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Pollution - Directive Sols : la Commission européenne rouvre le débat

Enterrée, la directive Sols ? Le 27 novembre, la représentation française de la Commission européenne a rouvert le débat sur l'avenir de ce projet de directive au parcours tumultueux. Proposée en 2006 par la Commission et adoptée, non sans avoir été fortement amendée, par les eurodéputés en 2007, ce texte vise à obliger les Etats à répertorier les zones où il existe des risques d'érosion, d'appauvrissement des matières organiques, de tassement, de salinisation et de glissement de terrain et de contamination des sites industriels, tout en leur laissant une marge de manœuvre suffisante pour y remédier.

Le Comité des régions et le Conseil économique et social européen ont apporté leur appui à la directive. Mais au sein du Conseil européen, son adoption fait face à une minorité de blocage constituée de cinq Etats membres, à savoir l'Allemagne, l'Autriche, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la France. Lors d'une récente intervention dans un colloque sur les sols pollués, la secrétaire d'Etat à l'Ecologie, Chantal Jouanno, a laissé entendre qu'il était temps de se décrisper. Ce que Laurent Michel, qui la représentait ce 27 novembre en tant que directeur général de la prévention des risques au ministère de l'Ecologie, a confirmé en précisant que "la France n'était pas opposée aux principes et objectifs de cette directive". Alors que l'Allemagne et l'Autriche s'y opposent plus fondamentalement en considérant que la directive ne respecte pas le principe de subsidiarité, que les sols sont avant tout une affaire nationale du fait qu'ils ne "s'exportent pas", la position française est donc plus souple et pourrait évoluer ces prochains mois, du moins si la prochaine présidence espagnole du Conseil européen s'avère convaincante. Mais il reste du pain sur la planche, car si la Grande-Bretagne et les Pays-Bas s'opposent pour leur part au texte, c'est pour une raison particulièrement complexe : paradoxalement, ils craignent que la directive remette en question les efforts qu'ils ont déployés chez eux pour mieux protéger leurs sols. "Or il est possible de s'aligner sur leurs avancées, sans nullement remettre en cause la formulation d'objectifs communs", a insisté Karl Falkenberg, directeur général pour l'environnement à la Commission européenne.

 

Des objectifs communs à définir

"Sans directive, a-t-il ajouté, l'Union européenne est dénuée de politique coordonnée sur ce volet essentiel qui mérite plus de prévention, de maintien de la qualité de sols et de restauration de la biodiversité dont ils sont dépositaires. Un socle d'objectifs communs serait par ailleurs moteur pour favoriser les emplois dans le secteur et permettrait aux Etats membres d'apprendre les uns des autres et aux collectivités de partager plus aisément leurs expériences. Au lieu d'attendre que des poches de problèmes ici-et-là éclatent, y remédier avant en se dotant d'objectifs communs permettrait d'identifier les zones à risques et de réduire des impacts qui vont peser sur l'économie européenne." "En permettant d'agir à la source, cette directive complémentaire de celles sur l'eau et l'air renforcerait la sécurité tant au niveau civil, alimentaire qu'environnemental", a complété Sandrine Bélier, eurodéputée Verts.

Alors pourquoi la France bloque-t-elle ? "Il manque au texte une approche mieux priorisée et proportionnalisée, deux critères sans lesquels il est vain de mobiliser l'administration, les bureaux d'études, les entreprises et collectivités", a expliqué Laurent Michel. Hormis cela, ainsi que sur des enjeux relatifs à la co-décision, la France n'est pas braquée contre le reste du texte. Un point de vue que le ministère défend en l'illustrant par un projet de 3 à 5 ans qu'il compte déployer dans trois départements pilotes. Objectif : tirer des enseignements d'un dispositif de croisement de données entre d'un côté des sites fortement pollués, de l'autre 1200 établissements dits sensibles (crèches, écoles).

Plus inflexible, l'opposition que nourrit le monde agricole à l'encontre de ce projet de directive repose globalement sur une méfiance à l'égard de l'excès et de l'empilement réglementaires et sur un repli sur le principe de propriété du sol. Pour d'autres, les agriculteurs gagneraient à défendre ce texte et la gestion durable des sols qu'il prône. C'est ce que pense l'avocate, eurodéputée et ex-ministre de l'Environnement Corinne Lepage, qui a par ailleurs pointé la nécessité d'être attentifs aux problèmes de distorsion de concurrence que ce texte pourrait introduire vis-à-vis des opérateurs économiques du marché intérieur. Dernier nerf de la guerre : le financement, domaine dans lequel le besoin de précision se fait sentir. "Le projet de directive évoque le partage des coûts financiers mais dans le domaine, il n'en dit guère plus", a conclu Karl Falkenberg.

 

Morgan Boëdec / Victoires-Editions