Congrès des maires - Transition écologique : pas sans planification, pas sans les collectivités

Si les collectivités entendent qu’il n’y aura pas de transition écologique réussie sans planification, elles soulignent que cette dernière, pour être efficace, ne saurait se faire sans elles. Mais prises entre le marteau de l’urgence et l’enclume de la réalité sociale et territoriale, les collectivités sont dans une situation peu confortable

En matière de transition climatique, "seulement un plan local sur dix a des ambitions équivalentes ou supérieures au plan national". En ouvrant la première séance plénière du 104e Congrès des maires de France, intitulée "Agir avec les communes pour une planification écologique efficace", Jean-Marc Jancovici, fondateur du Shift Project, a planté brutalement le décor, sans souci de ménager l’auditoire. "Les élus locaux vont devoir gérer de plus en plus d’emmerdements avec de moins en moins de moyens", les a-t-il en outre vertement prévenus. Sans les accabler non plus, tout le monde étant selon lui à l’amende : "La Fifa, les entreprises, les citoyens..." 

Se hâter lentement ?

La position des élus locaux n’est, il est vrai, guère confortable, pris qu’ils sont entre le marteau du réchauffement climatique, auquel on ne cesse de les sensibiliser et de les former (voir encadré ci-dessous), et l’enclume de la réalité territoriale et sociale, qui fait leur quotidien. "Les ZFE-m [zones à faibles émissions-mobilité, ndlr] peuvent être une bombe à retardement politique et sociale. Nombre de concitoyens risquent bien d’être privés de pouvoir se rendre dans les centres urbains", alerte ainsi Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette (Essonne), soulignant l’importance du "calendrier de mise en œuvre de cette mesure". 

Cette position leur permet sans nul doute de mesurer le risque de confondre "vitesse et précipitation", même si ce dernier terme n’est sans doute guère idoine au regard de la situation et des engagements pris. En témoignent les condamnations croissantes de l’État par la justice, française ou européenne, nullement abordées au cours des débats.

"Nous devons tous être conscients de l’urgence d’agir", implore Carole Delga, présidente de Régions de France. Avant de demander, quelques instants plus tard, que l’on donne "plus de temps aux collectivités pour expliquer et adapter" l’objectif du zéro artificialisation nette des terres (ZAN). À l’heure où l’Association des maires de France dénonce, non sans raison, les "injonctions contradictoires" de l’État, les échanges ont démontré qu’il est, pour tous, difficile d’échapper à la contradiction.

Planification État-collectivités nécessaire

La nécessité d’une planification n’a, elle, guère été discutée. "On ne peut pas partir dans toutes les directions", concède Guy Geoffroy, vice-président de l’AMF. "Une coordination des actions est nécessaire", confirme Christian Métairie, maire d'Arcueil (Val-de-Marne) et co-président de la commission Transition écologique de l’AMF. Mais "attention à une planification trop stricte", avertit Guy Geoffroy. "Il faut se mettre d’accord sur les objectifs nationaux et proposer à chaque acteur territorialement compétent de les mettre en œuvre à l’aune de son territoire, en fonction de ce que nous sommes", explique-t-il. "Les maires veulent être à la manœuvre", a bien compris Agnès Pannier-Runacher, qui estime que "l’État doit jouer un rôle de facilitateur, pas de prescripteur". Quand il n’est pas censeur : "Les services de l’État, on les voit plutôt pour nous dire ce qu’il ne faut pas faire, plutôt que ce qu’il faut faire", grince Christian Métairie.

Un ZAN pas zen

Exemple à ne pas suivre aux yeux des élus, la gestion du ZAN qui, au rang des "emmerdements", occupe assurément une place de choix. "Personne ne disconvient de la nécessité de la sobriété foncière, mais le dispositif est extrêmement rigide", déplore ainsi Catherine Lhéritier, vice-présidente de l’AMF. Dénonçant des "dispositifs trop normatifs", elle revendique "de la souplesse". "Les élus locaux redoutent un dispositif descendant", relaie-t-elle encore. 

"Tout le monde est d’accord sur l’objectif, mais tout le monde explique aussi que diviser par deux le rythme d’artificialisation n’est pas tenable", pointe le ministre Christophe Béchu, en rappelant que "chaque heure qui passe, nous artificialisons l’équivalent de cinq terrains de football en France". S’il n’entend pas revoir l’objectif, fixé par le Parlement, il assure que le dispositif sera assoupli dans la forme. "Le travail que j’ai commandé auprès des réseaux d’urbanisme et d’élus a été remis avant le week-end. Nous présenterons dans quelques jours la nouvelle version du décret, après des échanges avec l’AMF, pour faire les choses dans le bon ordre", assure-t-il. L’ancien maire d’Angers précise que "des compter à part nationaux" sont prévus - une "solidarité nationale pour les grands projets" que réclame Carole Delga, parmi d’autres. Le ministre veillera en outre "à ce que les petites communes ne soient pas les variables d’ajustement, au moment où de plus en plus de citoyens veulent vivre dans les territoires ruraux". La présidente de la région Occitanie semble là encore sur la même longueur d’ondes, plaidant pour "stopper l’hypermétropolisation", à la fois en "renaturant des territoires où on a beaucoup bâti" et en octroyant "des droits à construire, assumés par ceux qui ont trop construit, pour permettre l’implantation des entreprises" dans les territoires ruraux. 

Planification au sein des collectivités

"Il est très important de planifier la transition, y compris dans les petites communes", ajoute Bertrand Hauchecorne, l’autre co-président de la commission Transition écologique de l’AMF. Il attire l’attention sur le risque, à défaut, "d’accumuler les bonnes intentions" et de "dispersions". Une planification également nécessaire pour "prioriser les actions et associer toutes les parties prenantes", insiste Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts. Pour Jean-Marc Jancovici, les collectivités doivent commencer par consacrer 1% de leur budget pour "comprendre le problème et acquérir des informations sur la situation de départ, en prenant en compte les particularités locales". "On ne peut protéger que ce que l’on connaît", appuie Sylvie Gustave-dit-Duflo, présidente du conseil d’administration de l’Office français de la biodiversité (OFB), évoquant notamment les atlas communaux de la biodiversité. 

Prendre le risque de l’action

Venue de Californie, la maire de Sausalito, Janelle Kellman, relève toutefois qu’outre-Atlantique, on enseigne que "l’analyse paralyse l’action". Elle invite en conséquence ses homologues à ne plus perdre de temps et même à prendre des risques, qu’ils soient financiers, techniques… "Quand on veut devenir maire, ce n’est pas pour être célèbre, mais pour agir", rappelle-t-elle, non sans faire écho au thème du congrès, "Pouvoir agir". Le directeur général de la Caisse des Dépôts ne l’a pas démentie. Jugeant que "la dette écologique est plus urgente à traiter que la dette financière", Éric Lombard plaide pour que "les collectivités n’hésitent pas à augmenter leur endettement". Et de mettre en balance "le coût de l’inaction climatique : une baisse d’1/5e du PIB mondial". "Le coût de l’adaptation varie de façon exponentielle avec le réchauffement", avertit de même Christophe Béchu. Le ministre a également défendu l’idée de "débudgétiser, de sortir de nos ratios les travaux de rénovation", de "modifier le code de la commande publique" et plus largement de "changer notre manière de faire, en poussant les tiers financements".

  • Des maires formés et doublement (inter)connectés et 1,2 milliard d'euros supplémentaires pour le fonds vert

À compter de janvier, l’État organisera pour tous les maires volontaires une formation au changement climatique, qui sera délivrée dans les préfectures et les sous-préfectures, a annoncé Christophe Béchu. "Des formations très concrètes", précise le ministre, évoquant comme intervenants MétéoFrance, l’Ademe, l’Office français de la biodiversité… Une annonce bien accueillie par Bertrand Hauchecorne, pour qui "ce n’est pas parce qu’on est maire qu’on est omniscient". Moins par la présidente de Régions de France, Carole Delga, qui préfère "qu’on utilise les agences départementales ou les associations départementales des maires". 

Autre annonce du ministre, le lancement de "La France des solutions", une "banque de solutions" sur internet sur laquelle tous les maires sont invités à partager leurs expériences pour "capitaliser sur les innovations conduites sans attendre lois et décrets". 110 projets sont d’ores et déjà en ligne. Une idée dont l’heure était sans doute venue, puisque quelques instants plus tôt, le président de l’Association des maires de France a lui aussi annoncé le lancement d’un dispositif "1 maire – 1 solution" pour mettre en avant les solutions, les innovations qui émergent dans les communes".

En outre, le fonds vert, doté de 2 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2023, va bénéficier d'une enveloppe d'1,2 milliard d'euros supplémentaire sur 5 ans à destination des collectivités, mobilisée par la Banque des Territoires (Caisse des Dépôts) sous deux formes : 1 milliard d'euros de prêts (prêts en faveur de la transition écologique et de l'adaptation au changement climatique de la Banque des Territoires tels que l'Aqua-prêt, GPI-AmbRE, Mobi-prêt, prêt relance verte...) qui pourront s'ajouter aux subventions accordées par l'État au titre du fonds vert et qui permettront aux collectivités de financer le reste à charge du projet ; 200 millions d'euros de crédit d'ingénierie pour permettre aux collectivités de bénéficier de conseils techniques et d'études opérationnelles pour faciliter la mise en oeuvre de leurs projets à impact environnemental. Pour que ce fonds soit "simple d'accès et largement ouvert sur les territoires", il sera déployé localement par les préfets et les directions régionales de la Banque des Territoires au fur et à mesure des propositions de projets par les collectivités, a précisé le ministère de la Transition écologique dans un communiqué.