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Face aux difficultés croissantes du Dalo, la Cour des comptes appelle à une réforme de fond

La Cour des comptes consacre un rapport au droit au logement opposable (Dalo) créé il y a quinze ans. Elle estime que le dispositif s'est enlisé, pour de multiples raisons. Dont le traitement indifférencié des demandeurs, qui conduirait le Dalo à se substituer aux "obligations normales des bailleurs sociaux et au droit commun en matière de mutation au sein du parc social". Une quinzaine de recommandations sont formulées : garantir la primauté effective du Dalo, le recentrer pour en faire un "recours ultime", simplifier les procédures... et "responsabiliser les acteurs", dont les collectivités et les bailleurs.

Dans un rapport public thématique publié le 26 janvier, la Cour des comptes revient sur la question du droit au logement opposable (Dalo). Elle s'était déjà penchée sur le sujet dans un référé – sévère – rendu public en mars 2017, à l'occasion du dixième anniversaire de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (voir notre article du 9 mars 2017). Le rapport qui vient d'être publié, plus exhaustif qu'un simple référé, confirme les critiques, en évoquant notamment "une effectivité partielle" du dispositif, tout particulièrement en Île-de-France, et en pointant "un enlisement à bas bruit". Un constat qui conduit le rapport à proposer une quinzaine de recommandations, dont certaines plus radicales que de coutume dans les publications de la Cour.

Plus de 60% des demandes concentrées en Île-de-France

L'une des particularités du Dalo, qui n'est sans doute pas étrangère à ses difficultés, est que seul l'État est débiteur du droit au logement opposable – au sens où il assume la responsabilité financière des non relogements –, alors que la mise en œuvre de ce droit repose sur l'ensemble des réservataires : préfectures, mais aussi Action logement, collectivités territoriales et bailleurs sociaux (voir encadré ci-dessous).

Après avoir souligné que le Dalo constitue un outil unique en Europe et dans le monde (ce qui laisse aussi entendre, a contrario, que d'autres pays arrivent à traiter le problème de l'accès au logement avec d'autres dispositifs), le rapport rappelle que depuis l'entrée en vigueur de ce droit le 1er janvier 2008, près de 1,3 million de demandes de reconnaissance d'éligibilité ont été déposées auprès des commissions départementales de médiation (Comed). Or plus de 60% de ces demandes ont été déposées en Île-de-France, ce qui témoigne de la très forte concentration géographique du problème. Par ailleurs, les demandes Dalo représentent 2,7% du total des demandes de logement social contre 4,15% en 2015, ce qui traduit moins une efficacité du dispositif qu'une "amplification de la tension sur la demande de logements sociaux".

En termes de bilan, 333.724 ménages ont été reconnus éligibles entre 2008 et 2020, dont 63% ont bénéficié d'une offre adaptée de relogement proposée par l'État. Mais 70.000 d'entre eux (23%) étaient toujours en attente d'une solution à la fin du mois de février 2021. Là aussi, la situation est particulièrement dégradée en Île-de-France, où près d'un tiers des ménages éligibles sont toujours en attente.

130 millions d'euros d'astreintes en cinq ans

Un autre constat du rapport concerne la "mise en cause croissante de la responsabilité de l'État", avec une utilisation accrue du recours en injonction pour carence et du recours indemnitaire, effectués par les ménages reconnus éligibles et en attente d'une proposition et par les associations qui les accompagnent. Entre 2015 et 2020, l'État a ainsi versé près de 130 millions d'euros au titre des astreintes, qui alimentent le FNADVL (fonds national d'accompagnement vers et dans le logement). Mais de son côté, "dans un contexte de dialogue déjà difficile avec les acteurs du logement social", l'État ne fait pas appel aux dispositifs de sanction prévus par la loi.

Cette situation aboutit à "un enlisement à bas bruit résultant d'une conjonction de facteurs". Le rapport pointe ainsi le traitement indifférencié des demandeurs, selon qu'ils sont déjà ou non installés dans le parc social, ce qui "accrédite l'idée que le Dalo se substitue aux obligations normales des bailleurs sociaux et au droit commun en matière de mutation au sein du parc social". Autre dysfonctionnement mis en avant par la Cour des comptes : la "fragilité" des commissions de médiation. Malgré les efforts de formation et d'harmonisation des pratiques, les disparités entre départements persistent et la présidence de ces commissions reste peu attractive, ce qui nécessiterait un renforcement de leurs compétences. Enfin, le rapport souligne l'insuffisance de l'accompagnement des ménages, en amont comme en aval des décisions. Au final, la Cour des comptes constate "l'accentuation des difficultés" déjà pointées dans son référé de 2017, notamment en Île-de-France, d'où le risque "que le Dalo devienne de plus en plus un droit source de désillusions grandissantes".

Rendre plus effective la primauté du Dalo

Tout en n'ignorant pas les difficultés liées à des facteurs exogènes comme l'insuffisance de l'offre de logements locatifs abordables, la Cour appelle donc à "une évolution du cadre juridique et des modalités de mise en œuvre opérationnelle du Dalo". Elle formule pour cela treize recommandations, regroupées en cinq grandes orientations. La première d'entre elles consiste à garantir la primauté effective du Dalo. Pour cela, le rapport recommande d'harmoniser les dispositions juridiques actuelles – et notamment les ambiguïtés autour du terme de "désignation" – afin que "la désignation par le préfet d'un ménage attributaire d'un Dalo vaille injonction à reloger". De même, les mécanismes de cotation des demandes de logement social – en cours de réforme – doivent reconnaître systématiquement la primauté du Dalo, au besoin en inscrivant cette obligation dans un texte réglementaire. Enfin, il conviendrait d'introduire dans la loi de 2007 l'obligation, pour les commissions de médiation, de proposer un autre logement ou un loyer adapté aux ménages Dalo dont la candidature a été écartée au motif de revenus insuffisants ou d'objectifs législatifs de mixité sociale.

La seconde orientation consiste à "recentrer le Dalo pour en garantir le caractère de recours ultime". Ceci suppose notamment de supprimer, pour les requérants déjà locataires du parc social, le critère d'éligibilité au Dalo fondé sur le délai anormalement long d'obtention d'un logement social. Pour la Cour, il s'agit en l'occurrence d'écarter le risque de détournement des procédures de droit commun pour les mutations au sein du parc social. De même, la loi devrait faire primer la notion d'urgence, en précisant deux étapes distinctes : d'abord, la vérification de l'appartenance à l'une des catégories prévues par la loi pour bénéficier du Dalo ; ensuite, la mesure de l'urgence pour le ménage demandeur. Il conviendrait également d'introduire dans la loi une procédure de caducité afin de traiter la situation des ménages ayant refusé une offre de proposition adaptée, au sens des dispositions règlementaires. C'est ce qu'a entreprise la Drihl en Île-de-France en sollicitant l'avis de la commission de médiation avant de notifier aux ménages concernés que l'État s'estime délié de son obligation à leur égard.

Plus d'avis préalable du maire sur le relogement et des sanctions pour les bailleurs

La troisième orientation préconise de renforcer l'accompagnement des ménages, en proposant systématiquement un tel accompagnement en amont et en aval de la décision de la commission et en l'adaptant à la situation de chaque ménage. La quatrième orientation préconise de spécialiser et de simplifier les procédures. Plusieurs mesures sont recommandées à ce titre, comme le renforcement des présidences (à confier à d'anciens magistrats ou professionnels du droit) et des moyens des commissions, ainsi que le regroupement, interdépartemental ou régional, des moins sollicitées d'entre elles. De même, la Cour recommande de supprimer l'avis préalable du maire sur le relogement d'un ménage Dalo (puisque cet avis préalable n'est pas sollicité pour l'attribution de droit commun des logements sociaux) et de supprimer également le principe de l'audience obligatoire devant le juge administratif pour les recours contentieux en injonction visant à constater la carence de l'État dans le relogement d'un ménage reconnu éligible au Dalo (dans la mesure où cette audience "n'apporte aucune valeur ajoutée").

Enfin, la cinquième orientation consiste à responsabiliser les acteurs. Trois mesures sont recommandées à ce titre. D'abord, confier aux préfets de région la possibilité de proposer un relogement en dehors du département, lorsque les spécificités territoriales permettent de l'envisager et en tenant compte des contraintes des ménages. Ensuite, "confier dans la loi aux préfets de département la possibilité de sanctionner financièrement les bailleurs refusant, sans motif valable, d'attribuer un logement aux ménages Dalo désignés par le préfet". Ce pouvoir de sanction viendrait compléter le pouvoir de substitution dont le préfet dispose déjà. Enfin, et dans le même esprit, la Cour recommande d'adapter les systèmes d'information, "afin de permettre de mesurer précisément le respect par les collectivités territoriales, Action logement et les bailleurs de leurs obligations en matière de relogement des ménages Dalo".

  • USH : l'offre de logements plutôt que la concurrence entre les plus pauvres

L'USH (Union sociale pour l'habitat) avait déjà vivement réagi, il y a sept mois, au rapport de la Cour des comptes sur "Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise", qui estimait notamment que "les logements sociaux ne remplissent plus leur mission d'intérêt général, à savoir loger les plus précaires" (voir notre article du 21 juin 2021). Elle récidive, sur un thème finalement assez voisin, avec la publication du rapport sur la Dalo. Dans un communiqué du 26 janvier, le jour même de la présentation du rapport, l'USH indique "préférer le développement de l'offre de logements à la mise en concurrence des plus pauvres". Pour Emmanuelle Cosse, la présidente de l'USH, "la question du Dalo doit retenir toute notre attention, et elle mérite mieux que la mise en cause un peu facile, par la Cour des comptes, des bailleurs sociaux". Rappelant que 44% des 450.000 logements sociaux attribués chaque année le sont à des ménages vivant sous le seuil de pauvreté, elle estime que "le problème n'est donc pas d'organiser la concurrence entre les ménages les plus pauvres comme semble le suggérer la Cour des comptes, mais de développer une offre de logements neufs, avec des loyers bas, et de contraindre plus fermement encore les collectivités qui ignorent sciemment les obligations de la loi SRU à accepter la construction de logements sociaux".

Des arguments qui figurent aussi, mais en beaucoup plus développés et étoffés, dans la réponse de l'USH aux observations de la Cour des comptes, publiées dans les annexes du rapport (pages 116 à 123). La présidente de l'USH y reproche, entre autres, à la Cour des comptes de ne pas évoquer les obligations des bailleurs vis-à-vis d'autres publics prioritaires (13 catégories au total), de ne pas proposer de revalorisation de l'APL "qui est par essence l'outil de solvabilisation des ménages modestes", ou encore de préconiser des sanctions financières à l'encontre des organismes HLM "sans en préciser les modalités de mise en œuvre et quand bien même ils ne disposeraient pas des offres adaptées à la situation des ménages". Au final, la présidente de l'USH estime, dans ses réponses à la Cour, que "les recommandations du rapport conduisent à un transfert de la responsabilité de la mise en œuvre du Dalo de l'État vers les organismes HLM".

 

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