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Distances d’épandage des pesticides : le Conseil d’État renvoie le gouvernement dans les cordes

Les distances minimales d’épandage des pesticides autour des habitations devront être augmentées pour les substances dont la toxicité n’est que suspectée et l’information des riverains organisée dans les chartes d’engagements en amont de leur pulvérisation. Le gouvernement dispose de six mois pour remettre sa copie, aux termes d’une décision rendue par le Conseil d’État ce 26 juillet.

Le Conseil d’État laisse six mois au gouvernement pour revoir les règles d’épandage des pesticides près des habitations, jugeant que la réglementation en cours fixe des distances de sécurité "insuffisantes" et ce en méconnaissance du principe de précaution. Par sa décision rendue ce 26 juillet, la haute juridiction a partiellement annulé le décret et l’arrêté interministériel édictés le 27 décembre 2019, après plusieurs mois de polémique, pour encadrer les mesures de protection des personnes lors de l’usage de produits phytosanitaires.
Déjà épinglé par le Conseil d’État en 2019 sur le précédent arrêté datant de 2017 (voir notre article du 27 juin 2019), le gouvernement avait alors ramené, sur la base des recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), la distance de sécurité autour des zones d’habitation à 10 mètres pour les cultures hautes, telles que les vignes ou les fruitiers, et à 5 mètres pour celles dites basses comme les légumes et céréales, et prévu une distance incompressible de 20 mètres "pour les substances les plus préoccupantes" (CMR1a et CMR1b). Au coeur du dispositif, les chartes d’engagements des utilisateurs, validées localement par le préfet, et permettant d’y déroger en rabaissant ces distances - jusqu'à 3 mètres pour les cultures basses et cinq mètres pour les cultures hautes - cristallisaient les critiques.
C’est donc un nouveau camouflet pour le gouvernement pris en étau entre des associations, communes et agriculteurs bio qui jugeaient ces distances minimales insuffisamment protectrices et par des agriculteurs et une chambre d’agriculture qui les contestaient également en les considérant au contraire excessives. Une victoire immédiatement saluée par le groupe d’ONG - dont France nature environnement, Générations Futures, UFC Que Choisir, Vigilance OGM et Eau et Rivières de Bretagne - à l’origine du recours aux côtés des organisations de terrain impliquées dans le dossier via le Collectif des maires anti-pesticides ou le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest.

Trois griefs principaux

Le Conseil d’État ordonne de compléter la réglementation en vigueur pour mieux protéger la population sur trois points :

  • les distances minimales d’épandage doivent être augmentées pour les produits qui ne sont que "suspectés" d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR2, soit environ 35 substances actives concernées). Le Conseil d’État constate que "l’Anses recommande une distance minimale de 10 mètres entre les habitations et les zones d’épandage de tout produit classé cancérogène, mutagène ou toxique, sans distinguer si leurs effets sont avérés, présumés ou seulement suspectés". Se fondant sur le principe de précaution, il juge par conséquent que "les distances minimales d’épandage des produits dont la toxicité n’est que suspectée, qui ont été fixées à 5 mètres pour les cultures basses comme les légumes ou les céréales, sont insuffisantes". Si aucun lien de causalité n’a jusqu’à présent été établi, "plusieurs études ont mis en évidence, (…) une corrélation entre l’exposition à ces produits résultant de la proximité du lieu de résidence avec des zones agricoles et une augmentation du risque de développer certaines maladies", souligne le Conseil d’État. Il observe également que l’utilisation des pesticides a notamment été encadrée en fonction des pratiques agricoles et des conditions météorologiques au moment de la pulvérisation pour en gérer la dérive, ce qui est "un critère pertinent". Le moyen tiré de la méconnaissance, par l’arrêté litigieux, du principe de non-régression, comme conduisant en particulier à une moindre protection de la ressource en eau n’a pas été retenu. Pas plus que l’argumentaire assimilant les pesticides à des déchets ;
  • des mesures doivent être prises pour protéger les personnes travaillant à proximité des zones d’utilisation des pesticides, "ce que la réglementation en vigueur ne fait pas" ;
  • enfin, une information des riverains doit être organisée en amont de l’utilisation de ces produits. L’inclusion de modalités d’information préalable des résidents et des personnes présentes à proximité des zones d’épandage dans les chartes d’engagements n’est actuellement que facultative. Il s’agit pourtant d’une "mesure pertinente et efficace de gestion des risques liés à l’exposition résidentielle [citée dans l'avis de l’Anses et le rapport inter-inspections de mars 2019] et dont l’impact sur la compétitivité du secteur agricole est proportionné au but recherché", relève la décision. Le Conseil d’État annule par ailleurs les conditions d’élaboration de ces chartes et de leur approbation par le préfet, car celles-ci ne pouvaient être définies par un décret, mais uniquement par la loi. Un écho direct à la décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021 du Conseil constitutionnel que le Conseil d’Etat avait saisi dans cette affaire. Les associations écologistes mobilisées dans ce dossier, qui critiquaient depuis le départ une consultation au rabais des riverains, s’étaient indignées de "la mascarade" sur la consultation autour des chartes d’engagements que les ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture ont relancé - dans une instruction datée du 2 juillet 2021 - "en catimini et en pleine torpeur estivale pour réduire les distances d’épandage". À défaut d’avoir été entendu dans le cadre des consultations "en trompe-l’oeil" pour lesquelles il appelait au boycott, le collectif d’ONG presse désormais le gouvernement "de faire enfin preuve de responsabilité et de répondre pleinement à l’appel formel du Conseil d’État".
 

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