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Environnement - Changement climatique : quand la mer monte

Depuis deux décennies, le rythme d'élévation du niveau marin s'est accéléré, confirme un rapport présenté ce 25 mars à Ségolène Royal par un groupe d'experts coordonné par le climatologue Jean Jouzel. Les côtes françaises n'échappent pas à ce phénomène planétaire aux impacts multiples : risque d'aggravation des submersions marines, recul du trait de côte du fait de l'érosion, intrusions salines dans les aquifères côtiers. En matière d'urbanisme comme de conception et d'adaptation des ouvrages côtiers et portuaires, des adaptations sont d'ores et déjà nécessaires.

L'élévation du niveau de la mer le long des côtes de l'Hexagone, causée par le réchauffement climatique, a été plus rapide depuis une vingtaine d'années, selon un rapport scientifique remis à la ministre de l'Ecologie ce 25 mars. Coordonné par le climatologue Jean Jouzel, le rapport intitulé "Changement climatique et niveau de la mer : de la planète aux côtes françaises" "prend en compte les derniers résultats du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et les dernières études d'impact", ont expliqué ses auteurs. Il vise à faire un point des connaissances sur l'évolution passée et future du niveau de la mer et sur les principaux impacts physiques de la montée du niveau marin. Mais il ne traite pas la question des impacts socio-économiques ni celle de la gestion des risques associés.
Au cours des 2-3 derniers millénaires, le niveau marin s'est élevé au rythme moyen de 0,5 mm/an, rappelle-t-il. Mais depuis le siècle dernier, le rythme ne cesse de s'accélérer. En moyenne, sur la planète, "ces deux dernières décennies, la mer est montée plus vite que pendant le reste du XXe siècle : on est passé de 1,7 mm/an à 3,2 mm/an", a souligné l'une des auteurs du rapport, la scientifique Anny Cazenave, spécialiste des océans. "La mer ne monte pas de manière uniforme sur le globe" mais "les côtes de l'Hexagone se situent dans la moyenne mondiale", a-t-elle précisé. Le Pacifique ouest par exemple a enregistré une hausse beaucoup plus forte que la moyenne mondiale. "A l'échelle du globe, le niveau de la mer moyen a gagné un peu moins de 20 centimètres" au XXe siècle, a rappelé Anny Cazenave "mais la hausse a été de 7 centimètres ces 20 dernières années". En Polynésie, la mer est montée de 21 centimètres en seulement cinquante ans (1950-2010) et de 12 cm en Nouvelle-Calédonie sur la même période.

Pas de reflux pour les décennies à venir

Pour les décennies à venir "la hausse va se poursuivre", ont rappelé les scientifiques en citant les prévisions du Giec entre les périodes 1986-2005 et 2081-2100 : 26 à 55 centimètres en moyenne dans le scénario le plus optimiste, mais très peu probable, et entre 45 et 82 cm dans le scénario le plus pessimiste, si rien de plus n'est fait pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Mais "même si on stoppe les émissions de gaz à effet de serre aujourd'hui, du fait de leur durée de vie dans l'atmosphère, l'effet de serre va perdurer", expliquent les experts.
La hausse sera plus marquée en Arctique, dans les tropiques et sur la côte Est des Etats-Unis, a précisé Anny Cazenave. "Pour l'Europe occidentale, on peut s'attendre à une hausse de l'ordre de la moyenne globale, mais un peu plus marquée en mer du Nord", a ajouté la scientifique. Reprenant les prévisions du Giec, la chercheuse prévient : pour la France, "cela veut dire au mieux 40 centimètres de plus en 2100 par rapport à aujourd'hui et environ 75 cm dans le scénario où rien de plus n'est fait" pour limiter l'effet de serre.
Au-delà du XXIe siècle, les effets de la dilatation thermique de l'océan et de la fonte des calottes polaires sur la hausse du niveau de la mer se poursuivront, estiment les scientifiques. La montée du niveau marin présentera d'importantes disparités régionales, encore difficiles à évaluer selon eux, car elles dépendent de l'évolution locale de plusieurs paramètres : température de l'océan, salinité, courants marins, pression de surface, etc.

Impacts physiques multiples

Concernant les impacts physiques prévisibles, "une aggravation des submersions marines est attendue en raison de l'augmentation du niveau de la mer, et cela indépendamment de l'évolution des tempêtes", a expliqué le 25 mars Gonéri Le Cozannet, expert au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). "Les submersions seront plus intenses et plus fréquentes", a prévenu le géographe.
En matière d'érosion, "une part significative des côtes, notamment des plages sableuses, est en recul dans le monde", notent encore les auteurs du rapport. Mais s'ils sont "potentiellement importants", les effets de l'élévation du niveau de la mer sur le trait de côte sont aujourd'hui difficiles à quantifier, soulignent les scientifiques. L'augmentation du niveau marin pourrait également accentuer l'extension des intrusions salines dans les eaux souterraines côtières. Mais de nombreuses incertitudes demeurent en la matière, du fait de la complexité des processus en jeu et de la spécificité locale de ces nappes littorales, préviennent toutefois les scientifiques.
Les risques liés à l'élévation du niveau de la mer doivent en tout cas être d'ores et déjà pris en compte par les décideurs, en matière d'urbanisme comme de conception et d'adaptation des ouvrages côtiers et portuaires. "Pour un niveau marin relevé d'un mètre, il faut rehausser de 1,5 à 2 mètres des ouvrages comme les digues", a précisé par exemple Gonéri Le Cozannet. La Basse-Normandie, avec ses 470 km de côtes, est pleinement concernée par la montée des eaux, en plus d'être confrontée à une érosion naturelle de son littoral et en particulier de ses falaises. "Pendant des années, le conseil régional a financé des ouvrages de protection qui coûtent très cher", raconte Muriel Jozeau-Marigné, conseillère régionale chargée de la politique du littoral. "Depuis 2007, nous avons basculé dans une autre logique: le littoral est considéré comme un milieu dynamique, le trait de côte (limite terre-mer) est mouvant et il y a des zones où il faut laisser faire la mer", dit-elle. Cela peut vouloir dire abandonner à terme des habitations, des bâtiments, des campings, etc. Quant aux futurs aménagements, "la solution, c'est ne rien faire en bord de littoral". Des options difficiles tant pour les élus que pour les citoyens. "Ce n'est pas toujours évident", confie la conseillère régionale mais, assure-t-elle, face à la prise de conscience du risque, "les mentalités changent".