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Environnement - L'Aquitaine cherche à anticiper le réchauffement climatique à l'horizon 2100

La région Aquitaine vient de se doter d'un "scénario réchauffement" très détaillé pour aider les décideurs à anticiper le changement climatique. Sous la houlette d'Hervé Le Treut, directeur de l'Institut Pierre Simon Laplace (fédération de laboratoires publics) et membre du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (Giec), une équipe de 15 scientifiques aquitains, a concocté sur deux ans un rapport inédit, s'appuyant sur plus de 160 contributions, élaborant les scénarios de la région pour le littoral, l'agriculture, la montagne, l'eau, la population. En 365 pages, l'étude, qui a été présentée le 4 septembre à Bordeaux, s'attache à identifier "les vulnérabilités du système aquitain au changement climatique, pour tenter de les anticiper", a rappelé Hervé Le Treut, qui estime que ce travail est aujourd'hui sans équivalent à l'échelle d'une région.
L'Aquitaine, sous forte emprise de l'anticyclone des Açores, est "une des régions de France où le réchauffement risque d'être le plus fort", note le rapport. "Les conditions climatiques dans nos villes seront proches de celles des villes espagnoles", a précisé Hervé Le Treut.
Le comité en charge de ce rapport, transdisciplinaire, est voué à devenir une cellule de suivi, sorte de "Giec pour l'Aquitaine": un "instrument de veille permanente", pour éclairer acteurs économiques ou politiques publiques, voire "remettre en cause" certaines d'entre elles, a indiqué Alain Rousset, président de la région qui a commandité l'étude.
Des parasites forestiers à l'érosion du littoral, de la présence accrue de méduses ou du moustique tigre au développement d'allergies, le rapport applique le savoir climatologique actuel aux spécificités de l'Aquitaine, à ses 270 km de côtes, à ses montagnes et sa forêt  (40% de son territoire).
Les résultats sont parfois inattendus. En matière de fruits et légumes par exemple, l'avancement des dates de récoltes pourrait "améliorer la compétitivité vis-à-vis d'autres régions françaises et européennes". L'impact est plus ambivalent concernant d'autres productions. Il en est ainsi pour le vin. Le rapport prédit un "déroulement de la maturation dans des conditions de plus en plus chaudes", et pour le Merlot par exemple "une avancée de la date des vendanges d'environ 40 jours pour la fin de siècle". Autant depuis 20 ans, le réchauffement a été plutôt bénéfique pour la qualité des Bordeaux, le risque à terme est celui de vins déséquilibrés, moins structurés, trop alcoolisés, ou enclins à un vieillissement prématuré.
Sur le plan économique - le tourisme en particulier -, le rapport note que "la saison enneigée pourrait passer de trois à deux mois dans les Pyrénées" occidentales, menaçant la viabilité de plusieurs domaines skiables. Sur le littoral ou les estuaires, 400 bâtiments ou ouvrages sont potentiellement menacés par l'érosion. En mer, le rapport prédit une présence accrue, déjà relevée depuis 30-40 ans, d'espèces à affinité tropicale, comme la daurade coryphène ou la carangue coubali, mais à l'inverse moins d'espèces boréales comme le maquereau, qui migreraient vers le nord, d'où une évolution des possibilités de pêche. On devrait aussi voir davantage de dauphins.
Le rapport comprend des recommandations "génériques": la création d'un "comité scientifique permanent" de suivi, la création d'"indices de vulnérabilité" spécifiques à l'Aquitaine (suivi de telle espèce, ou de tel phénomène), et un appel aux politiques à "sans doute repenser certains modes de gouvernance". Certains acteurs privés anticipent déjà ces évolutions, ont relevé les experts : ainsi le vignoble, où en prévision de l'impact du réchauffement, "on étudie le fait de valoriser des terroirs plus frais, plus tardifs, ou tester de nouveaux cépages pour garder la qualité 'type bordelais' sur les décennies à venir", a souligné Nathalie Ollat, de l'Institut des sciences de la vigne et du vin.