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Gouvernement - Des périmètres ministériels inédits

Un ministère de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique confié à Marylise Lebranchu, un ministère de l'Egalité des territoires et du Logement pour Cécile Duflot, Bercy reconfiguré en deux pôles, une ministre des Affaires sociales et de la Santé confortée par trois ministres délégués, une dose de "réussite éducative" et d'éducation populaire... Les portefeuilles intéressant les collectivités au sein du gouvernement Ayrault ne manquent pas de nouveautés.

C'est finalement en début de soirée ce mercredi 16 mai qu'aura été dévoilée la composition du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, le député-maire de Nantes nommé la veille au poste de Premier ministre (voir ci-contre notre article du 15 mai). Alors que les conjectures allaient bon train depuis l'élection de François Hollande, la liste des 18 ministres et 16 ministres délégués (pas de ministres d'Etat ni de secrétaires d'Etat) est venue confirmer quelques-uns de ces pronostics mais a apporté aussi bon nombre de surprises. Y compris lorsque l'on parcourt cette liste à travers le prisme des portefeuilles intéressant le plus directement les collectivités. Et y compris lorsque l'on se penche sur les périmètres de ces portefeuilles.

Réforme de l'Etat, Décentralisation et Fonction publique

A ce titre, on commencera évidemment par relever la nomination de Marylise Lebranchu au poste de ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique. Un intitulé inédit qui, avec son axe "décentralisation", semble bien inclure le champ des relations avec les collectivités. Auquel cas celui-ci serait détaché du ministère de l'Intérieur. Et auquel cas, outre la direction générale de l'Administration et de la Fonction publique (DGAFP) et la direction générale de la Modernisation de l'Etat (DGME), ce ministère hériterait de la direction générale des Collectivités locales (DGCL) ? La confirmation viendra avec les décrets d'attribution. Pour l'heure, on relèvera en tout cas que Manuel Valls est nommé ministre de l'Intérieur – et uniquement de l'Intérieur. L'Outre-Mer fait d'ailleurs également l'objet d'un ministère de plein exercice, confié à Victorin Lurel, président du conseil régional de la Guadeloupe depuis 2004. On notera par ailleurs que l'actuel directeur général des Collectivités locales, Eric Jalon, aurait fait savoir qu'il quitterait ce poste avec l'arrivée du nouveau gouvernement.
La configuration du ministère confié à Marylise Lebranchu rappelle en partie celle qui avait prévalu de 2002 à 2004, dans le gouvernement Raffarin, pour Jean-Paul Delevoye, qui était alors ministre de la Fonction publique, de l'Aménagement du territoire et de la Réforme de l'Etat. Sauf qu'alors, au moment où s'engageait l'acte II de la décentralisation, cette réforme avait été animée par un ministre délégué aux Libertés locales, Patrick Devedjian, sous l'autorité d'un ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy.
Marylise Lebranchu a été ministre en charge des PME puis de la Justice au sein du gouvernement Jospin. Députée du Finistère, elle est également conseillère régionale et préside depuis juin 2010 la Fédération nationale des élus socialistes et républicains, association d'élus locaux et de parlementaires où elle a succédé à Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France. Elle a à ce titre élaboré une proposition d'"acte III de la décentralisation" venue largement nourrir le volet collectivités du projet du Parti socialiste adopté il y a un an. Elle s'est beaucoup exprimée contre la précédente réforme des collectivités et a à plusieurs reprises eu l'occasion de présenter ses priorités quant à la "grande loi" souhaitée en matière d'organisation territoriale : "remise à plat de la fiscalité locale", "péréquation massive entre les territoires", une décentralisation qui "ne peut pas se concevoir sans penser l'aménagement du territoire", suppression du conseiller territorial, conférences régionales destinées à déterminer la répartition des compétences, droit à l'expérimentation… Après l'annonce de sa nomination, Marylise Lebranchu a avant tout mis en avant le fait que les trois items de son nouveau ministère allaient nécessairement de pair : pas de réforme des collectivités sans réforme de l'Etat et sans prise en compte des fonctions publiques.

L'Intérieur vers un "Grenelle de la sécurité" ?

De son côté, Manuel Valls, maire d'Evry depuis 2001 et député de l'Essonne depuis 2002, prend ses fonctions de ministre de l'Intérieur dans un climat tendu chez les forces de police aussi bien nationales que municipales. Mais le maire d'Evry, qui s'est doté d'une police municipale puissante, est plutôt apprécié chez les syndicats qui voient en lui une oreille favorable à leurs revendications. Depuis longtemps en effet, Manuel Valls est partisan d'une remise à plat des compétences de chacun, une sorte de "Grenelle de la sécurité" cher à l'Association des maires de grandes villes de France. Parmi les dossiers sur sa table figurent la réflexion sur la doctrine d'emploi et l'épineuse question de l'armement actuellement débattue au sein de la Commission consultative des polices municipales (CCPM), ainsi que la réforme statutaire sur laquelle l'Association des maires de France, l'Etat et les syndicats ont récemment trouvé un accord après deux ans de négociations. Plus largement, le ministre devra rétablir la confiance entre tous les acteurs réunis autour du partenariat local de la sécurité.
Comme les autres élus entrés dans le gouvernement, Manuel Valls devra renoncer à ses mandats locaux. Reste une petite question annexe en suspens. La règle du non-cumul édictée par François Hollande touche-t-elle également les présidences d'intercommunalité ? Autrement dit, Manuel Valls pourrait-il conserver son fauteuil de président de l'agglomération Evry centre Essonne, ce qui est en théorie possible puisqu'il sera autorisé à rester conseiller municipal ? "Quelles fonctions seront concernées par la volonté du président d'appliquer le non-cumul des mandats pour ses ministres ? Ce n'est pas très clair", a ainsi déclaré au quotidien Le Parisien Thierry Mandon, maire PS de Ris-Orangis, tandis qu'à l'agglomération, on reconnaissait que "rien n'est calé". Une question qui concernera six membres du nouveau gouvernement présidents d'EPCI.

Egalité des territoires et Logement

La dimension territoriale apparaît par ailleurs du côté de la secrétaire nationale des Verts, Cécile Duflot, à qui a été attribué non pas l'Ecologie mais le ministère de l'Egalité des territoires et du Logement. Cette idée d'un ministère de l'Egalité des territoires avait été évoquée par François Hollande lors de sa campagne. La question de savoir si son champ se limitera à celui des territoires prioritaires au titre de la politique de la ville ou bien s'étendra à toutes les questions d'aménagement du territoire (voir ci-contre notre article du 9 mai) reste entière, même si le fait d'y avoir associé le logement peut plaider en faveur de la première hypothèse.
Ancrée à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), dont elle a été maire-adjointe, longtemps salariée dans le logement social, Cécile Duflot a été élue conseillère régionale d'Ile-de-France en 2010, après avoir affiché l'ambition de "doubler le budget" du conseil régional consacré au logement et s'être prononcée pour les "réquisitions de logements vides". Elle avait alors aussi fustigé le Grand Paris prôné par Nicolas Sarkozy, y voyant "une vision de l'aménagement du territoire datant des années 1970" à laquelle elle opposait une "vision fondée sur la coopération entre les régions".
Du côté de la politique de la ville, la jeune ministre travaillera aux côtés d'un ministre délégué chargé de la Ville, François Lamy. S'il est plutôt connu comme spécialiste des questions de défense nationale, François Lamy a en tout cas une approche directe des banlieues franciliennes en tant qu'élu : il est député de l'Essonne depuis 1997, maire de Palaiseau depuis 2001 et président de la communauté d'agglomération du plateau de Saclay depuis 2003.

Un lien entre le monde économique et le monde écologique ?

Le logement disparaît donc du ministère de l'Ecologie auquel il était rattaché depuis le premier gouvernement Fillon avec Jean-Louis Borloo. Un périmètre quelque peu réduit, donc, pour ce qui sera désormais le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, attribué à la sénatrice Nicole Bricq, spécialiste de la fiscalité. L'élue de Seine-et-Marne a été la première femme à occuper le poste de rapporteur général de la commission des finances du Sénat, succédant en octobre 2011 au sénateur UMP Philippe Marini. Elle a toutefois été très présente ces derniers temps sur des dossiers comme les gaz de schiste. "Ce qui nous intéresse particulièrement dans le profil de Nicole Bricq, c'est son profil de spécialiste des questions financières", a d'ailleurs réagi le directeur général de Greenpeace, Jean-François Julliard, ajoutant : "Elle va pouvoir faire le lien entre le monde économique et le monde écologique, un lien qui n'est pas souvent fait." D'autres ONG environnementales ont également estimé que sa nomination représentait un "gage de sérieux et de crédibilité". Nicole Bricq travaillera avec Frédéric Cuvillier, député-maire de Boulogne-sur-Mer, en tant que ministre délégué chargé du Transport et de l'Economie maritime.

A Bercy, Economie et Finances d'un côté, Redressement productif de l'autre

La réorganisation de Bercy représente l'une des autres grandes nouveautés, même si ce ministère a toujours connu des transformations et changements de périmètres au gré des gouvernements successifs. Le voici en tout cas cette fois scindé en deux pôles : Economie et Finances d'un côté, et un étonnant ministère du "Redressement productif" de l'autre, écho direct au débat sur la réindustrialisation qui s'était imposé comme une dominante de la campagne.
C'est Pierre Moscovici qui aura la haute main sur l'Economie et les Finances mais aussi le Commerce extérieur. Il aura auprès de lui deux ministres délégués, Jérôme Cahuzac, ancien président de la commission des finances de l'Assemblée, au Budget, et Benoît Hamon, à l'Economie sociale et solidaire.
Le Redressement productif sera placé sous la direction d'Arnaud Montebourg, qui aura lui aussi deux ministres délégués à ses côtés : Fleur Pellerin avec "PME, Innovation et Economie numérique", et Sylvia Pinel avec "Artisanat, Commerce et Tourisme". Là encore, on attend les décrets d'application et les explications de texte pour mieux saisir la subtilité du dispositif. Par exemple pour savoir qui veillera sur les PME se réclamant de l'économie sociale et solidaire...

Un poids certain pour les thématiques sociales

L'Emploi, de la compétence du ministre de l'Economie et des Finances jusqu'en novembre 2010, restera à l'extérieur du périmètre de Bercy. Et revient à un ancien ministre de l'Economie que l'on attendait précisément plutôt à Bercy : Michel Sapin, député de l'Indre, chargé du projet présidentiel, qui devient ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. Un gros ministère, donc, sans ministres délégués.
Mais là aussi, le portefeuille que quittera Xavier Bertrand a été rescindé puisqu'un autre grand portefeuille est confié à Marisol Touraine, qui devient pour sa part sans surprise ministre des Affaires sociales et de la Santé. Secrétaire nationale en charge de la santé et de la protection sociale au Parti socialiste, Marisol Touraine a été élue en 2011 présidente du conseil général d'Indre-et-Loire. Elle bénéficiera de l'appui de trois ministres délégués, de quoi donner un poids certain aux thématiques sociales et satisfaire les associations : Dominique Bertinotti (maire du IVe arrondissement de Paris depuis 2001) pour la Famille, Marie-Arlette Carlotti (conseillère générale des Bouches-du-Rhône) pour les Personnes handicapées et Michèle Delaunay (députée de Gironde et présidente de la commission "personnes âgées, handicap, actions de santé" au conseil général) chargée des Personnes âgées et de la Dépendance. La présence de cette troisième ministre déléguée confirme a priori la perspective d'une relance de la réforme de la dépendance.

De la Réussite éducative...

Si la nomination de Vincent Peillon en tant que ministre de l'Education nationale était attendue, on n'avait pas forcément imaginé la création d'un ministère délégué chargé de la "Réussite éducative", confié à George Pau-Langevin. Cette avocate originaire de Guadeloupe voit dans son poste "la prolongation de questions de réussite éducative et d'échec scolaire sur lesquelles on a réfléchi sur le terrain" du XXe arrondissement de la capitale, dont elle est conseillère, déléguée à la protection de l'enfance. "Dans la priorité éducative, on sait qu'il faut concentrer l'effort sur les élèves en échec trop souvent issus des milieux défavorisés et que pour rendre l'école plus juste, il faut agir dans l'école mais aussi autour de l'école. Ce ministère délégué va sans doute travailler autour de missions d'accompagnement des élèves et de leurs parents qui ont des besoins dans le domaine de l'aide à la santé, de l'aide aux devoirs, de l'accès à la culture...", prévoit pour sa part le responsable d'un syndicat enseignant.

... à l'Education populaire

Il y a donc la réussite éducative… mais il y a aussi l'éducation populaire. Valérie Fourneyron, pressentie pour le ministère des Sports, voit en effet son champ d'action s'élargir en devenant ministre des Sports, de la Jeunesse, de l'Education populaire et de la Vie associative. Le retour, en quelque sorte, de l'ancien ministère de la Jeunesse et des Sports. Valérie Fourneyron n'est une inconnue ni pour le monde sportif ni pour celui des collectivités locales. Médecin chargé de la médecine sportive nationale au ministère dès 1989, elle exerce parallèlement auprès d'équipes de haut niveau. Adjointe aux sports de la ville de Rouen, puis vice-présidente du conseil régional de Haute-Normandie chargée des sports, elle devient députée en 2007 – ce qui lui permet d'être rapporteur pour avis du budget sport, jeunesse et vie associative lors de la discussion de la loi de finances pour 2008 – puis maire de Rouen en 2008. Responsable du sport au sein de l'Association des maires de grandes villes de France, elle se consacre encore à cette thématique dans l'équipe de campagne de François Hollande.
D'aucuns parlaient dès mercredi soir du gouvernement "Ayrault I". Cette équipe paritaire, qui devait se retrouver dès jeudi après-midi à l'Elysée pour le premier Conseil des ministres, le même jour que les passations de pouvoirs, pourrait en effet faire l'objet d'un remaniement en fonction des résultats des législatives des 10 et 17 juin. Ne serait-ce que parce que "tout ministre qui se présente aux élections législatives et qui ne sera pas élu ne pourra pas rester au gouvernement", a prévenu mercredi soir Jean-Marc Ayrault lors de sa première intervention télévisée en tant que Premier ministre.