Le covid n'a pas créé d'exode urbain, il a accentué des tendances existantes

L'exode urbain annoncé après la crise sanitaire n'a pas eu lieu, le covid ayant davantage accentué des tendances déjà à l'œuvre, d'après l'étude "Exode urbain : un mythe, des réalités" réalisée par la Plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) et présentée le 17 février 2023. Parmi elles : la poursuite de la périurbanisation qui s'étend toujours plus loin, de la littoralisation mais aussi de la "renaissance rurale" observée depuis des décennies, mais "géographiquement sélective". Pour accompagner cette renaissance, Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, met la dernière touche à son programme-action qui devrait s'appeler "France Ruralités" et serait présenté "dans les prochaines semaines". La ministre souhaite mettre sur pied l'équivalent d'un "Giec" pour la ruralité.

 

L'exode urbain que certains prévoyaient à la suite de la crise covid n'a pas eu lieu. C'est ce qu'indique l'étude "Exode urbain : un mythe, des réalités", conduite depuis 2021 par la Plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), en partenariat avec le Réseau rural français et le Plan urbanisme construction architecture, qui a été présentée le 17 février 2023. Les chercheurs, qui ont notamment travaillé à partir des contrats de réexpédition souscrits auprès de La Poste, confirment ce qu'ils avaient déjà observé lors de leur étude intermédiaire publiée un an plus tôt (voir notre article du 21 février 2022) : plus qu'un mouvement massif qui ressemblerait en mode inversé à l'exode rural vécu par la France fin XIXe siècle-début XXe siècle, il s'agirait davantage de "petits flux" et surtout d'une accélération de tendances préexistantes.

"L'idée d’un désamour global des villes, sous-entendu par l’adjectif 'urbain' accolé à 'exode', est tout à fait exagérée", estiment les chercheurs. Tout d'abord il est un peu hâtif de parler de "démétropolisation". Les métropoles représentent toujours 43% des déménagements, malgré une baisse de 0,93 point. Et l'essentiel des départs se fait entre villes de même taille. Mais la pandémie a "globalement accéléré les départs en provenance des grands centres urbains, en particulier des plus grandes métropoles, vers d'autres territoires, au premier rang desquels des villes (un peu) plus petites et des couronnes périurbaines", souligne l'étude. Une "poursuite de la périurbanisation qui s'étend toujours plus loin des centres urbains", a commenté Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité.

Les zones littorales attirent encore plus

Le phénomène "doit nous interroger", estime la ministre, pour faire en sorte de préserver les "aménités" de ces territoires (les bienfaits apportés au reste du pays, notamment sur le plan environnemental) et en même temps respecter les engagements en matière environnementale, comme le zéro artificialisation nette (ZAN) issu de la loi Climat et Résilience. "Ce sera difficile de contraindre nos concitoyens à réduire leur jardin ou à trouver d'autres solutions pour leur maison, il y a un vrai enjeu à penser ces territoires", a souligné l'ancienne maire de Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne). 

L'étude montre le desserrement des centres urbains denses, un des moteurs de la périurbanisation. Il s'agit d'une répartition moins concentrée du peuplement, résultant de départs des zones les plus denses ou concentrées en population vers leur environnement proche. Tous les espaces périurbains ou presque enregistrent ainsi un "effet covid" positif sur leur solde migratoire. "Le périurbain est le grand gagnant de la crise covid", a souligné la ministre. Le phénomène est particulièrement marqué à Paris : dans les communes de la couronne de l'aire de Paris, le solde migratoire augmente de 1,9.

Autre conséquence de la crise sanitaire : l'attractivité des zones littorales se confirme, dans une sorte de "ruée vers l'Ouest qui doit nous inquiéter, a signalé la ministre, car il faut trouver un modèle d'attractivité durable". Les façades littorales confirment ainsi leur attractivité depuis le début de la pandémie, à la fois dans les aspirations des Français et dans les mobilités.

Une "renaissance rurale" qui peut accentuer les différences territoriales

Enfin, dernière tendance : la poursuite de la renaissance rurale observée depuis les années 1970. Les chercheurs invitent cependant à la "prudence" car cette renaissance se montre "géographiquement sélective". A l'échelle nationale, les communes rurales représentent 18% des installations, soit une progression de 0,1 point sur l'année qui a suivi le confinement de mars 2020. Sans qu'il y ait de grand bouleversement, les chercheurs constatent des "petits flux", en particulier dans le cœur du Massif central, au nord de la région Nouvelle-Aquitaine, ou dans le piémont des Pyrénées. "La géographie souligne qu'elle concerne en particulier des territoires proches des centres urbains, ce sont les 'campagnes urbaines', mais aussi des territoires qui bénéficient d'aménités spécifiques, l'accessibilité, un climat, une dynamique économique locale favorable, par exemple", indique l'étude. Et cela peut amener à accentuer les différences territoriales entre des territoires attractifs, parfois en surchauffe, et des territoires qui le sont moins. "Plusieurs villages voient un vrai regain de population mais il ne faut pas qu'il y ait un déséquilibre entre une ruralité attractive et une autre", a signalé Dominique Faure.

Un programme-action "France Ruralités"

La ministre a confirmé qu'elle présenterait "dans les prochaines semaines" la suite de l'Agenda rural lancé en 2019, qu'elle avait annoncée fin septembre, lors du congrès des maires ruraux à Eymet. Ce "programme-action" resserré par rapport aux 183 mesures de l'Agenda rural devrait s'intituler "France Ruralités", a-t-elle précisé. Porté par l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), ce programme d'action accompagnera ces territoires ruraux qui retrouvent une nouvelle attractivité. La ministre assure aussi y voir plus clair concernant les zones de revitalisation rurale (ZRR) qui devaient s'éteindre à la fin de l'année, après une prolongation destinée à se donner le temps de la réflexion. C'est le préfet François Philizot qui était en charge de la concertation sur le sujet avec les associations d'élus, les parlementaires et les acteurs associatifs et économiques. "Cela ressemblera à l'ancien dispositif avec une maille assez large, c'est-à-dire au moins l'actuel zonage, et non limitée, comme aujourd'hui, aux intercommunalités, pour pouvoir aller au chevet de quelques communes, a détaillé Dominique Faure, mais nous agirons à condition que les collectivités lèvent la main ; il faut que les projets émanent des élus locaux."

Depuis plusieurs mois, la ministre défend l'idée d'une adaptation du ZAN aux territoires ruraux. "Ils sont nombreux à ne pas avoir beaucoup artificialisé leurs sols", a-t-elle argué. Des travaux dans ce sens sont en cours avec Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Les parlementaires se sont récemment emparés de la question de l'accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre du ZAN (voir notre article du 15 février 2023).

L'équivalent d'un "Giec" pour la ruralité

Un conseil scientifique sera aussi créé pour continuer à objectiver les phénomènes à l'œuvre. "A la manière du Giec [groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, NDLR], les chercheurs travailleront sur l'état des ruralités", a précisé la ministre.

Dix-sept villages, sélectionnés le 17 février dans le cadre du programme Popsu Territoires, et dont les noms seront communiqués en mars, seront aussi accompagnés par ces chercheurs, dans des études financées par l'Etat pour mieux avancer sur leurs problématiques, notamment en ce qui concerne les mobilités rurales et la transition énergétique. Enfin, Dominique Faure a annoncé la création d'un palmarès des étudiants et chercheurs de la ruralité dans les territoires, avec des premiers lauréats à l'automne 2023.

 

Départs vers les campagnes : cinq profils loin des catégories médiatisées

Bien loin de ce que l'on avait imaginé… Les profils des ménages qui ont quitté les centres urbains depuis le début de la pandémie sont très variés. L'étude "Exode urbain : un mythe, des réalités", conduite depuis 2021 par la Plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) et présentée le 17 février 2023, en identifie cinq principaux, dont un, peu médiatisé, regroupant les retraités et pré-retraités. Il s'agit de ceux qui reviennent au pays après leur vie professionnelle effectuée en ville, ou de personnes extérieures au territoire, en quête d'un cadre de vie de qualité et qui connaissent le lieu pour y avoir passé des vacances. Deuxième profil : les ménages de professions intermédiaires et classes populaires stables qui allongent leurs "navettes" quotidiennes grâce au télétravail. Ils s'installent en général dans les couronnes périurbaines éloignées (lointaines périphéries de Perpignan ou de Carcassonne par exemple). Les cadres supérieurs et professionnels, la catégorie la plus médiatisée, "est loin de concerner la majorité des cas dans les territoires d'étude", expliquent les chercheurs qui notent en revanche une recrudescence de familles de diplômés alliant télétravail et reconversion professionnelle (autoentreprise de services, artisanat, maraîchage…). Enfin, dernière catégorie, qui est elle aussi passée sous les radars : les "marginaux" et ménages en situation de précarité plus ou moins choisie, qui cherchent un mode de vie alternatif. Ils s'installent dans des territoires où il est possible de vivre de peu grâce à la solidarité locale, la débrouille ou l'autosuffisance.