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Déplacements : la voiture, loin d'avoir dit son dernier mot

Une étude publiée par l'Insee ce 29 avril révèle que le taux d'équipement des ménages en voiture a continué de faiblement progresser entre 2007 et 2017. Si son usage régresse toutefois légèrement dans les pôles urbains – où existe une offre alternative de transports et où les équipements sont proches –, il continue de progresser au-delà, porté notamment par la perte de prépondérance des communes-centres.

Dans le cadre de l'édition 2021 de son étude "La France et ses territoires" (qui fait suite à celle de 2015) publiée ce 29 avril, l'Insee consacre l'un de ses dossiers aux déplacements en voiture (sur l'analyse de l'impact de la crise, qui figure dans cette étude, voir notre article de ce jour). Si dans cette étude, l'institut retient un nouveau zonage diffusé en octobre 2020*, ses principales conclusions en matière de mobilité ne bouleverseront pas, d'autant que l'analyse se fonde sur des données de 2017, bien avant les impacts – nombreux à défaut d'être, peut-être, tous durables – de la crise sanitaire.

La voiture ne recule pas

En 2017, 72% des ménages habitant un pôle urbain en possèdent au moins une (et 22% deux ou plus), le chiffre atteignant 91% en couronne (48% en comptant deux ou plus). Entre 2007 et 2017, la part des ménages équipés progresse encore, très légèrement toutefois. L'augmentation est plus sensible hors couronne, alors que le taux régresse – là aussi très légèrement – dans les pôles urbains. Plus la taille de ces derniers est importante, plus le taux d'équipement est faible (34% à Paris, 66% dans les pôles des aires de plus de 700.000 habitants).

Par ailleurs, plus un ménage compte d'adultes, et plus ces adultes sont en emploi, plus le taux d'équipement s'accroît. La présence d'enfants augmente également le nombre de véhicules dans un ménage, mais dans une moindre proportion. En revanche, si un ménage sur cinq des communes-centres ayant un ou des enfants parvient à se passer de voiture, ils ne sont que 3% en couronne ou au-delà. Les familles avec enfants étant surreprésentées en couronne.

Principal moyen de se rendre au travail

Neuf habitants sur dix en couronne ou hors aire d'attraction utilisent la voiture pour se rendre au travail, contre 6 sur 10 habitants des pôles. L'Insee relève que sur la période 2007-2017, les écarts se sont d'abord creusés – la part des automobilistes s'est accentuée en couronne et plus encore hors aire d'attraction, mais a reculé dans les pôles urbains – avant de se stabiliser ces dernières années. Plus la population de l'aire d'attraction est grande, plus les écarts se creusent : 88% des habitants des aires de moins de 50.000 habitants se rendent au travail en voiture, 73% dans celles de plus de 700.000 habitants et 44% dans l'aire de Paris.

La marche régresse partout

La marche, elle, régresse partout, en partie à cause de l'augmentation des distances domicile-travail. Si un actif sur trois marche et un sur vingt utilise un vélo pour se rendre au travail pour les trajets inférieurs à 2 km, ces deux modes de transport deviennent marginaux pour ceux de plus de 5 km. Et la moitié des actifs utilisent toujours la voiture pour un trajet domicile‑travail inférieur à 2 km.

Pour le vélo, le type de zone traversée joue un rôle important : les cyclistes sont 5,2 fois plus nombreux sur un trajet exclusivement urbain que sur un trajet hors zone urbaine de même distance. En cause, la présence ou non d'aménagements facilitant la pratique.

Les transports en commun ne gagnent du terrain que dans les pôles. 23% des habitants des communes-centres les utilisent pour aller travailler (contre 16% dans l'ensemble des communes).

L'Insee relève par ailleurs que les propriétaires (à 81%) sont aussi plus nombreux à utiliser leur voiture pour se rendre à leur travail que les locataires (à 62%). Un écart qui s'explique en grande partie par le fait que les ménages propriétaires d’une résidence principale sont proportionnellement bien plus nombreux dans les couronnes (72%) que dans les pôles urbains (45%), conséquence probable de l’augmentation relative des prix immobiliers dans les villes–centres (un chiffre qu'il serait d'ailleurs intéressant de croiser avec la présence ou non d'enfants – v. supra).

L'institut constate encore que, toujours pour ces trajets domicile-travail, les cadres et professions intellectuelles, et dans une moindre mesure les employés, utilisent moins souvent la voiture que la moyenne, alors que les ouvriers l'utilisent davantage.

La voiture, faute d'alternative

Si 74% des personnes en emploi utilisent la voiture pour se rendre au travail, le chiffre tombe à 59% lorsqu'elles résident à moins de 500 m d'une gare ferroviaire et à 33% lorsqu'elles résident à moins de 500 m d'une station de tram ou de métro. Dans les communes où une station de tram ou de métro se situe à moins de 1 km du domicile des actifs employés, les automobilistes sont 2,1 fois moins nombreux et la distance annuelle par habitant parcourue en voiture est inférieure d'un quart, "toutes choses égales par ailleurs". L'impact de l'existence d’infrastructures autoroutières ou de voies rapides semblant à l'inverse avoir un impact certes non nul, mais très limité (augmentation de 0,3% du kilométrage moyen annuel/habitant quand la longueur des voies autoroutières double dans l’aire d’attraction d’une ville, et de 0,8% pour les voies rapides).

Distance moyenne parcourue en hausse

La distance moyenne augmente en couronne et au-delà, conséquence de la perte de prépondérance des communes-centres. En 2017, les distances parcourues en voiture, rapportées à la population, sont une fois et demie plus importantes en couronne (7.670 km/an/habitant, +32 km en couronne, + 59 km hors couronne) qu'en pôle (4.700 km/an/habitant, en baisse de 55 km).

Principal responsable de cette hausse en couronne, l'étalement urbain. Non pas tant du fait de l'éloignement de la commune-centre (la distance annuelle parcourue en voiture par habitant progresse seulement de 11% quand la distance à la ville‑centre de l’agglomération double) que de la perte du rôle prépondérant de cette dernière, au profit des déplacements entre autres communes différentes d'une même aire (en 2017, 48% des trajets domicile-travail entre des communes différentes impliquaient néanmoins la commune-centre). En cause, "l'organisation radiale des infrastructures de transports en commun, héritée du passé", mais aussi le faible volume du trafic qui rendent difficile l'apport d'une réponse à ce "décentrement des déplacements". Les habitants des couronnes parcourent en moyenne des distances plus importantes pour se rendre au travail (19 km contre 12 km dans les pôles), qu’ils utilisent ou non leur voiture.

La proximité des équipements de la vie quotidienne explique également un moindre usage de la voiture dans les pôles.

Les voitures des pôles, moins polluantes mais tout autant émettrices de gaz à effet de serre

L'enquête relève que les habitants des communes les plus pauvres utilisent beaucoup moins la voiture que les autres, toutes choses égales par ailleurs (la distance moyenne parcourue s'intensifiant quand le niveau de vie augmente), ce qui ne surprendra guère. Mais si leurs véhicules sont moins bien classés par Crit'Air, car plus anciennes, le niveau théorique des émissions de CO2 n'y est toutefois pas supérieur, leurs voitures étant généralement moins puissantes.

De même, sans surprise les véhicules éligibles à une vignette Crit'Air 1 sont proportionnellement plus nombreuses dans les grandes métropoles (24% du parc dans l'aire de Paris) que dans les aires de moins de 50.000 habitants (16%). Pour autant, si les habitants des pôles ne sont à l'origine que de 39% des émissions théoriques de CO2 due à la voiture en 2017, alors qu'ils représentent 51% de la population, c'est uniquement dû à leur moindre usage de la voiture (moins de véhicules, qui circulent moins : leur véhicule parcourt en moyenne 11.000 km/an, contre 12.670 km/an en couronne), estime l'Insee, les émissions théoriques de C02 par véhicule étant quasi-identiques dans les pôles (137 g/km) qu'en couronne (138 g/km). Une apparente contradiction que l'Insee explique par deux facteurs : d'une part, les véhicules diesel, plus fréquents en couronne et au-delà que dans les pôles, émettent moins de CO2 que les véhicules essence ; d'autre part, le fait que Crit'Air attribue un meilleur classement à ces derniers ne tient pas compte de leurs émissions de CO2, mais de celle de certains polluants (particules fines, oxydes d'azote).

 

* À partir de pôles urbains, définis à partir de critères de densité de population, de population totale et d’emploi, l'institut détermine une aire d'attraction (baptisée "couronne") correspondant aux communes dont au moins 15% des actifs occupés travaillent dans le pôle. Il en ressort 699 aires d'attraction – intermédiaire entre le bassin d'emplois (306 en 2020) et le bassin de vie (1.663 en 2021) – dans lesquelles vivent 93% de la population. Au sein de cette aire, la ville la plus peuplée est appelée "commune centre".