants avec des migrations résidentielles en augmentation (voir notre article du 23 juin 2023).

"Les habitants se plaignent d'une atteinte à la qualité de leur lien social avec l'arrivée de nouveaux habitants, a détaillé Clémence Dupuis, cela produit des modes d'habiter à plusieurs vitesses". Et comme l'indique le rapport, certains territoires commencent à envisager d'accueillir moins pour accueillir mieux. "Les politiques d'attractivité, visant à attirer essentiellement des populations aisées, semblent avoir des coûts écologiques et sociaux qui font réfléchir les populations déjà installées", indique ainsi le document.

Une transformation des territoires jugée inéluctable, qui fait peur ou pousse à agir

Les écoutes territoriales montrent aussi que les habitants de ces territoires ne chercheraient plus exclusivement du soleil et du calme mais aussi des lieux d'émancipation individuelle et collective. En gros, il s'agirait de passer d'un modèle de "territoires-jardins" vers des "territoires-potagers" à cultiver durablement avec des habitants qui ne souhaitent plus être seulement consommateurs de leur cadre de vie, mais également acteurs, capables de s'assurer une habitabilité durable.

Le rapport montre aussi que tous sont préoccupés par les transitions auxquelles ils ont à faire face : transition énergétique, tourisme durable, transition écologique, coopération interterritoriale… Pour eux, leur transformation est "inéluctable, partout, passée ou à venir, dans tous les domaines", suscitant la peur et/ou jouant le rôle de moteur. Face à ces enjeux, "les territoires bougent ou sont prêts à bouger, signale ainsi le document, ils disent tous savoir qu'ils doivent se transformer pour être plus résilients à plus ou moins long terme, chacun adoptant des scénarii territorialisés".

Mais des limites persistent quant à leur transformation. "Le premier frein est d'ordre financier, a indiqué Clémence Dupuis, il y a des politiques volontaires mais les transitions représentent un coût important pour les territoires, il y a aussi des freins technocratiques, et une territorialisation difficile des politiques nationales." Ces politiques sont le plus souvent descendantes, avec la difficulté aussi de travailler entre territoires "mariés de force", des territoires à plusieurs vitesses, des populations diversifiées… Exemple avec le territoire Puisaye-Forterre, dans lequel on regrette "la grande époque des pays" où les découpages administratifs étaient plus représentatifs et efficients quand ils étaient plus petits, calibrés sur des bassins de vie.

"Les modes d'aménagement sont en crise"

Romain Lajarge, professeur à l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Grenoble (Ensag), responsable de la Chaire Territorialisation, va plus loin, estimant que les modes d'aménagement sont en crise. "Il faut inventer de nouvelles solutions, a-t-il expliqué en conclusion de la présentation de la synthèse des écoutes territoriales, France ruralités par exemple est vide, il faut arriver à le remplir. On n'a jamais autant baissé par rapport à l'argent donné au développement local, d'une manière assez subtile". Mais pour Claude Grivel, président de l'Unadel, ce programme comme les deux qui lui ont précédé 'Action cœur de ville et Petites villes de demain' a l'avantage de réinjecter de l'ingénierie dans les territoires. "Il faut de la matière grise dans les territoires", signale-t-il à Localtis.

Le rapport constate enfin des volontés d'agir divergentes "N'y aurait-il pas intérêt à s'appuyer sur des projets rassembleurs latents mais (trop) peu considérés", interroge l'auteur qui conclut à la nécessité de ne pas confondre urgence et précipitation. Il s'agirait ainsi de ralentir pour mieux agir à l'échelle de chaque territoire, "car nous avons vu qu'à tous les niveaux, il restait des limites à dépasser, et que les territoires sont largement capables de les dépasser".

 

* Les quatre territoires écoutés sont : le pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) Sud Lozère (36 communes rassemblées en 2 intercommunalités, 12.000 habitants, 8 habitants au km2), Valenciennes métropole (35 communes rassemblées depuis 2000 au sein de l'intercommunalité, 192.000 habitants, 751 hab/km2), la Communauté de communes de Puisaye Forterre (57 communes rassemblées depuis 2017 au sein de l'intercommunalité, 35.000 habitants, 20 hab/km2) et la communauté de commune Pays de Fayence (9 communes rassemblées depuis 2006 au sein de l'intercommunalité, 29.000 habitants, 72,5 hab/km2).

** La Chaire Territorialisation est portée par Romain Lajarge au sein de l'unité de recherche AE&CC (Architecture, Environnement & Cultures Constructives) à l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Grenoble (ENSAG).

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis