Déficit : dialogue de sourds entre le gouvernement et les élus locaux

En réunissant, ce 9 avril, le Haut conseil des finances publiques locales, l'exécutif entendait obtenir des engagements de la part des élus locaux sur la participation des collectivités locales à la réduction du déficit et de la dette publics. Une voie que les intéressés se sont refusés d'emprunter. 

Les représentants des collectivités territoriales ont unanimement opposé ce mardi 9 avril une fin de non-recevoir à la demande du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, que le secteur public local freine de manière certaine ses dépenses de fonctionnement pour suivre la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour 2023-2027 et, donc, limiter le déficit et la dette publics. 

Les protagonistes étaient réunis pour la seconde réunion du Haut Conseil des finances publiques locales, instance voulue par Bercy et inaugurée en septembre 2023 pour faciliter le dialogue entre les collectivités et le gouvernement en matière de finances locales.

La réunion de près de trois heures, à laquelle ont pris part quatre ministres (Bruno Le Maire, Thomas Cazenave, Christophe Béchu et Dominique Faure), les présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux chambres et, côté collectivités, les représentants de l'Association des maires de France, de Départements de France et Régions de France, avait pour objectif de "mettre les collectivités territoriales sous pression", a estimé André Laignel, qui y participait lui aussi en tant que président du Comité des finances  locales (CFL).

Déficit des collectivités en 2023

Cela n'est guère surprenant. Depuis quelques semaines, devant l'obligation d'identifier une vingtaine de milliards d'euros d'économies dans le budget pour 2025 – qui doivent s'ajouter aux 10 milliards d'euros de coupes budgétaires déjà actés en février – l'exécutif a évoqué publiquement l'idée d'associer les collectivités à l'effort de redressement des comptes publics.

La menace s'est cette fois précisée. Selon plusieurs sources, le ministre de l'Économie a demandé aux élus locaux présents de prendre acte de la limitation des dépenses de fonctionnement des collectivités à -0,5% en dessous de l'inflation, et ce dès 2024. Cet objectif est défini par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027, qui a été publiée en décembre, mais il n'est qu'indicatif. Si les collectivités locales ne s'inscrivent pas dans cette trajectoire, elles ne sont pas sanctionnées – contrairement à la pratique qui a prévalu en 2018 et 2019 avec les "contrats de Cahors". Ce qui fait craindre à Bercy un dépassement continuel par les collectivités de leur objectif de dépenses d'ici 2027.

D'ailleurs, pour 2023, les résultats qui ont été présentés lors de la réunion ne sont pas conformes aux attentes gouvernementales. Les dépenses de fonctionnement locales se sont accrues de 5,9%, alors qu'elles auraient dû être limitées à l'inflation (4,8%). De ce fait, les collectivités affichent un besoin de financement de 5,5 milliards d'euros pour 2023, contrastant avec l'excédent de 3 milliards d'euros enregistré l'année précédente.

Programme de stabilité 2024-2027

En 2024, l'effort demandé aux collectivités sera plus exigeant. Le programme de stabilité 2024-2027 que le gouvernement doit présenter ce 10 avril, devrait prévoir une progression des dépenses de fonctionnement de 1,9%, une donnée bâtie à partir d'une estimation de l'inflation fixée à 2,4% sur l'année. En 2025, l'objectif de dépenses des collectivités serait ramené à 1,1% (inflation à 1,6%), puis il serait revu à la hausse les deux années suivantes (1,3% avec une inflation annuelle à 1,75%). Sur la période 2023-2027, quelque 15 milliards d'euros d'économies seraient demandés au total aux collectivités territoriales, estime André Laignel, dont le calcul se base toutefois sur les données (un peu différentes) de la LPFP.

"On nous a dit : 'il faut que vous soyez au rendez-vous' et ce serait à nous de proposer les mesures d'économies qu'on compte faire", a indiqué le président du CFL, lors d'une conférence de presse, ce 9 avril. Une invitation qu'il a déclinée face à Bruno Le Maire. "Nous ne nous inscrivons pas dans cette démarche", a-t-il expliqué à la presse. En se justifiant : "La dette des collectivités locales est restée stable en pourcentage du PIB et leurs déficits sont minimes là où ils existent." De plus, avec la baisse de la dotation globale de fonctionnement, elles ont déjà contribué au redressement des comptes publics à hauteur de 70 milliards en euros constants depuis 2014, souligne-t-il. En mettant aussi en avant la nécessité de financer les services publics indispensables au "vivre ensemble" et les investissements en matière de transition écologique, ou de modernisation des écoles.

Les élus locaux sont "volontaires pour travailler" avec le gouvernement, mais "à condition que ce soit un travail qui ne soit pas prédéterminé, comme une baisse des moyens des collectivités", a déclaré le maire d'Issoudun.

"Spécificités" des départements

Jean-Léonce Dupont et Jean-Luc Chenut, respectivement présidents des départements du Calvados et d'Ille-et-Vilaine, "n'ont absolument pas validé" la trajectoire de dépenses locales voulue par Bercy, déclare-t-on du côté de Départements de France (DF), que les deux élus représentaient. Ces derniers ont mis en avant "les spécificités" des départements, dont les marges de manœuvre se sont réduites comme peau de chagrin. La faute à la conjoncture - les droits de mutation à titre onéreux se sont contractés de 23% en 2023, selon un bilan encore provisoire - et à la réduction de leur levier fiscal ces dernières années. Une partie des dépenses départementales, imposées par l'État, ne sont "pas pilotables", avance aussi DF. 

Entre autres demandes, les élus départementaux ont fait savoir qu'ils voulaient l'instauration de "l’équivalent d’un article 40" de la Constitution - cette disposition limite le pouvoir d'initiative des parlementaires en matière financière - pour les collectivités, et ce "sur la parole présidentielle et gouvernementale et pour toute dépense imposée".

Calendrier de travail

Aucune piste concrète d'économie n'a "été esquissée", a regretté pour sa part Carole Delga, présidente de l'association Régions de France. Les régions sont "prêtes à travailler" avec le gouvernement sur "la bonne utilisation de l'argent public", mais "il est hors de question de passer par une stigmatisation des collectivités locales", à qui on reprocherait d'être "dépensières", selon elle.

Globalement, la présidente du conseil régional d'Occitanie a enjoint le gouvernement de "changer d'attitude en étant dans une position partenariale", réclamant notamment que l'Élysée arrête de faire des annonces "qui sont à la charge des collectivités", sans avancer les financements correspondants. Elle s'est aussi opposée à "des mesures uniformes", soulignant que "les situations sont très différentes" d'un territoire à l'autre.

Bercy devrait transmettre aux collectivités "une proposition de calendrier de travail" et proposer une nouvelle réunion du Haut Conseil des finances publiques locales "d'ici deux mois".

  • Intercommunalités de France veut avoir voix au chapitre

"L’hypothèse d’une participation au redressement des comptes publics ne peut faire l’économie d’une concertation avec l’ensemble des acteurs, ni obérer leur capacité d’investissement essentielle pour préserver la croissance, l’emploi et relever les défis du pays", a estimé mardi Intercommunalités de France. L'association n'était pas invitée à la seconde réunion du Haut Conseil des finances publiques locales, ce qui a mécontenté ses responsables. Ils ont toutefois décidé de publier une note, pour rendre compte de la situation financière du bloc communal et faire passer quelques messages.

En particulier, afin d'insister sur le "rôle déterminant en matière d’investissement public que jouent les communes et les intercommunalités, lesquelles représentent 42% de l’investissement public (hors équipement et recherche militaires). "Ce levier sur l'économie" doit "être préservé, notamment pour financer la transition écologique et énergétique", souligne Intercommunalités de France. "Pour 2024, plusieurs indicateurs témoignent d’une perspective de moindre évolution des ressources et des difficultés rencontrées pour 'boucler' les budgets 2024", s'inquiète aussi l'association.

Selon la note, les dépenses des collectivités locales représentent 18% de la dépense publique. "Elles sont restées stables au cours des dix dernières années : 11,5% du PIB en 2010 et 11,2% en 2022, dans un contexte d’accroissement important de l’offre de services."