Politiques publiques de rénovation énergétique : le Sénat appelle à s’ancrer dans les territoires pour rétablir la confiance

La commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique a présenté son rapport ce 5 juillet. Augmenter les financements et redonner confiance, en fiabilisant les outils, à commencer par le diagnostic de performance énergétique (DPE), et en s’appuyant sur les dynamiques locales, font partie des clefs pour relever le défi de l’accélération de la rénovation des logements. Les collectivités locales doivent en être le point d’entrée et le lieu où pourront se formaliser un parcours accompagné de rénovation globale et s’agréger les demandes d’aides.

Après s’être penché sur le bâti scolaire et le volet patrimonial de la transition écologique(lire nos articles des 5 juillet et 2 juin), le Sénat a élargi le spectre de ses travaux aux politiques publiques menées en matière de rénovation énergétique des logements. Un sujet aux enjeux multiples (écologique, social et sanitaire, urbain et industriel), sur lequel la commission d’enquête constituée mi-janvier, présidée Dominique Estrosi Sassone (Alpes-Maritimes-LR), et dont le rapporteur est le sénateur de l’Isère, Guillaume Gontard (Ecologiste), a présenté ses conclusions, ce 5 juillet.

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et éliminer la précarité énergétique (5,2 millions de passoires thermiques, soit 17% du parc), la France s’est donné pour objectif de rénover 370.000 logements par an d’ici 2030 et 700.000 au delà. Force est de constater que l’on est "loin du compte"…, le nombre de ces rénovations énergétiques performantes étant compris entre 50.000 et 100.000. Il y a "une montagne à gravir", constate Guillaume Gontard, qui se dit interpellé par le "décalage" entre le coût colossal des boucliers tarifaires mis en place pour l’électricité et le gaz, soit plus de 63 milliards d’euros, "pour un impact à court terme", et les budgets consacrés à la rénovation énergétique de l’ordre de 8,6 milliards d’euros. "Les grands objectifs de la politique de rénovation ont déjà été fixés, (…) le but n’est pas de renverser la table mais d’aller vers des propositions réalistes", note-t-il.

Pour relever le défi de l’accélération de la rénovation énergétique, le volumineux rapport formule une vingtaine de préconisations pragmatiques "au plus près des territoires à l’écoute des professionnels de terrain et des citoyens", et avec pour principes "visibilité, simplicité, efficacité, et constance". 

Une stratégie stabilisée et solidaire

Les sénateurs pointent un risque de "découragement" face à l’instabilité, la complexité des dispositifs, véritables "parcours du combattant", et un reste à charge (supérieur à 30%) "souvent trop élevé". Ces "changements de pied brutaux" à l’intérieur du dispositif MaPrimeRénov’ ou du service d’accompagnement des particuliers à la rénovation sont, selon eux, des facteurs "d’attentisme et de confusion". Pour garantir la stabilité de la stratégie et du volume financier des aides, le rapport préconise de l’insérer dans une programmation budgétaire jointe à la future loi de programmation sur l’énergie et le climat. Le pilotage de cette politique serait assuré au niveau de la Première ministre à travers le secrétariat général pour la planification écologique (SGPE), en associant le ministère de la Culture.

Autre écueil à éviter celui d’une politique entièrement centrée sur la décarbonation au détriment de l’isolation. La rénovation énergétique ne doit pas conduire qu’à une électrification massive du parc, "sans doute pas  supportable par le réseau", mais "préserver un mix énergétique équilibré" ouvert à la géothermie, les réseaux de chaleur et la biomasse. De même, alors que 40% des Français et 60% des logements sociaux sont chauffés au gaz, le rapport juge "déraisonnable" d’envisager une interdiction à court terme. Priorité doit également être donnée à la rénovation globale et solidaire tournée vers les plus modestes, en définissant un parcours de rénovation cohérent "par étapes", sans toutefois exclure les rénovations par gestes qui peuvent en être une porte d'entrée.

Déployer une vraie chaîne de confiance en s’appuyant sur les acteurs de terrain

Érodée par la fraude et les effets de "stop and go" d’une politique de rénovation toujours en chantier, la confiance doit être rétablie grâce à la fiabilisation des outils et l’ancrage dans les territoires, estiment les sénateurs. Devenu un outil central, le diagnostic de performance énergétique (DPE) doit en particulier gagner en fiabilité et devenir "plus robuste". Il convient donc de professionnaliser la filière des diagnostiqueurs, insiste le rapport, qui plaide également pour une nouvelle réforme du calcul du DPE pour prendre en compte le bâti ancien, corriger les biais en défaveur des petites surfaces et intégrer le confort d’été à la note. Il serait logique que le DPE devienne obligatoire pour toute demande d’aide pour vérifier qu’elle est bien cohérente avec le projet de rénovation, expliquent les sénateurs.

Pour regagner la confiance, ils invitent à s’appuyer sur les acteurs de terrain.  Les collectivités locales doivent "revenir au cœur du dispositif", notamment pour réussir l’accompagnement des ménages. Le rapport souscrit à l’objectif minimal d’un guichet unique par intercommunalité, labellisé France Rénov’ et reposant sur les dispositifs locaux (plateformes ou réseau d’agences locales énergie-climat-Alec) quand ils existent déjà. "Attention à ne pas gommer ce qui existe", alerte  le rapporteur, qui invite au contraire à composer avec les initiatives locales et à les amplifier. Le déploiement du dispositif Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR) doit se faire dans "la continuité", insiste-t-il, en s’appuyant sur les acteurs existants qui ont fait leurs preuves, notamment ceux mis en place par les collectivités. Et la création d’un service MAR composé d’agents publics territoriaux constitue une piste à étudier, en vue de réduire les risques de conflits d’intérêts.

Les sénateurs recommandent aussi de laisser "un droit d’expérimentation" aux collectivités qui souhaitent aller plus loin en recourant à des contractualisations avec l’État autour d’objectifs chiffrés, et la possibilité de créer des régies d’avances pour les travaux de rénovation. Plus globalement, ils prônent l’échelle locale pour orienter le choix de travaux, de matériaux et de procédés techniques les plus adaptés. D’autres préconisations concernent l’intensification de la lutte contre les fraudes : plus grande coordination des contrôles et sanctions renforcées (jusqu’à 10 ans de prison et 1 million d’euros d’amende) contre les escrocs qui usurpent, par exemple, la qualité de conseiller France Rénov’ ou le label RGE. 

Muscler les financements

Il est proposé de porter le total des crédits ouverts pour MaPrimeRénov’ à 4,5 milliards d’euros dès 2024, soit une augmentation de 1,6 milliard d’euros. Ces crédits supplémentaires doivent permettre de favoriser les rénovations globales, qui représentent le point faible de MaPrimeRénov’. Le rapport recommande de "tripler" les aides à la rénovation globale pour les ménages les plus modestes en portant le plafond d’aide de 30.000 euros à 45.000 euros. Pour ces ménages, l’audit énergétique et l’accompagnement doivent pouvoir être gratuits. Il est aussi conseillé d’élargir MaPrimeRénov’ à des travaux de confort d’été et d’auto-rénovation énergétique accompagnée.

La dynamique de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) devrait elle aussi s’amplifier, selon les sénateurs, qui plaident pour un plafond rehaussé de 70.000 euros. Censé le compléter, le prêt avance rénovation est pour le moment un échec (seulement une centaine ont été attribués) du fait de conditions trop restrictives. Le rapport avance là encore des solutions pour lever les blocages pour les plus modestes. La sécurisation du parcours et du reste à charge des ménages passe aussi par une "harmonisation des critères et un couplage des aides et des prêts", souligne le rapport. Les sénateurs entendent en outre s’attaquer au sujet des copropriétés, en proposant notamment de recourir à des DPE collectifs pour permettre une prise de décision solidaire, de simplifier l’accès à l’éco-PTZ Copropriété et d’expérimenter le tiers financement. Ils proposent de "booster très fortement" les travaux de rénovation sur le parc social, pour lequel il y a une "volonté de faire" mais un besoin financier de l’ordre de 9 milliards d’euros par an, que les bailleurs sociaux ne peuvent porter seuls. Le rapport propose d'abonder 1,5 milliard d’euros dès 2024 puis de garantir une trajectoire budgétaire dans une loi de programmation et via le pacte de confiance qui doit être prochainement signé avec le mouvement HLM. 

Un dernier axe du rapport consacré à la structuration de la filière industrielle vise à soutenir la relocalisation de la filière française de matériaux et d’équipements, notamment de pompes à chaleur (PAC), développer le recours aux matériaux biosourcés par la commande publique, ou former 200.000 professionnels d’ici 2030. Il s’agit également de favoriser le raccordement à des sources locales de chaleur décarbonées - géothermie et réseaux de chaleur -, en doublant dès 2024, les crédits annuels du fonds Chaleur de l’Ademe à hauteur de 1 milliard d’euros. 

Si la prochaine loi de finances ou la future loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, sont mises en perspective, les sénateurs n’excluent pas non plus de pousser leurs préconisations dans des propositions de loi. "Nous allons regarder en détail les propositions pour alimenter les travaux en cours (...) en vue notamment des débats PLF et du projet de loi de programmation énergie climat", a communiqué à l'AFP le ministère délégué à la Ville et au Logement, assurant partager les orientations mises en avant par le Sénat. 

 

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