Des assises pour adapter le commerce aux grands enjeux du moment

Le gouvernement a lancé le 1er décembre 2021 les Assises du commerce, destinées à tracer une feuille de route pour le commerce à l'horizon 2030. Au cœur des enjeux : aider le commerce à faire face aux bouleversements actuels, au premier rang desquels la transition écologique et le plein essor du e-commerce et les conséquences de la crise du covid. Des ateliers sont organisés durant trois semaines pour une restitution des travaux prévue en janvier 2022.

"Il était temps de se saisir des questions du commerce, nous n'avons jamais défini de politique commerciale." C'est en ces termes que Bruno Le Maire a donné le coup d'envoi des Assises du commerce le 1er décembre 2021, à Bercy. Réunissant acteurs du commerce, sociologues, économistes, associations de consommateurs, élus locaux, parlementaires et organisations professionnelles, les assises vont donner lieu à trois semaines de réflexion autour de quatre thématiques principales : l'adaptation du commerce aux nouveaux modes de consommation, la préservation et le développement du commerce dans les territoires, l'équité entre les acteurs et leur compétitivité et l'emploi dans le commerce. Objectif : tracer les grandes lignes du commerce à l'horizon 2030 et favoriser les investissements dans ce secteur pour permettre les transitions numérique et écologique. Les propositions sont attendues pour le 4 janvier 2022, avec une restitution prévue courant janvier. "Des délais très courts qui nous permettront de travailler vite et bien, a affirmé le ministre de l'Economie, certaines dispositions pourront être appliquées rapidement, d'autres feront partie des débats de la campagne présidentielle".

Le commerce de détail représente un chiffre d'affaires de 450 milliards d'euros par an et 2,1 millions d'emplois, avec 435.000 entreprises. "Vous êtes le premier employeur de France et pourtant il n'y a pas de politique commerciale !", a insisté Bruno Le Maire, alors que le secteur est en proie à des bouleversements importants, avec le plein essor du commerce en ligne, l'impact de la crise avec les confinements successifs...

Développement du e-commerce

Les ateliers doivent permettre d'aborder ces différents défis, dont la journée de lancement a donné un avant-goût. Le premier d'entre eux est sans doute le développement du e-commerce, favorisé par la crise covid. "En 2020, près de 42 millions de Français ont passé commande en ligne, précise Bercy dans son dossier de presse, pour 1,8 milliard de transaction. Une progression de 1,5 million de consommateurs, qui permet à la vente de biens en ligne d'atteindre un chiffre d'affaires de l'ordre de 61 milliards d'euros au total".

Les pouvoirs publics ont réagi en incitant les commerçants à rattraper leur retard en matière de digitalisation. "Est-ce qu'on est allé assez loin ? Est-ce qu'on est parti assez tôt ?, a interrogé Philippe Moati, cofondateur de l'ObSoCo lors du lancement, les acteurs du commerce en France, petits comme grands, ont pris un peu de retard. Il y a eu un retard à l'allumage, on n'a pas cru aux places de marché, la plupart des sociétés qui ont été créées dans ce domaine en France datent de 2020-2021, soit vingt ans de retard par rapport aux leaders qui ont émergé, comme Amazon". Il  estime qu'il y a "péril en la demeure", et que la solution punitive qui a été employée jusque-là - dernier exemple en date : la demande de déréférencement de la plateforme de e-commerce américaine Wish des principaux moteurs de recherche et des magasins applicatifs, du fait de la vente de produits non conformes voire dangereux -, n'a connu qu'un succès limité.

Réfléchir à une contre-offensive collective

"Il faut plutôt réfléchir à une contre-offensive, a affirmé Philippe Moati, pourquoi pas une union sacrée, en réunissant ce qu'on a de meilleur dans le retail en France ? Il faut une véritable politique publique industrielle et investir massivement !" Ce besoin en investissement, notamment pour que les petits commerçants puissent effectuer leur mue digitale, a également été soulevé par Philippe Houzé, président du directoire du groupe Galeries Lafayette : "Il faut donner des moyens aux commerçants pour investir dans leur numérisation, or nous n'avons même pas accès au crédit impôt recherche." Toutefois, pour Cédric O, le besoin n'est pas que financier. Le secrétaire d'Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques en veut pour preuve que les aides mises à disposition des petits commerçants ne sont pas entièrement consommées. "Il y a un effort essentiel de mutualisation à faire, qui peut faire l'objet d'une alliance nouvelle entre les acteurs français et européens du e-commerce, les branches professionnelles et les territoires, a-t-il assuré, nous avons besoin de progresser sur le 'back office', le 'front office' et la logistique, il faut créer une dynamique collective". La question de l'équité fiscale entre les acteurs du commerce physique, assujettis notamment à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) et les "pure players" a une nouvelle fois été mise sur la table.

"Il faut réinventer le commerce"

La transition écologique a également été posée comme un des enjeux principaux du secteur. "Il y a des efforts sur le bâti, sur la chasse au gaspillage, et une avancée des enseignes dans ce domaine durant la crise covid, notamment sur le marché de la seconde main, mais ce n'est vraiment pas suffisant face à la catastrophe écologique qui se profile, a souligné Philippe Moati, il faut réinventer le commerce. Il est urgent pour les acteurs de la consommation, industriels comme distributeurs, de créer des business models fondés sur la qualité plus que sur la quantité". Les entrées de ville, souvent qualifiées de "boîtes à chaussures", témoignent de cette course à la vente en quantité. "On a tous en tête ces entrées de ville, on a enchainé des commerces, c'est énergivore et c'est moche, a souligné Marie Cheval, PDG de Carmila, il y a des choses à faire pour les détruire, en faire autre chose, des parcs ou des espaces de coworking et remettre des commerces en centre-ville". D'autant que la crise, si elle a favorisé des réflexes d'achat plus numériques, a également mis en avant l'importance du contact humain et de la visite physique du commerce. Il est donc essentiel également de créer des mobilités adaptées permettant l'accès des consommateurs aux boutiques.

"Pas de ligne rouge ni de sujet interdit"

Autres sujets qui devraient faire partie des discussions des ateliers à venir : la vacance commerciale, et les moyens mis à disposition des élus locaux pour la limiter, comme le droit de préemption ou les foncières commerciales, la logistique, sujet-clé pour monter en gamme côté numérique, la sécurité, l'ouverture des commerces le dimanche et les soldes.

"Il n'y a pas de ligne rouge ni de sujet interdit", a assuré Alain Griset, ministre délégué aux PME, en conclusion du lancement. "Cette feuille de route, c'est vous qui allez l'écrire, dans l'intérêt des entreprises, des territoires mais aussi des consommateurs. Il n'y a jamais eu en France une telle réunion et une telle volonté de mettre en place une politique du commerce, profitez-en !"