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Politique de la ville - Délégués du préfet : un bilan en demi-teinte

En 2008, la secrétaire d'Etat à la politique de la ville, Fadela Amara, voulait que les 300 délégués du préfet "incarnent physiquement le retour de la République au coeur de nos cités". Trois ans plus tard, une étude réalisée sous l'égide du secrétariat général du Comité interministériel des villes dresse un bilan contrasté du dispositif. Un bilan qui salue le travail de ces missi dominici modernes plus que celui de leurs chefs.

A partir de questionnaires et d'enquêtes de terrain, le rapport fait le constat d'importantes disparités entre les territoires. D'abord sur les missions de ces agents. Alors que la circulaire du 30 juillet 2008 leur assignait des tâches très opérationnelles, les fonctions de représentation, de circulation d'information et de mobilisation des acteurs sont aujourd'hui nettement prédominantes. Contrairement à ce qui était envisagé, les délégués sont généralement peu impliqués par exemple dans les projets de rénovation urbaine. Cette tâche est restée du ressort des services de l'Equipement. De plus, si les délégués suivent et formulent des avis sur l'évolution des contrats urbains de cohésion sociale, ils sont loin de réussir à coordonner l'action des différents services de l'Etat... ce qui constituait pourtant le cœur de leur mission à l'origine. Aujourd'hui, ces agents évaluent les actions de politique de la ville, portent la parole de l'Etat dans des réunions techniques ou auprès des opérateurs, et informent leurs supérieurs (préfets, sous-préfets, secrétaires généraux) de la situation dans les quartiers qu'ils suivent. Ils interviennent sur des champs variés : emploi, insertion, réussite éducative, sécurité, mais aussi habitat, culture ou santé.

Un positionnement acrobatique

Mais le principal point commun entre ces agents est leur positionnement incertain. Ainsi, seulement 17% des délégués estiment avoir trouvé leur place vis-à-vis des autres services de l'Etat. Ce point, disent-ils, constitue "la principale difficulté" de leur métier. Il faut dire qu'au sein des services de l'Etat, tout le monde n'est pas convaincu de la plus-value apportée par ces agents. Côté cohésion sociale (DDCS), on craint que les missions stratégiques soient accaparées par les délégués du préfet, quand les services ne seraient plus chargés que de la gestion administrative des programmes. Côté directions départementales des territoires (DDT), on conteste la légitimité des délégués à intervenir sur un champ aussi technique que la rénovation urbaine et on craint "une image confuse" de l'Etat sur le terrain.
De plus, les conditions d'installation sur ces postes semblent largement perfectibles : un délégué sur quatre ne "dispose pas d'une vision claire de ses missions". Même proportion pour ceux qui disent n'avoir été présentés à personne lors de leur arrivée sur le poste. Outre les difficultés matérielles, l'étude souligne l'insuffisant encadrement de ces agents : peu d'entretiens annuels d'évaluation, manque de réunions d'équipe, manque de consignes et de positionnement clairs, etc.

Un dispositif utile mais qui doit évoluer

En dépit de ces difficultés, l'étude conclut à l'utilité de cette fonction. Ces 300 agents ont "un effet indéniable en termes de renforcement de la présence de l'Etat". Par l'aide qu'ils apportent aux associations, aux collectivités et aux autres partenaires, ils "facilitent la mise en œuvre de la politique de la ville". Ce n'était pourtant pas gagné au départ : certains les suspectaient de "flicage" ou craignaient qu'ils fassent filtre entre le préfet et la collectivité locale. Les élus de l'opposition voyaient cette fonction comme éminemment politique. Tout cela n'a pas résisté - et sauf cas particuliers - à des pratiques de coopération effectives au quotidien. Et, là comme ailleurs, tout dépend des personnes en poste. Globalement cependant, les délégués "humanisent les relations de l'Etat avec ses partenaires" sur ce champ. Plusieurs personnes interrogées soulignent que les délégués permettent aussi de faire le lien avec des services instructeurs de l'Etat parfois déconnectés de la situation réelle dans les quartiers.
Si ce rôle de liaison, d'intermédiaire, semble globalement assuré, reste de très importantes difficultés sur la coordination de l'action des services de l'Etat dans les quartiers. Cette mission "semble jusqu'à présent délicate voire hors de portée pour un grand nombre de délégués, insuffisamment légitimés et reconnus (...). Ils ne sont ainsi que 38% à estimer avoir contribué à améliorer le pilotage de la politique de la ville".
Enfin, l'étude appelle à une "clarification de la doctrine sur le co-mandatement". En d'autres termes, les auteurs s'interrogent sur la légitimité du co-financement Etat-collectivités des postes politique de la ville. La simple présence des délégués dans le jeu confirme d'une certaine manière l'intégration de plus en plus nette au fil des années des chefs de projet du côté des collectivités. Ces délégués obligent également à s'interroger sur les liens que les services de l'Etat local réorganisés par la révision générale des politiques publiques (RGPP) peuvent désormais établir avec le "terrain" : qui est en charge de l'évaluation ? qui observe ? qui appuie les acteurs ? qui donne les subventions ? qui contrôle ? La fusion de ces différents rôles risquant parfois de faire perdre la tête à ces agents soumis à des injonctions partiellement contradictoires.

Hélène Lemesle

Références : Circulaire n° 52319 du Premier ministre du 30 juillet 2008 relative à la mise en place des délégués du préfet dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

 

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