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Social - Dix ans après, quel bilan pour la loi Handicap ?

Le dixième anniversaire de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées - dite loi Handicap - intervient dans une relative discrétion pour ce qui reste pourtant l'un des grands textes sociaux de ces dernières décennies. Ressources, gouvernance, emploi, scolarisation, accessibilité... dix ans après, qu'en est-il du bilan de ce texte ?

Du côté du gouvernement, l'accueil très mitigé réservé à la dernière conférence nationale du handicap (voir notre article ci-contre du 19 décembre 2014) n'incite peut-être pas à s'aventurer davantage sur ce terrain du handicap - d'où une relative discrétion des pouvoirs publics autour du dixième anniversaire de la loi du 11 février 2005. Du côté des associations, on a tendance à voir les carences, les retards ou les échecs du texte davantage que ses réussites. Du coup, les associations font leur propre bilan de leur côté, avec quelques manifestations autour du thème des ressources des personnes handicapées et de l'accessibilité.
Selon la formule racinienne, la loi de 2005 ne mérite "ni cet excès d'honneur, ni cette indignité". Qu'en est-il, dix ans près sa publication, du bilan d'un texte voté dans une atmosphère de large unanimité et qui a suscité autant d'attentes que d'espoirs ? Quelles en sont les réussites et les zones d'ombre ?

La fin des "invisibles"
Au-delà des différents champs couverts par un texte à l'approche transversale affirmée, il faut au moins tenter un jugement d'ensemble. Globalement, la loi de 2005 a incontestablement fait avancer la cause et la situation des personnes handicapées. Sur la situation des intéressés, les points évoqués ci-après permettent de se faire une idée. Sur la reconnaissance et l'acceptation du handicap par la société, il n'est pas constable que les dix années écoulées ont vu une évolution sensible des mentalités. Des manifestations de riverains - ou des pressions discrètes - pour empêcher l'implantation d'un établissement pour enfants handicapés dans un quartier, par exemple, seraient difficilement imaginables aujourd'hui. Elles n'étaient pourtant pas exceptionnelles il y encore quelques années au motif qu'une telle implantation risquait de déprécier le patrimoine immobilier.
L'engagement de la loi de 2005 sur la citoyenneté des personnes handicapés - expressément évoqué dans l'intitulé du texte - est désormais en passe d'être gagné. Les personnes handicapées ne sont plus des "invisibles" et doivent désormais prendre toute leur place dans la cité. C'est un premier bon point pour la loi de 2005.

Ressources : du mieux, mais le compte n'y est pas
La loi de 2005 a instauré un "droit à compensation" du handicap, notamment sur le plan financier. Celui-ci s'est traduit en particulier par la création de la prestation de compensation du handicap (PCH), financée par les départements avec le concours de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Malgré sa complexité, la PCH constitue une avancée réelle, notamment en raison de la diversité et de l'adaptabilité des aides - humaines ou techniques - qu'elle permet de financer.
Sa montée en charge a été particulièrement laborieuse - au point de faire douter de sa réussite -, mais elle a fini par décoller et poursuit aujourd'hui sa progression. Signe de cette montée en charge : les dépenses d'aide sociale des départements en direction des personnes handicapées ont progressé de 15,6% entre 2009 et 2013, dont +22,7% pour la PCH et l'ACTP.
Autre point positif en termes de revenus, même s'il ne doit rien à la loi de 2005 : la revalorisation de 25% de l'AAH (allocation aux adultes handicapés) entre 2007 et 2012, décidée à l'époque par Nicolas Sarkozy (voir notre article ci-contre du 16 avril 2012). Il reste, que pour les associations, ces mesures sont loin d'avoir sorti les personnes handicapées de leur situation de pauvreté.

Gouvernance du handicap : des dispositifs dédiés
Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) - l'une des grandes innovations de la loi de 2005 - ont fait l'objet de nombreuses critiques. Il est vrai qu'elles n'ont pas été aidées par l'attitude choquante - refus d'accepter la mise à disposition - de nombreux fonctionnaires d'Etat des anciennes Cotorep ou CDES. Les départements ont souvent dû boucher les trous en catastrophe et les recrutements effectués à la hâte ne se sont pas toujours révélés pertinents. Les conflits sur la gouvernance des MDPH n'ont pas arrangé les choses.
Mais aujourd'hui, les MDPH semblent avoir surmonté l'essentiel de ces difficultés et trouvé leur rythme de croisière, en dépit d'une activité toujours orientée à la hausse (+8% pour les demandes en 2013). La CNSA s'est également investie dans le soutien aux MDPH, en termes budgétaires (avec une enveloppe de 60 millions d'euros par an), mais aussi en termes de mise à disposition d'outils méthodologiques. Même si tout est encore loin d'être parfait, la loi de 2005 aura au moins légué deux institutions solides dédiées au handicap : la MDPH et la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), véritables points d'entrée connus et reconnus pour tout ce qui touche à la prise en charge du handicap (sur les MDPH, voir notre article de ce jour lié aux récentes déclarations de Ségolène Neuville).

Emploi : l'échec, mais avec circonstances atténuantes
C'est, sans doute, le principal point noir du bilan de la loi de 2005. Cause ou conséquence : c'est aussi l'un des domaines dans lesquels la loi de 2005 s'est montrée la moins novatrice. Elle s'est en effet contentée de reconduire l'obligation de 6% d'emploi de personnes handicapées, en renforçant à la fois les sanctions et les incitations.
Dix ans après, le bilan est médiocre. Certes, l'alourdissement des sanctions a incité les entreprises à se rapprocher du taux légal de 6%. Il en est de même dans les différentes fonctions publiques, où le taux d'emploi est passé de 3,7% en 2006 à 4,6% en 2013. On notera au passage que la fonction publique territoriale fait la course en tête, avec un taux d'emploi de 5,7% en 2013 (sur ce volet fonction publique, voir notre autre article de ce jour).
Mais ces améliorations, de même que l'accroissement des places dans le secteur du travail protégé, ne sont pas suffisantes. L'emploi des personnes handicapées a subi de plein fouet les effets de la crise économique à partir de 2008. Le nombre de chômeurs handicapés était ainsi de 413.421 en décembre 2013 (et de 427.947 à la fin du mois de juin 2014), contre 205.864 en décembre 2007. Cette progression est très supérieure à celle observée en population générale, même s'il faut tenir compte de l'effet mécanique de la forte croissance du nombre de reconnaissances de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), en hausse de 50% par rapport à 2007.
Derrière cette question du chômage des travailleurs handicapés se cache celle de la formation. Le niveau de formation de ces derniers est, dans l'ensemble, notoirement insuffisant et la situation ne s'est pas vraiment améliorée depuis 2005. Il faudra sans doute attendre que la scolarisation des enfants et des jeunes handicapés produise tous ses effets pour que les choses bougent en la matière.

Scolarisation : le milieu ordinaire devient la règle
A l'inverse de l'emploi, l'intégration scolaire des enfants handicapés peut être regardée comme l'une des grandes réussites de la loi de 2005. Certes, le mouvement d'intégration était engagé avant 2005 et une bonne part des outils étaient déjà en place. Mais la loi Handicap a donné à cette évolution un véritable coup d'accélérateur. Elle a permis de sortir d'une progression routinière pour entrer dans une vraie mobilisation de l'institution scolaire, portée par le ministère comme par les chefs d'établissements. Le nombre d'enfants scolarisés en milieu ordinaire a progressé de plus de 50%, même si des progrès restent à faire dans les activités périscolaires et extrascolaires. Parti de 151.000 en 2005, le nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire a franchi la barre des 200.000 dès l'année scolaire 2010-2011 et continue depuis lors de progresser.
La présence de 28.000 assistants de vie scolaire (AVS) est pour beaucoup dans ce résultat. Au passage, les pouvoirs publics sont parvenus à pérenniser ce statut au départ très fragile et à professionnaliser les titulaires de ces emplois. Depuis la rentrée 2014, les AVS sont en effet devenus des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). 
Ces AESH bénéficient d'un contrat à durée indéterminé (CDI), à temps complet ou à temps partiel. Ils sont recrutés par le recteur d'Académie, "parmi les candidats titulaires d'un diplôme professionnel dans le domaine de l'aide à la personne", alors qu'un niveau bac suffisait jusqu'à présent.

Accessibilité : le débat sans fin
C'est sans nul doute le volet de toutes les polémiques. Mesure-phare de la loi de 2005, l'accessibilité est aujourd'hui la plus âprement contestée ou discutée. Pour comprendre, un petit rappel est nécessaire : emportés par un véritable élan collectif, les parlementaires ont instauré, à travers la loi de 2005, le principe d'une accessibilité universelle. Une mesure généreuse, mais déconnectée de toute considération de coût, de réalisme, voire même de faisabilité technique. Débordé par cet élan - l'épisode coûta son poste à la secrétaire d'Etat de l'époque, Marie-Anne Montchamp -, le gouvernement "laissa filer" le texte.
Sur un plan strictement juridique, les dispositions de loi de 2005 sur l'accessibilité sont un échec. L'échéance du 1er janvier 2015 pour la mise en accessibilité universelle (et du 13 février 2015 pour les transports collectifs) n'a pas été respectée. La mise en place des agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP) n'est rien d'autre que la reconnaissance - réaliste - de cet échec (voir notre article ci-contre du 14 avril 2014). En prolongeant l'échéance de trois, six ou neuf ans selon les secteurs, les Ad'AP reportent l'objectif final, sans pour autant l'abandonner. Par ailleurs, plusieurs textes - souvent très contestés par les associations - sont venus assouplir certaines obligations de mise en accessibilité aux coûts et aux conséquences parfois exorbitants.
Si l'échec juridique de l'accessibilité est patent, qu'en est-il dans la vie quotidienne. La réponse est celle du verre à moitié vide ou à moitié plein. Du côté des associations, on se focalise sur les échecs et les manques. Pourtant, l'Association des paralysés de France (APF) - l'une des plus en pointe dans ce combat - publie chaque année un "baromètre de l'accessibilité" portant sur les cent préfectures de France. Et, chaque année, ce baromètre constate une nouvelle amélioration de l'accessibilité (voir notre article ci-contre du 13 février 2014).
Pour sortir de ce débat récurrent, il faut regarder en termes de flux et non pas en termes de stock. Non, l'accessibilité est loin d'être universelle au 1er janvier 2015. Mais oui, une dynamique s'est instaurée depuis la loi de 2005, qui se traduit chaque année par de nouvelles avancées, qu'il s'agisse des établissements recevant du public (ERP), de la voirie, du logement ou des transports en commun. L'objectif est donc moins de fixer une nouvelle échéance à une hypothétique accessibilité universelle, que de maintenir une dynamique en faveur de la progression de l'accessibilité. C'est précisément ce que les Ad'AP s'efforcent de faire, comme le rappelle la sénatrice Claire-Lise Campion, l'auteur du rapport "Réussir 2015" à l'origine du dispositif. Avec, assure l'élue dans une interview accordée à Localtis, "des améliorations qu'on va pouvoir constater à court terme" (voir notre édition de ce jour).

Santé, Belgique et citoyenneté...
La loi Handicap du 11 février 2005 couvre bien d'autres domaines, que l'on ne peut qu'effleurer ici. L'accès aux soins des personnes handicapées - qui pose des problèmes très spécifiques - a longtemps été le parent pauvre de la loi. Il commence - enfin - à être aujourd'hui pris en compte. La signature récente, par plus de trente organisations, de la "Charte Romain Jacob pour l'accès aux soins des personnes en situation de handicap" marque un progrès indéniable et devrait, si les engagements se concrétisent, engager elle aussi une dynamique en la matière.
De même, l'affaire de la jeune Amélie Loquet a eu le mérite d'enclencher la recherche de solutions et la mise en œuvre d'un dispositif - qui tâtonne encore - pour les enfants handicapés dit précisément "sans solution" (voir notre article ci-contre du 28 octobre 2014). On pourrait en dire autant de l'accord finalement trouvé sur l'accueil d'enfants handicapés français en Belgique, après des années de "bricolage" (voir notre article ci-contre du 4 novembre 2014).
Enfin, on pourrait aussi signaler les progrès accomplis dans l'accès des personnes handicapées à la culture - grâce aux équipements adaptés et au sous-titrage -, ou dans l'exercice de la citoyenneté à travers le vote.
Au final, il ne semble pas exagéré de dire qu'en dépit de ses retards et de ses imperfections, la loi du 11 février 2005 a vocation à rester comme l'un des grands textes du secteur social et qu'elle aura fait avancer la cause et la situation des personnes handicapées.

 

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