Filière bois : les nouvelles pistes du Sénat pour une meilleure valorisation de la ressource issue des forêts

Produits bois à valoriser davantage, obstacles à lever pour développer l’industrie de la transformation, besoin de planification et de régulation pour assurer le "bouclage biomasse" à l’échelle territoriale et nationale, mobilisation du bois en forêt à ajuster au profit d’objectifs plus pertinents de transformation et de puits de carbone, prise en compte des conséquences du changement climatique sur la ressource… : adopté ce 9 juillet, un rapport de la commission des affaires économiques du Sénat passe en revue les multiples défis à relever pour accroître la compétitivité de la filière bois française.

Comment expliquer qu’un dixième du déficit commercial de la France (8,5 milliards d’euros) soit imputable aux produits bois, alors qu’un tiers de la superficie hexagonale est recouverte de forêts (17,5 millions d’hectares) ? Les sénateurs Anne-Catherine Loisier (Côte d'Or-UC) et Serge Mérillou (Dordogne-SER) ont une nouvelle fois posé l’énoncé du problème dans leur rapport d’information sur la compétitivité de la filière bois française adopté par la commission des affaires économiques ce 9 juillet.  

Un précédent rapport de la Haute Assemblée pointait l’an dernier "un enchevêtrement de politiques et de dépenses publiques sans qu'on puisse paradoxalement identifier une politique forestière" tandis que la Cour des comptes appelait aussi en 2020 à "promouvoir une politique de filière cohérente". Plus de trois ans après la clôture des Assises de la forêt et du bois, la mission d’information du Sénat a cherché à "comprendre les leviers à activer et obstacles à lever pour la compétitivité de l’aval de la filière" après avoir entendu en deux mois plus de 60 acteurs et s’être déplacée dans 5 sites industriels en Alsace et en Allemagne.

Davantage d'emplois que dans l'industrie automobile

"Discrète mais stratégique, cette filière représente 440.000 emplois, soit davantage que l'industrie automobile, et irrigue l'ensemble du territoire", a rappelé Anne-Catherine Loisier lors de la présentation du rapportComme d’autres filières industrielles, elle "va au-devant de grandes mutations", a insisté la corapporteure. Mais alors qu’elle pèse à elle seule pour 10% du déficit commercial du pays, l'agriculture et l'agroalimentaire, pourtant jugés en difficulté, restent excédentaires à hauteur de 5 milliards d'euros, a souligné la sénatrice avant de citer un autre rapport sénatorial de 2015  qui évoquait déjà un "modèle de pays en développement". La France exporte ainsi sa matière première pour la voir revenir sous forme de produits finis - ameublement et parquet, notamment.

Comment une forêt plus étendue que celle de l'Allemagne peut-elle générer un déficit aussi important ? Comment optimiser la valorisation de la ressource bois issue des forêts au bénéfice de l’économie ? En cherchant à répondre à ces questions, les sénateurs ont formulé 24 recommandations. Avec comme parti pris une approche centrée sur l'économie de la filière bois – les transformateurs de bois -, autrement dit l’aval de la filière -,  le choix de cinq produits emblématiques comme portes d’entrée, plutôt que de refaire un énième rapport global, et la volonté de faire du bois, matériau bas carbone, "un levier pour réconcilier écologie et économie". "L'optimisation du rendement matière est à la fois une exigence environnementale, pour allonger la durée de vie des produits bois, et un défi de compétitivité, pour créer plus de valeur ajoutée, qui doit tous nous mobiliser", a soutenu Serge Mérillou.

Cinq produits à la loupe

Le premier produit étudié dans le rapport est la façade et le mur à ossature bois. "Le bois d'oeuvre charpente toute la filière par sa forte valeur ajoutée, a relevé le sénateur. Or la France accusait un retard important sur le volume de bois séché et sur les bois techniques par rapport à l'Allemagne ou à l'Autriche. Avec l'accent mis sur le triptyque scier-sécher-transformer, nous avons rattrapé une petite partie du chemin depuis 2020. À titre d'exemple, la première usine de lamibois de France est en train de sortir de terre en Haute-Loire. La part de bois dans la construction neuve reste cependant faible - moins de 7% -, freinée non tant par le coût que par un manque d'acculturation des maîtres d'ouvrage." Sur ce créneau, les sénateurs recommandent notamment de faciliter la reconnaissance des solutions d'effet équivalent aux normes incendie, un dossier qui a fait prendre du retard à la France, estiment-ils. Ils veulent aussi encourager les collectivités à bonifier les isolants biosourcés en complément de MaPrimeRénov', ce que préconisait déjà le rapport de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique de Guillaume Gontard et Dominique Estrosi Sassone , rappellent-ils. "À terme, il faudra sans doute élargir la réglementation environnementale 2020 (RE2020) à la rénovation, car 80% de la ville de demain est déjà construite", a ajouté Serge Mérillou.

Deuxième produit étudié : l'ameublement et le parquet. "Plus de 3 milliards des 8,5 milliards d'euros de déficit proviennent du seul ameublement, a-t-il souligné. La part du meuble français sur notre marché est passée de 77% à 37% en vingt-cinq ans. Ce recul s'amplifie aujourd'hui avec la ‘fast déco' importée à bas coût". Sur ce type de produit, les sénateurs préconisent des "mesures d'urgence pour temporiser - frais de 2 euros par colis, contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), communication négative sur les non-conformités constatées - et surtout le recours à la réglementation antidumping européenne, qui devrait devenir plus automatique, pour riposter".

La palette est, elle, un segment où la France est bien positionnée, observent les sénateurs. "Elle constitue aussi un bon levier de diversification pour les scieries et un vecteur de contrôle de la chaîne logistique pour notre industrie", note Serge Mérillou.

Le quatrième produit passé au crible, le papier pour carton ondulé, la papeterie est à l’opposé le premier poste de déficit bois, à hauteur de 4 milliards d'euros. Après avoir visité le site de production Blue Paper à Strasbourg, les sénateurs se disent convaincus qu'il est possible de maintenir ce type de site en France. "Mais dans ce secteur, très internationalisé, les arbitrages dépendent beaucoup des coûts de production, et notamment du coût de l'énergie. Le cadre post-Arenh, c'est-à-dire après l'instauration du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, sera donc déterminant", met en garde Serge Mérillou.

Quant au cinquième produit, les granulés bois, "trois fois moins chers que l'électricité", ils sont considérés par les corapporteurs comme "une solution réaliste de transition énergétique, notamment dans les zones non raccordées au gaz et pour remplacer des foyers peu performants à des fins d'amélioration de la qualité de l'air". Ils préconisent à cette fin une meilleure reconnaissance des projets respectant ces deux conditions dans MaPrimeRénov'.

Des défis transversaux à relever

Les sénateurs se sont aussi intéressés aux défis transversaux de la première transformation. "Le bois souffre des maux classiques de l'industrie française : fiscalité peu incitative, voire discriminante, et charges sociales élevées, a expliqué Anne-Catherine Loisier. Un basculement vers une fiscalité plus environnementale bénéficierait à ce matériau. Une taxe carbone aux frontières permettrait aussi de limiter l'importation de produits beaucoup plus émissifs, à l'instar du parquet transformé en Chine, qui émet quatorze fois plus de CO2 que celui qui est transformé en France", a développé la sénatrice. 

L’élue de Côte d’Or juge également "cruciale" la question des compétences. "Il y a pénurie dans les métiers du bois, mais aussi, et surtout, dans la maintenance et l'électromécanique. Les propositions du rapport Bozio-Wasmer sur la ‘désmicardisation’  (...), devraient permettre de mieux cibler les exonérations sur l'emploi intermédiaire et donc industriel", estime-t-elle.

Plus spécifiques à la filière, deux grands types de normes entravent ou risquent d'entraver la compétitivité du bois français, met en garde la sénatrice. Tout d'abord, sur la traçabilité, le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE) entrera en vigueur le 30 décembre 2025. "La France continue seule contre vingt-quatre États membres à le défendre, car il s'agissait d'une mesure miroir adoptée sous présidence française de l'Union européenne", souligne la sénatrice. "Alors qu'il s'agissait de lutter contre la déforestation importée et l'huile de palme, nous risquons d'imposer plus de contraintes à nos entreprises : nous marchons sur la tête..." "En effet, poursuit-elle, 100% de nos entreprises seront assujetties à ces normes, mais seules les filières exportatrices des États tiers le seront. L'incidence sur la compétitivité de nos productions sera majeure." Sans rouvrir le texte en tant que tel pour ne pas créer d'insécurité juridique, les sénateurs formulent donc quatre propositions d'aménagement de ce règlement

Le fait d’avoir soumis le bois à la responsabilité élargie du producteur du bâtiment (REP PMCB) alors qu’il représente une ressource importante en volume met aussi en difficulté les producteurs, jugent les sénateurs. Pour ne pas créer de distorsion de concurrence défavorable au bois, ils estiment que cette REP devrait inclure l’abattement sur les matériaux performants en matière de valorisation des déchets et sur les produits biosourcés, tel que le Sénat l’a déjà voté, pour réduire l’écocontribution sur les déchets bois.

"Au-delà de ces deux dossiers, il y a les normes du quotidien "qui imposent parfois une forme de harcèlement administratif à certaines de nos industries", selon Anne-Catherine Loisier. Les sénateurs ciblent tout particulièrement les normes de sécurité "appliquées parfois sans discernement par les Dreal" et, surtout, "des difficultés croissantes d’assurabilité en l’absence d’un système coûteux de sprinklage [installation permettant d'envoyer automatiquement de l'eau sur tout début d'incendie, ndlr], les assureurs désertant le secteur".

La mission propose donc des rendez-vous territoriaux de la simplification avec les élus locaux dans le premier cas. "Pour les grands groupes, des captives, formes d'auto-assurance, peuvent exister et pourraient être accompagnées par les pouvoirs publics, avance Anne-Catherine Loisier. Mais pour les petites et moyennes entreprises (PME), il faudrait faire reconnaître aux assureurs la validité de solutions alternatives au sprinklage, de moindre envergure et donc moins coûteuses, comme les détecteurs de fumée précoces."

Enfin, "la modernisation des outils industriels est essentielle", soulignent la co-rapporteure. "Les appels à projets France 2030 centrés sur l'industrie du bois ont permis, avec 500 millions d'euros d'argent public, de générer 2 milliards d'euros d'investissements privés et de créer 3 000 emplois en l'espace de trois ans. Ce fort effet de levier témoigne d'un besoin d'investissements majeur dans cette industrie et justifie la poursuite du dispositif", estime-t-elle. Mais "dans un contexte budgétaire contraint, à défaut, une alternative serait la provision pour investissement, sur le modèle allemand", poursuit-elle alors que "l'ensemble des acteurs pousse fortement en ce sens". "Elle préserverait une dynamique d'investissement, pour les grandes comme pour les petites scieries, lesquelles sont souvent hors d'atteinte des appels à projets, avec des critères beaucoup plus simples", met elle en avant.

Importance du "bouclage biomasse"

Le troisième volet du rapport concerne le "bouclage biomasse". "Le principe européen de 'cascade des usages' correspond d'abord à un bon usage économique de la ressource, rappelle la corapporteure. Naturellement, la charpente est mieux payée que la palette, elle-même mieux payée que le bois de chauffage. Dans la transposition de la directive dite RED III du 18 octobre 2023, nous préconisons donc de ne pas aller au-delà de ce que font nos voisins. Si nous imposons des contraintes supplémentaires, nos industries auront du mal à résister."

"Si l'essor du bois-énergie prive d'approvisionnement d'autres usages, il faut plutôt agir sur le signal-prix, poursuit-elle. Par exemple, nous pourrions rééquilibrer, dans l'ensemble des appels à projets bénéficiant au bois, le financement qui va aux usages ‘matière’" -:il n'est aujourd'hui que de 25%, en raison notamment du poids de l'appel à projets ‘biomasse chaleur pour l'industrie, l'agriculture et le tertiaire’ (BCIAT), qui subventionne des unités de biomasse pour décarboner l'industrie. "Nous préconisons de rééquilibrer ces financements publics et de tendre à 50% afin d'éviter que l'usage pour le bois-énergie ne soit mieux rémunéré qu'un usage long", indique la sénatrice.

"Par ailleurs, nous demandons de faire preuve de vigilance sur certains appels d'air qui devraient être objectivés et mieux encadrés, en se penchant mieux sur la question des volumes dans le temps, ajoute Anne-Catherine Loisier. Ainsi, la centrale de Gardanne doit être accompagnée en douceur vers l'arrêt de son activité dans huit ans. Il faut être clair quant au fait que la filière ne pourra durablement fournir les volumes suffisants pour les carburants d'aviation durables, dits SAF (Sustainable Aviation Fuel), à base de bois, au-delà de 2030. Enfin, le choix de décarboner certains des cinquante plus grands sites industriels par la biomasse solide doit être envisagé au cas par cas. Il faut bien faire la part des choses."

Les cellules régionales biomasse doivent quant à elles être "renforcées", et leur expertise "consolidée". "La régulation des projets nouveaux, en lien avec les professionnels des territoires, par des avis conformes de ces cellules sur les décisions du préfet portant sur les plans d'approvisionnement, permettrait à la fois de sécuriser la filière et de valoriser les usages matière, plus créateurs de valeur", estime la co-rapporteure.

Alors que la très ambitieuse trajectoire d'augmentation de 12 millions de mètres cube par an du programme national de la forêt et du bois, élaboré en 2016, n'a pas été respectée, elle doit "être réajustée", estiment les sénateurs. "Plutôt qu'un volume de bois à sortir de forêt, il serait plus pertinent de se fixer des objectifs de volume de bois d'oeuvre - sciage, déroulage - et de bois d'industrie transformé sur le territoire national et donc générateur de valeur ajoutée. L'acceptabilité sociétale de l'exploitation du bois et de la transformation du bois en sera renforcée", avance Anne-Catherine Loisier.

"La France n'est pas le grenier à bois de l'Europe"

La dernière partie du rapport est consacrée aux leviers pour mobiliser le bois en forêt et adapter l’aval à l’amont. "Contrairement aux idées reçues, la France n'est pas le grenier à bois de l'Europe, a rappelé Serge Mérillou. La forêt allemande, qui est deux fois plus dense, connaît trois cycles de récolte quand la France n'en connaît qu'un, car elle est plus résineuse. Elle est par ailleurs plus adaptée aux prérequis de l'industrie. L'exploitation y est plus facile, car la forêt allemande est une forêt de plantation en plaine. En France, seulement 13% de la surface est issue de plantations, et la géographie physique ou encore la desserte compliquent la donne."

"Les entreprises de travaux forestiers, qui sont plus fragiles en France, car plus isolées, souffrent d'une saisonnalité accrue, avec les intempéries en automne et la nidification au printemps, poursuit le corapporteur. Les missions interservices de l'eau et de la nature (Misen), sous l'autorité du préfet, pourraient contribuer à limiter les risques d'infraction sur les chantiers, en définissant avec les professionnels des cahiers des charges a priori".

Mais, sur le terrain, "deux freins organisationnels subsistent", souligne Serge Mérillou. Le premier tient au morcellement de la propriété : "il faut encourager la gestion collective, via les coopératives ou les experts forestiers, par une bonification à leur avantage du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement (Defi) 'travaux' et par une meilleure coordination entre l'Office national des forêts (ONF) et les gestionnaires privés par massif, plutôt que d'entreprendre un hypothétique remembrement forestier, qui serait trop long et coûteux", avance le corapporteur.

Le second frein est le "manque de contractualisation" : "en sécurisant les flux, la vente de bois façonné ‘bord de route’, trié en lots homogènes, permettrait à nos scieries, sur le modèle de l'Allemagne, de se concentrer sur leur coeur de métier, à savoir la transformation, et par ailleurs de limiter l'export de nos meilleurs chênes", complète-t-il.

Reste enfin le vaste sujet de l'adaptation au changement climatique. "Les crédits en faveur de la planification écologique pour la forêt, dont fait partie le plan de renouvellement forestier, doivent être maintenus à 130 millions d'euros pour donner de la visibilité aux parties prenantes, souligne le sénateur. Dans les forêts ravagées par les scolytes, notamment communales, l'absence de renouvellement forestier est d'autant plus regrettable que les coupes et replantations sont bénéfiques même à très court terme du point de vue du puits de carbone. Certaines lignes du plan, peu coûteuses, mais éminemment stratégiques, doivent être sanctuarisées : je pense en particulier au soutien à la filière graines et plants et aux mesures en faveur de l'aval."

Adapter l'aval à l'amont et non l'inverse

Surtout, appuie le corapporteur, "il faut cesser de vouloir adapter la forêt à l'industrie. C'est à l'industrie de s'adapter à la forêt". "Cela implique, tout d'abord, la mise en oeuvre rapide du plan ‘Scolytes et bois de crise’, pour faciliter le stockage et le transport face à des afflux qui seront de plus en plus imprévisibles avec la multiplication des coupes accidentelles et sanitaires, détaille-t-il. Ensuite, il faut soutenir les efforts de recherche et développement pour transformer les gros et très gros bois, car notre forêt vieillit, et mieux valoriser les essences dites ‘secondaires’, car notre forêt est diversifiée et va l'être de plus en plus."

"En ce sens, le maillage français de petites scieries de feuillus, certes aujourd'hui peu compétitives, est peut-être bien adapté à la forêt de demain, car il est plus flexible que les grandes unités industrielles allemandes, veut croire le sénateur. Il nous semble donc raisonnable de maintenir un équilibre entre grandes scieries industrielles et scieries de service, de proximité, sûrement plus orientées sur les feuillus et une diversité d'usages."

Quant à la contribution de la forêt à l'atténuation et à la politique de préservation de la biodiversité, "la gestion durable, pour peu qu'elle soit accompagnée de quelques mesures de financement novatrices, par exemple européennes, à l'exemple des mesures agroenvironnementales et climatiques de la politique agricole commune, pourrait encourager ceux qui s'y engagent", estime Serge Mérillou.

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis