En Gironde, les leçons des incendies de 2022 n'ont pas été tirées

Le colloque sur la transition écologique organisé par le CNFPT les 14 et 15 mars à Bordeaux a été l'occasion de revenir sur les terribles incendies qui ont touché la Gironde à l'été 2022. Et de constater que si la coordination avait alors connu quelques fausses notes, rien n'était prêt pour affronter une nouvelle crise de la même ampleur.

"On n'a pas pris les mesures pour que ce qui s'est passé l'été dernier ne puisse pas se reproduire. On n'a rien préparé." À l'heure de tirer les leçons des dramatiques incendies qui ont ravagé la Gironde en 2022, Alain Rousset, président du conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine, n'a pas mâché ses mots devant les participants au colloque national sur la transition écologique organisé à Bordeaux les 14 et 15 mars par le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale).

De juillet à septembre 2022, des feux de forêt ont ravagé 30.000 hectares de forêt, notamment sur les communes de Landiras, Saumos et La Teste-de-Buch (voir notre article du 25 juillet 2022). Dans des circonstances parfois extrêmes, des centaines d'agents et élus territoriaux, mais aussi des citoyens, se sont mobilisés pour aider les personnes évacuées et les pompiers.

Pourtant, cette participation fut tout sauf évidente. "Le département a la charge des solidarités humaines, mais nous n'avons pas été interpelés par l'État, a déploré Jean-Luc Gleize, président du conseil départemental de la Gironde. Nous sommes entrés dans le processus car il fallait le faire. Quand on ouvre le domaine départemental d'Hostens pour servir 2.000 repas, matin, midi, soir et nuit, cela n'est prévu dans aucun plan, c'est juste notre volonté spontanée à ce moment-là car je vois les maires et les bénévoles s'épuiser dans les communes."

Le département "invisible" dans l'organisation de la sécurité civile

À Bordeaux, les souvenirs sont à peu près semblables : "On n'était pas prêt pour nourrir les pompiers. Le Sivu de Bordeaux-Mérignac [syndicat intercommunal à vocation unique, qui gère la cuisine centrale, ndlr] produit 23.000 repas par jour, mais il n'était pas repéré comme outil en cas de gestion de crise", a confié Delphine Jamet, adjointe au maire chargée de l'administration générale, de l'évaluation des politiques publiques et de la stratégie de la donnée. Pour elle, "il y a moyen de mieux se coordonner."

La coordination en matière de secours et de gestion de crise, c'est justement le cheval de bataille de Jean-Luc Gleize, qui "revendique" que l'on mette en place aux côtés des plans communaux de sauvegarde – "quand ils existent et quand ils sont activés, ce qui n'est pas forcément le cas" – un plan départemental de sauvegarde, car "aujourd'hui, le département est une échelle qui est invisible dans l'organisation de la sécurité civile". Invisible sur le papier mais qui, heureusement, se fait connaître sur le terrain. Jean-Luc Gleize : "Quand les feux se sont déclenchés à Saumos, quelques jours après ceux de La Teste et de Landiras, très naturellement, on est venu nous demander de produire les repas pour les livrer dans le Médoc. Mieux vaut formaliser cette organisation, la partager collectivement pour pouvoir agir rapidement." Et tant qu'il y est, le chef de l'exécutif girondin estime que c'est une "aberration" que la DFCI (défense de la forêt contre les incendies) ne soit pas placée sous le commandement du directeur du Sdis.

"Amnésie collective"

Au-delà de l'organisation des secours pendant une crise, les débats ont aussi tourné autour de la prévention. Une prévention rendue difficile par un phénomène étrange pointé par Jean-Luc Gleize : "Il y a une prise de conscience au moment de la crise elle-même, puis après, une forme d'amnésie collective. Il n'y a pas grand-chose qui a été fait depuis l'été dernier." Phénomène qui n'est d'ailleurs pas nouveau. Après les tempêtes Martin, de décembre 1999, et Klaus, de janvier 2009, qui ont dévasté 400.000 hectares de forêt en Gironde, soit des proportions largement plus importantes que celles des incendies, la question du devenir de la forêt des Landes, plus grand massif résineux d'Europe, s'était évidemment posée. Comment la rendre plus résiliente ? s'était-on alors demandé. "Malgré tout, les choses se sont reproduites en l'état, les pins ont été replantés avec des logiques productivistes alors que cette forêt est extrêmement vulnérable", a constaté Jean-Luc Gleize.

De l'avis unanime, cette forêt doit évoluer. "Il faut qu'on prenne des mesure structurelles, a avancé Alain Rousset. L'avenir de la forêt, ça s'appelle la forêt bocagère. Ce ne sera plus une forêt totalement plantée, telle qu'on la connaît aujourd'hui. Si on veut muter vers l'écologie, on a besoin de bois. Il faut donc garder la forêt mais la cultiver autrement, repenser son drainage, repenser ses essences. Il y a cette petite révolution à faire." Une révolution rendue possible par les outils modernes de surveillance mais qui doit également passer, selon le président de la région Nouvelle-Aquitaine, par la "massification" de la transition climatique, autrement dit, "que tout le monde se sente à son niveau responsable". Une formule qui a ouvert le procès de la décentralisation… ou plutôt de ses carences.

"L'État veut garder tous les pouvoirs"

Alain Rousset a en effet fustigé notre "modèle centralisé" : "Le problème, c'est qu'on ne sait pas qui fait quoi en France. L'État voulant garder tous les pouvoirs, le département se retrouve responsable du Sdis en matière de ressources humaines ou de financement, mais il n'est pas responsable de son action. Ce système de multi-interventions retarde la décision publique. La République décentralisée, elle existe dans la Constitution, pas dans les faits."

Et le chemin est encore long si l'on en croit Delphine Jamet : "Au moment où l'on a prévu des délestages d'électricité pour les mois de janvier et février 2023, notre Sivu n'était pas pris en considération comme lieu essentiel en cas de crise."