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États généraux du numérique pour l'éducation : un besoin de concertation et de territorialisation

La journée d'ouverture des États généraux du numérique pour l'éducation, le 4 novembre 2020, a été l'occasion d'un vaste tour d'horizon des visions de la part d'acteurs aussi différents que les éditeurs ou les collectivités territoriales. Il en ressort un fort besoin de concertation pour surmonter les obstacles apparus lors du confinement du printemps dernier.

 

C'est à un grand exercice pratique que se sont livrés les participants des États généraux du numérique pour l'éducation (EGN). L'évènement devait avoir lieu à Poitiers les 4 et 5 novembre 2020. Si les dates ont été maintenues, c'est à distance, par ordinateur interposé, que l'on s'est parlé. Comme dans une classe virtuelle.
Ces deux jours sont l'aboutissement d'un processus entamé dès le mois de juin par le ministère de l'Éducation nationale, d'abord par le biais d'EGN territorialisés qui se sont appuyées sur 400 rencontres durant lesquelles 10.000 personnes ont pu échanger. Le but ? Tirer les enseignements du confinement des mois de mars, avril et mai, qui ont conduit une grande partie des élèves français à suivre massivement des cours à distance pour la première fois de notre histoire. Premier bilan ? Les 610 propositions nées des contributions sont résumées en trois mots par Florence Biot, pilote des EGN pour le ministère de l'Éducation : "Besoin de concertation."

Chacun voit midi à sa porte

Les acteurs du numérique éducatif ne se parlent-ils pas ? La réponse est évidemment à nuancer. Mais les tables rondes de cette première journée mettent parfois en avant une vision autocentrée de la question. Prenons Édouard Geffray, directeur général de l'Enseignement scolaire. À rebours de très nombreuses analyses faites sur la base de l'expérience du confinement (lire notre article du 3 novembre 2020), il a estimé que "passer par la classe virtuelle peut réduire les inégalités". Prenons les acteurs privés (association Les Éditeurs d’Éducation, Afinef, EdTech France ou Syntec numérique). Ils en appellent tous à un développement et, surtout, à une pérennisation du "marché du numérique éducatif". Ils rêvent de voir leurs solutions et contenus librement – mais pas gratuitement – accessibles par les enseignants eux-mêmes. Comment ? À travers une cagnotte alimentée par l'État, les collectivités territoriales… et des fondations privées. Quant aux géants du secteur, les Gafa, ils imaginent aussi manger une part du gâteau. Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé, a glissé cette anecdote : "Au début du confinement, Youtube et Amazon m'ont contactée pour me demander si nous souhaitions mettre nos données en ligne sur leurs plateformes." Les élus locaux voient aussi dans le numérique éducatif un levier d'action politique. Léonore Moncond’huy, maire écologiste de Poitiers, affirme sa croyance en un numérique responsable, tant sur le plan social qu'en termes d'impact environnemental. Stanislas Dehaene, président du conseil scientifique de l’Éducation nationale, s'est chargé de ramener tout le monde sur terre : "Il n'y aura pas de grand soir du numérique."

Les collectivités, payeurs devenus acteurs

Le pragmatisme est alors revenu avec fracas dans les débats. Les représentants des collectivités territoriales ont porté le fer. Kamel Chibli, vice-président de la région Occitanie chargé de l’éducation et président de la commission de l'éducation de Régions de France, a rappelé que "les collectivités sont les seules institutions à investir dans les équipements numériques des élèves, alors même que ce n'est pas obligatoire (lire notre article du 16 septembre 2020)." Ce volontarisme déborde même parfois le cadre traditionnel d'intervention des collectivités. Virginie Lanlo, adjointe au maire de Meudon et membre de la commission de l'éducation de l'AMF, a confié que sa commune avait équipé les directeurs d'école au moment du premier confinement. Et l'élue d'affirmer avec force que "les collectivités sont désormais des acteurs de l'éducation et non plus des payeurs." La différence entre un "acteur" et un "payeur" ? Elle consiste précisément à prendre la parole et à participer aux décisions.  Autrement dit, à entrer dans la concertation…
Cette concertation, Jean-Marc Merriaux, directeur du numérique pour l’éducation au ministère de l'Éducation nationale, l'appelle de ses vœux. Il l'a même conceptualisée à travers la notion de "communs numériques", ou la construction collective d'outils numériques éducatifs. Pour lui, cette recherche de solutions collectives est "le principe même de la concertation avec les collectivités". Cet ancien directeur général du Réseau Canopé insiste : "La question numérique doit se penser au plus près des territoires, c'est un des enseignements de ces derniers mois, du confinement. Il faut cibler finement l'aide qu'on peut apporter, notamment aux familles."

"Réinjecter de la collectivité territoriale"

Les termes du débat clairement définis, Nicolas Turcat, directeur du programme Éducation, inclusion et services au public de la Banque des Territoires, a pris la balle au bond. Pour lui, les EGN territorialisés ont mis en avant "une demande d'accompagnement pour faire des choix, simplifier le numérique, le rendre plus accessible et plus inclusif". Et l'une des principales solutions passe par "réinjecter de la collectivité territoriale". Plus concrètement, la Banque des Territoires entend agir en s'appuyant sur quatre convictions. D'abord prioriser les investissements pour réduire les fractures numériques (connectivité, équipements…). Ensuite, aller plus loin dans la territorialisation de stratégies de développement, en partageant des objectifs, réaliser des projets ensemble, sortir des carcans, établir une gouvernance plus proche, plus transverse. Également en proposant des services plus proches, en mettant à disposition des outils plus simplement, de manière plus fluide. Enfin en capitalisant sur les programmes existants (Action cœur de ville, etc.). "Il y a de l'argent, il faut l'agréger pour en faire des projets territoriaux", a martelé Nicolas Turcat, avant de conclure : "La Banque des Territoires est à la disposition de l'État et des collectivités territoriales pour concrétiser les choses. Nous avons publié un livre blanc (lire notre encadré ci-dessous), il ne faut pas hésiter à le consulter."

Les propositions de la Banque des Territoires pour accélérer le développement du numérique éducatif

Quelles leçons tirer du premier confinement qui a plongé l’Éducation nationale dans l’enseignement à distance ? Et, surtout, comment accélérer le numérique éducatif ? Ce sont les questions qui animent les États généraux du numérique (EGN) pour l’éducation qui se tiennent les 4 et 5 novembre et que la Banque des Territoires étudie dans son livre blanc publié à cette occasion, le 4 novembre. Cette dernière se propose "d’accompagner cette transformation" dans le but de "faire le pont entre différents maillons du numérique éducatif" - enseignants, établissements, collectivités, ministère, familles, associations - et "d’apporter des solutions concrètes".  Pour ce faire, La Banque des Territoires a d’abord mis le doigt sur "trois freins majeurs" limitant les usages numériques depuis le début de la crise sanitaire. Elle identifie "des fractures sociales et territoriales face au numérique éducatif", des "difficultés de coordination au niveau local" et "un écosystème encore peu développé". En partant de ces constats, elle a ensuite rédigé des "propositions d’orientation non engageantes", sur la base des remontées de terrain. Il s’agirait tout d’abord, "d’intensifier le déploiement du numérique dans les territoires en garantissant l’accès aux réseaux dans chaque école et établissement scolaire en particulier en milieu rural". Concrètement, elle propose de façonner "des projets numériques collaboratifs sur les territoires et en éclairer les décisions locales avec une deuxième version d’eCarto, son observatoire territorial du numérique éducatif. Le second axe vise à "garantir l’inclusion numérique des élèves et des familles en soutenant des tiers-lieux d’accompagnement des familles en situation de fracture ; en mettant à disposition des ordinateurs reconditionnés et en prenant en charge la connexion internet des élèves défavorisés".
Enfin, elle souhaite mettre en place un chèque et un référentiel de ressources et services EdTech accessibles pour chaque enseignant qui permettraient de "soutenir et accélérer l’innovation en matière de numérique éducatif". Elle suggère de monter "une coalition française des investisseurs, des banques, des bureaux de gestion de patrimoine et des mutuelles afin d’accélérer le marché de l’éducation". Elle propose de mener "une campagne d’investissement dans des solutions EdTech inclusives, souveraines et à fort impact". Tout un programme. 
V.F. / Localtis