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Conférence nationale du handicap : zéro enfant sans scolarisation... et pas d'AAH dans le RUA

La Conférence nationale du handicap qui s'est déroulée ce 11 février à l'Elysée s'est concrétisée par douze engagements. Emmanuel Macron a choisi de mettre en avant certaines priorités : la scolarisation (avec entre autre le recrutement de 11.500 AESH supplémentaires d'ici 2022), la simplification et l'accès aux droits (numéro unique, "communautés d'accompagnement" réunissant tous les acteurs locaux du handicap, homogénéisation entre départements et raccourcissement des délais de traitement des demandes...), création de places en établissement. Autre engagement présidentiel : "On ne diluera pas l'AAH dans le RUA." 

Le choix du 11 févier pour la cinquième édition de la Conférence nationale du handicap (CNH), tenue à l'Élysée sous la présidence d'Emmanuel Macron, ne doit évidemment rien au hasard. La date marque en effet le quinzième anniversaire de la loi du 11 février 2005 "pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées", adoptée sous la présidence de Jacques Chirac et principal texte sur le sujet avec la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées (lorsque Jacques Chirac était Premier ministre). La présence de sa fille Claude dans la salle entendait d'ailleurs marquer cette continuité dans les politiques publiques sur le handicap.

Un bilan à mi-parcours

Selon une tradition désormais bien établie, la Conférence nationale du handicap se déroule en deux temps : une présentation, par les ministres concernés, des mesures engagées et des questions-réponses avec les représentants du secteur, suivies de l'intervention du président de la République. Les ministres présents – quasiment la moitié du gouvernement – ont ainsi exposé brièvement réalisations et chantiers en cours, mis en oeuvre autour de quatre grandes priorités : donner le pouvoir d'agir aux personnes handicapées, adapter la société pour qu'elle devienne enfin accueillante et accessible, rattraper le retard de la France dans le champ de l'autisme au sein des troubles du neuro-développement et, enfin, reconnaître l'engagement des proches aidants.

Ces priorités se sont traduites par un ensemble de mesures sur les deux dernières années : revalorisation de l'AAH à hauteur de 90 euros par mois, attribution à vie des droits et prestations lorsque le handicap n'est pas susceptible d'évolution, droit de vote accordé aux personnes majeures sous tutelle, service public de l'école inclusive, bonus inclusion pour favoriser l'accueil en crèche et augmentation du complément mode de garde, mise en place d'une stratégie nationale pour l'autisme, dispositif "Ensemble, osons l'emploi", mesures en faveur des proches aidants (indemnisation du congé, développement des solutions de répit)...

Sans oublier la consultation citoyenne organisée sur la plateforme Make.org au printemps et à l'automne derniers (275.000 participants, 7.200 propositions et 950.000 votes) et la toute récente refonte du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), qui doivent symboliser l'association des personnes handicapées aux politiques qui les concernent.

"Un projet profondément républicain de fraternité"

Au-delà de ces bilans d'étape, le plus attendu lors des conférences nationales du handicap reste toutefois les annonces du chef de l'État. Plutôt que d'égrener les douze engagements présentés dans le dossier de la CNH, Emmanuel Macron a choisi de mettre en avant certaines priorités. Mais il a d'abord tenu a rappeler que le thème du handicap avait été sa "carte blanche" (sujet choisi par le candidat) lors du débat de l'entre-deux tours de la présidentielle. Pour lui en effet, "nous ne parlons pas d'une politique particulière, mais d'un projet profondément républicain de fraternité". Il y voit une "philosophie nouvelle", où les personnes handicapées ne sont plus une extériorité à prendre en compte, mais des citoyens à part entière. L'action en ce domaine ne saurait donc se réduire à celle de l'État, mais "doit sonner comme une mobilisation de toute la société", associant notamment les collectivités territoriales, les élus et les entreprises.

Face à certaines inquiétudes qui se manifestent sur la montée en charge du thème de la société inclusive – qui, en privilégiant la pleine intégration, pourrait laisser de côté ceux que leur handicap empêche d'y prétendre –, le chef de l'État s'est voulu rassurant : la société inclusive ne signifie en aucun cas que la société abandonne les plus fragiles, qui doivent continuer de bénéficier de prises en charge et de structures spécifiques.

Zéro enfant sans solution de scolarisation à la prochaine rentrée

Emmanuel Macron s'est donc concentré sur "trois objectifs essentiels". Tout d'abord, aucun enfant sans solution de scolarisation à la rentrée prochaine. Ensuite, d'ici à 2021, aucune personne handicapée ou famille laissée seule dans sa recherche de solution. Enfin, permettre à chacun de vivre une vie libre et digne.

Sur le premier objectif, il s'agit de remédier à la situation qui a vu environ 8.000 enfants sans solution de scolarisation à la dernière rentrée, malgré les progrès accomplis depuis la loi de 2005. Un numéro d'appel dédié – le 0800.730.123 – devrait faciliter la recherche de solutions. Emmanuel Macron a, par ailleurs, rappelé que le nombre d'AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) est passé de 55.000 en 2017 à 66.000 aujourd'hui. Mais trop de contrats sont à temps partiel. Outre l'objectif de zéro enfant sans solution de scolarisation à la prochaine rentrée, il confirme donc le recrutement de 11.500 AESH supplémentaires à l'horizon 2022. Ces derniers devront également être mieux formés et sécurisés dans leur emploi, en évitant les temps partiels.

Pour autant, la solution n'est pas forcément celle d'un accompagnant pour un enfant. Des rapprochements avec les structures médicosociales doivent en effet permettre d'organiser des réponses souples et sur mesure. Dans le même esprit, un module sur le handicap sera systématisé dans la formation initiale des enseignants du primaire et du secondaire dès la prochaine rentrée.

Le forfait diagnostic précoce étendu à tous les "dys"

Sur ce premier objectif, le chef de l'État a également apporté d'autres précisions. Il a ainsi rappelé la mise en place du "forfait diagnostic précoce de l'autisme", financé par l'assurance maladie. Le diagnostic précoce étant un élément décisif dans la mise en place d'une prise en charge, il s'agit maintenant de "faire vivre ce dispositif" et d'accélérer sa montée en puissance. Dès 2021, l'accès à ce forfait sera donc étendu jusqu'à l'âge de douze ans, au lieu de six actuellement. Et, surtout, ce forfait sera étendu à l'ensemble des troubles en "dys" (dysphasie, dyspraxie, dyslexie...), dont la détection précoce conditionne très souvent la réussite scolaire.

Sur l'amendement Creton – qui fait l'objet de rumeurs récurrentes de suppression –, le chef de l'État a été catégorique : il n'est pas question de toucher au dispositif, qui garantit la continuité des prises en charge. Enfin, l'école inclusive ne doit pas s'arrêter au lycée, mais s'étendre à l'enseignement supérieur. Certes, le nombre d'étudiants handicapés est passé de 24.000 en 2017 à 35.000 en 2019, mais "on peut faire beaucoup plus". En attendant d'éventuelles mesures, une "grande réflexion nationale" doit être prochainement lancée sur le sujet.

Sus à "l'effet Louise" : un "accord de confiance" et des MDPH bousculées

Le second objectif tient dans la formule "aucune personne handicapée laissée seule dans sa recherche de solution". Il s'agit de contrer ce qu'il est désormais convenu d'appeler "l'effet Louise", pour reprendre le titre du livre témoignage de Caroline Boudet, cité par Emmanuel Macron et qui décrit comment les lourdeurs administratives compliquent la vie des parents d'enfants handicapés, malgré toute la bonne volonté des uns et des autres.

Pour cela, Emmanuel Macron a fixé quelques principes. Tout d'abord la simplicité d'accès : on doit savoir à qui s'adresser, d'où la mise en place, dès le 1er janvier prochain, d'un numéro unique – le 360 – qui servira de porte d'entrée pour toute l'information et l'orientation. Ce numéro sera complété par 400 "communautés d'accompagnement" réunissant tous les acteurs locaux du handicap. Elles s'appuieront sur plusieurs expérimentations et bonnes pratiques en cours. Pour le chef de l'État, les "Maisons France Services" pourraient d'ailleurs servir de lieu d'accueil physique. La suggestion surprend quelque peu, dans la mesure où il s'agit là, en principe, du rôle des MDPH (maisons départementales des personnes handicapées).

Un second principe est celui de "l'égalité républicaine", autrement dit l'accès aux mêmes droits et aux mêmes services quel que le lieu du territoire. Il s'agit très clairement de diminuer les écarts entre départements, avec en particulier l'objectif d'une garantie de délai instaurée par "l'accord de confiance" signé à l'occasion de la Conférence par l'État, l'Assemblée des départements de France (ADF) et les principales associations. Celui-ci – sur lequel Localtis reviendra très prochainement - prévoit notamment un objectif ambitieux de ramener le délai maximal de traitement des demandes de quatre mois à trois mois... et de le tenir.

L'AAH hors du RUA, mais pas le handicap

Lors de son intervention, Emmanuel Macron n'a pas esquivé le sujet sur lequel il était très attendu : la possible intégration de l'AAH au sein du futur revenu universel d'activité (RUA), qui a poussé les associations de personnes handicapés à quitter récemment la concertation sur ce nouveau dispositif. Là aussi, il a été très clair : "On ne diluera pas l'AAH dans le RUA" et cette prestation symbole, créée par la loi de 1975, "demeurera". Mais le chef de l'État a toutefois réaffirmé que les personnes handicapées sont aussi concernées par d'autres aspects du RUA. Il souhaite, par conséquent, que les associations reviennent dans la concertation. Le dossier semble donc loin d'être clos.

Enfin, il a également été question des 500 personnes handicapées, dont beaucoup d'enfants, qui, faute de solutions, quittent la France chaque année, en particulier pour la Belgique. Même si cet exode forcé ralentit, il est encore loin d'avoir disparu, alors que cette situation n'est "pas décente pour un pays comme la nôtre". Emmanuel Macron a donc fixé pour objectif de supprimer tous les départs contraints d'ici à la fin de 2021. Pour cela, 1.000 nouvelles places seront créées, en plus des 2.500 déjà prévues et des 2.500 places dites "passerelles".

Un droit à "vivre une vie libre et digne"... et la réforme des retraites

Troisième et dernier grand objectif : permettre à chacun de vivre une vie libre et digne. Sur ce point, le chef de l'État a été moins précis, évoquant simplement "l'ouverture de nouveaux droits". La seule mesure annoncée concerne le droit d'être parent avec, dès le 1er janvier 2021, l'intégration dans la PCH (prestation de compensation du handicap) des aides techniques et humaines nécessaires aux parents handicapés, tout en précisant qu'il appartiendra à l'État, et non aux départements, de financer cet accompagnement à la parentalité.

Pour le reste, Emmanuel Macron a cité principalement des actions déjà réalisées ou engagées, comme l'extension du droit de vote et l'amélioration de l'accessibilité des contenus d'information des citoyens, pour laquelle il se félicite au passage d'avoir refusé la dématérialisation des documents électoraux malgré les possibles économies. Il a également appelé tous les candidats aux municipales à s'engager pour des "communes inclusives", avec un calendrier précis. Un label de qualité d'usage pourrait venir valoriser les bonnes pratiques en la matière.

Enfin le chef de l'État a conclu sur deux sujets de plus long terme. Il a d'abord voulu rassurer sur la réforme des retraites, à travers trois confirmations : les travailleurs handicapés conserveront la possibilité de partir plus tôt sans décote, les congés de proches aidants ouvriront des droits à la retraite et les droits à la retraite des parents ayant élevé un enfant handicapé seront majorés.

Il a ensuite souhaité l'engagement d'une "réflexion profonde" sur le vieillissement des personnes handicapées et les modes de prise en charge, afin d'anticiper cette évolution "en la vivant comme une chance et en l'accompagnant avec humanité".

 

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