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Budget 2021-2027 : ce que contient la proposition de la Commission

La Commission a présenté, le 2 mai, une proposition de budget pour la période 2021-2027 en légère augmentation malgré le départ du Royaume-Uni, avec le financement de nouvelles priorités (sécurité, défense, migrations...). Pour y parvenir, elle propose de réduire de 5 et 7% les budgets consacrés à la PAC et à la cohésion (leur part dans le total du budget tombera de 72 à 58%) et de créer trois nouvelles ressources propres, dont une taxe sur les plastiques non recyclés. Bruxelles veut aussi instaurer un moyen de pression sur les gouvernements en conditionnant ses versements au "respect de l'Etat de droit". Les coupes dans la PAC et la cohésion ont suscité de vives réactions en France, dont celle du ministre de l'Agriculture et celle des Régions de France.

Redonner de l’allant à une Europe en panne d’inspiration tout en comblant le trou budgétaire laissé par le départ du Royaume-Uni : c’est la quadrature du cercle que la Commission européenne s’échine à résoudre depuis un an et demi. Pas sûr qu’elle y soit parvenue si l’on en juge par les vives réactions que sa proposition de budget pour la période 2021-2027, présentée le 2 mai, a suscitées.
Ce sont les baisses des aides de la PAC et de la politique de cohésion qui ont cristallisé le plus de reproches, annonçant l’âpreté des négociations à venir entre Etats membres et au sein du Parlement…
La Commission était face à un casse-tête : financer plus de priorités (défense, sécurité, migrations…), mais à 27 au lieu de 28 et surtout avec moins d’argent, puisque le Royaume-Uni était contributeur net. Son départ engendre un trou d’une dizaine de milliards d’euros par an. Le matin même, les services de la Commission s’activaient pour apporter la dernière touche à son canevas. Ce qui a donné lieu à quelques imprécisions. La Commission annonçait dans un communiqué des coupes de 5% dans le budget de la PAC et celui de la politique de cohésion. En réalité cette dernière se verra amputer de 7% de ses crédits. Ce qui augure des rééquilibrages importants dont les régions françaises devraient, entre autres, faire les frais.
Malgré les baisses de budget de ces deux politiques phares de l’Union européenne, le budget présenté par la Commission est en hausse : 1.135 milliards d’euros (en euros constants) ou 1.279 en euros courants (compte tenu de l’inflation sur la période), il représente 1,114% du produit national brut européen. Pour rappel, le budget actuel (2014-2020) se chiffre à 1.087 milliards. Dans sa position arrêtée le 14 mars, le Parlement européen proposait d’aller jusqu’à 1,3% du PNB. "Nous voulions présenter une proposition qui soit prise au sérieux", a déclaré le président de la Commission Jean-Claude Juncker devant le Parlement européen mercredi, défendant un "examen rigoureux" de toutes les politiques. Sans quoi, en répondant aux desiderata des uns et des autres, en finançant de nouvelles politiques, "nous serions arrivés à une proposition proche de 2% du produit intérieur brut". "Cette proposition aurait été immédiatement rejetée par tous les Etats membres et par une bonne partie d'entre vous", a argué Jean-Claude Juncker.

La PAC et la Cohésion tomberont à 58% du budget

Dans le détail, la Commission entend "mettre l’accent sur les domaines dans lesquels le budget de l’UE peut être le plus efficace". Ce qui se traduit par un net rééquilibrage. La PAC et la politique régionale qui, ensemble, représentaient 72% du budget européen, tomberont à 58% du budget ! La PAC recevra ainsi 365 milliards d’euros sur la période, avec une baisse moyenne de 3,9% des paiements directs. Un chiffre valable pour la France, précise-t-on au sein de la Commission. Dans une logique de "convergence externe", les Pays baltes, eux, verront leurs crédits augmenter de 13%. Pour la Pologne, la Roumanie ou la Slovaquie, les enveloppes seront stables… La Commission souhaite aussi privilégier une "convergence interne" : alors qu’aujourd’hui 20% des exploitations perçoivent 80% des aides, il conviendrait de trouver un meilleur équilibre avec un système de plafond des aides directes et des paiements dégressifs selon la taille de l’exploitation. Enfin, la Commission prévoit la création d’une "réserve de crise". Elle souhaite aussi faciliter les passerelles entre le premier pilier de la PAC (les paiements directs) et le second pilier, qui recouvre les aides au développement rural (Feader). Pour ce dernier, la part de cofinancement national pourra être augmentée.
"Une telle baisse, drastique, massive et aveugle, est simplement inenvisageable", a aussitôt réagi le ministre français de l’Agriculture Stéphane Travert (voir notre article du 2 mai), relayé par la FNSEA appelant le président de la République "au sursaut". Selon le premier syndicat agricole, "la PAC connaît un réel coup de rabot de 10% en tenant compte de l’inflation".
La politique de cohésion, elle, recevra 374 milliards d’euros, dont 273 milliards d’euros de Feder et 101 du FSE. Le principal critère d’allocation des crédits demeure le revenu par habitant, mais viendront s’ajouter le niveau de chômage, le respect des engagements climatiques et l’accueil et l’intégration des migrants… Les crédits de la politique de cohésion poursuivront plusieurs objectifs : "maîtriser la mondialisation",  "s’adapter aux changements industriels, l’innovation, la numérisation, gérer la migration sur le long terme", lutter contre le changement climatique… La Commission entend les utiliser de plus en plus comme un levier de réformes structurelles. Le lien avec le "Semestre européen" sera renforcé. La Commission propose ainsi la création d’un "nouveau programme d’appui aux réformes" doté de 25 milliards d’euros (s’ajoutant aux crédits de la cohésion) qui permettra d’apporter un soutien supplémentaire financier et technique aux Etats qui entreprennent des réformes dans le domaine de l’emploi, de la croissance, des investissements…
"La proposition de couper de 10% voire plus les fonds de la cohésion risque de mettre à mal la seule politique qui apporte une véritable plus-value européenne pour les régions et les villes", a déclaré le président du Comité des régions Karl-Heinz Lambertz.

Doublement d'Erasmus

En revanche, d’autres postes budgétaires ont le vent en poupe. Les crédits de la recherche et de l’innovation vont augmenter de 50%, à 100 milliards d’euros. Le numérique sera à l’honneur. Un centre européen pour l’innovation sera créé pour financer les innovations de ruptures, comme le réclamait le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire. Les crédits accordés au programme Erasmus vont doubler, passant de 14 à 30 milliards d’euros, avec l’idée de l’élargir de plus en plus aux jeunes non étudiants (les étudiants représentent aujourd’hui 60% des bénéficiaires du programme). A travers ce geste, la Commission veut renforcer le sentiment d’appartenance de la jeunesse à l’Union européenne.
En matière d’investissements, le plan Juncker sera pérennisé avec la création d’un fonds d’investissements de 15 milliards d’euros baptisé InvestEU qui, espère la Commission, pourrait entraîner 650 milliards d’euros d’investissements supplémentaires. Il s’agira de rassembler en un fonds unique tous les instruments financiers existants. La programme spatial européen verra ses crédits augmenter de 44%.

Nouvelles priorités

Viennent ensuite les nouvelles priorités : sécurité, défense et migrations. Elles donnent le ton à ce budget sans doute plus politique que le précédent, "un budget moderne pour une Union qui protège, qui donne les moyens d’agir et qui défend", souligne la Commission.
Les crédits consacrés à la sécurité sont en augmentation de 40%. Au programme : renforcement du financement d’Europol, lutte contre la cybercriminalité, approfondissement de la coopération policière…
La Commission va aussi financer des postes qui ne figuraient pas jusqu’ici dans son budget. C’est le cas de la défense qui bénéficiera d’une vingtaine de milliards d’euros : 13 milliards viendront soutenir des projets dans le domaine de la défense auxquels s’ajoute une enveloppe de 6,5 milliards d’euros en soutien aux infrastructures de transport stratégiques. Reste à connaître l’autonomie de cette Europe de la Défense vis-à-vis de l’Otan… Alors que pour les Etats-Unis, il est clair que "la défense commune est une mission pour l’Otan et pour l’Otan seule", comme l’avait fait valoir le secrétaire d’Etat américain à la défense Jim Mattis, le 15 février dernier.
La gestion des migrations recevra 10 milliards d’euros. La Commission envisage de faire passer les effectifs de l’agence Frontex de 1.500 gardes-côtes aujourd’hui à 10.000 d’ici 2027. Mais elle souhaite aussi travailler "en amont, sur les causes profondes" des migrations. Le Fonds européen de développement jusqu’ici intergouvernemental sera intégré dans le budget.

Trois nouvelles ressources

Pour boucler son budget - outre les économies envisagées pour la PAC et la cohésion -, la Commission avait deux possibilités : augmenter la contribution des Etats qui représente aujourd’hui 70% du budget européen (option défendue notamment par la France) ou créer de nouvelles ressources propres. C’est ce choix qu’elle a fait en proposant trois nouvelles sources de revenus représentant environ 12% du budget : l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (Accis), une taxe sur les déchets plastiques non recyclés et une part des recettes de quotas d’émission de carbone. Ensemble, ces ressources devraient rapporter quelque 22 milliards d’euros par an. La Commission entend aussi diminuer de 20 à 10% les frais de perceptions des Etats sur les droits de douanes… Elle veut par ailleurs supprimer les rabais dont bénéficiaient certains Etats.
Enfin, la Commission entend donner un signal fort aux gouvernements en proposant de conditionner l’octroi de l’ensemble des fonds au respect de "l’Etat de droit". Même si Jean-Claude Juncker s’en est défendu hier, il est clair que la Commission a dans son viseur les orientations politiques de pays comme la Hongrie, la Pologne, mais aussi Malte, la Bulgarie ou la Roumanie traversés par des affaires de corruptions…

Calendrier serré

Le calendrier est à présent serré. A partir de fin mai jusqu’à mi-juin, la Commission détaillera ses propositions législatives sectorielles pour chacun des programmes de dépenses. Un premier conseil européen se tiendra les 28 et 29 juin pour en débattre. La Commission espère voir les négociations aboutir avant les élections européennes de mai 2019. Au risque sinon, de repartir à zéro et de mettre à mal les porteurs de projets…
Pour les Régions de France, cette proposition de budget comporte plusieurs risques, alors que "le projet européen n’a jamais autant été contesté". "Or, l’Europe a plus que jamais besoin de cohésion économique, sociale et territoriale et de défendre sa souveraineté alimentaire au niveau mondial", a insisté l’association dans un communiqué, jeudi soir. "Cette proposition de budget de la Commission européenne est une première étape décevante pour répondre à la grave crise de confiance entre les citoyens européens, les agriculteurs et l’Union européenne", poursuit-elle.