Finances locales : le gouvernement lance une concertation sur quatre grands chantiers
Prévisibilité des recettes, fonction publique territoriale, relations financières entre l'État et les collectivités, finances des départements : dans la prolongation de la conférence financière des territoires, le gouvernement et les élus locaux vont installer les 26 et 27 mai quatre groupes de travail sur les finances locales. Dans un courrier, le gouvernement vient de faire état des thèmes qu'il souhaite évoquer dans ce cadre. Plusieurs thématiques réjouiront les édiles (telles que la réflexion sur un moratoire des normes), d'autres devraient les courroucer (par exemple l'examen du scénario d'une "année blanche" en fonctionnement).

© @SDelautrette, @ADepartementsF et @laurent_sceaux / Une partie des élus présents lors de la Conférence financière des territoires du 6 mai
Quatre groupes de travail sur les finances locales seront installés la semaine prochaine par le gouvernement et les élus locaux pour approfondir les discussions sur le futur projet de loi de finances 2026 et la contribution des collectivités à la réduction du déficit et de la dette. Leur création avait été annoncée lors de la conférence financière des territoires qui s'est tenue le 6 mai (voir notre article). Elle a été confirmée ce 20 mai par un message du cabinet du ministre de l'Aménagement du territoire aux divers parties prenantes, dont les associations d'élus locaux.
Des intitulés pour les travaux futurs avaient été diffusés dès la conclusion de la conférence financière des territoires et ils ne correspondaient pas complètement à "ceux que le gouvernement avait imaginés au départ", constatait à ce moment-là le président de l'Association des petites villes de France (APVF). Interrogé par Localtis, Christophe Bouillon voyait dans cette évolution "le fruit" des trois heures de discussions entre le gouvernement et les élus locaux. Depuis, le gouvernement a encore touché aux contours de certains de ces groupes de travail, comme en témoigne la liste dévoilée dans le courrier du cabinet de François Rebsamen, que Localtis s'est procuré. Il a aussi élaboré "des propositions d’éléments de cadrage". Communiquées elles aussi aux élus locaux, elles "pourront donner lieu à discussion au cours de ces groupes de travail", est-il précisé.
Les échanges, qui auront pour but de "définir ensemble les mesures susceptibles d’être prises" sur les finances locales, débuteront le 26 mai à l'hôtel de Roquelaure, qui abrite le ministère de l'Aménagement du territoire.
"Prévisibilité pluriannuelle des recettes, notamment d'investissement"
Un premier groupe de travail se tiendra le matin, sur le thème de "la prévisibilité pluriannuelle des recettes, notamment d'investissement". L'investissement est donc inclus dans les réflexions, mais il aura fallu pour cela une demande appuyée des élus locaux, notamment de l'association Intercommunalités de France. Le cœur des travaux demeure la prévisibilité des recettes. Il s'agit d'une attente forte exprimée par les élus locaux depuis plusieurs années, ceux-ci soulignant qu'elle conditionne largement la capacité à investir du secteur public local. Le gouvernement est prêt à y répondre, en ayant aussi à l'esprit qu'avec une meilleure vision sur leurs recettes à un horizon d'au moins trois ans, les collectivités auront plus de facilité à participer à des mesures de "redressement des comptes publics" qui doivent s'inscrire dans la durée.
La "visibilité pluriannuelle" pourrait ainsi "constituer la base d'une contractualisation financière entre État et collectivités, avec des engagements réciproques à définir", estime le gouvernement dans la note présentant le groupe de travail. Il reprend là une idée que la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, avait formulée début avril (voir l'article). En échange d'une meilleure visibilité sur leurs recettes, les collectivités s'engageraient à contribuer à la "maîtrise des comptes de la Nation".
Le gouvernement met d'ores et déjà quelques pistes sur la table pour renforcer la prévisibilité des recettes locales. Le pouvoir de taux effectif accordé aux collectivités en constitue une, puisqu'il peut permettre aux collectivités d'"adapter leurs recettes face à l'évolution du rendement" de certaines recettes. Le terme d'autonomie fiscale n'est toutefois pas utilisé, l'exécutif préférant parler de "pilotabilité des recettes", un concept dont il souhaite effectuer la mesure pour chaque catégorie de collectivités. Le recours aux financements européens et "la dynamisation des politiques de tarification des services publics locaux" sont également mentionnés. "Les dotations de fonctionnement, et en particulier la DGF [dotation globale de fonctionnement], pourraient faire l'objet de discussions", écrit aussi le gouvernement. L'idée est de "renforcer leur efficacité et surtout accroître leur lisibilité". Cela signifie que l'exécutif est prêt à rouvrir, après plusieurs tentatives infructueuses du pouvoir national depuis 2015, le chantier de la modernisation du principal concours financier de l'État aux collectivités. Le gouvernement veut aussi relancer l'idée soutenue par la Cour des comptes de créer de nouveaux mécanismes d'auto-assurance "collectifs ou individuels". Le principe est simple : il s'agit de mettre en réserve "une partie de la dynamique de la fiscalité locale" au cours des périodes où la conjoncture est favorable, afin d'amortir le choc financier d'une crise.
Dans le cadre de ce groupe de travail, le gouvernement veut par ailleurs "analyser différents scénarios d'évolution (...) en recettes et dépenses de fonctionnement". "Y compris une 'année blanche'", précise-t-il. En soulevant cette hypothèse, le gouvernement devrait s'attirer les foudres des édiles.
En matière d'investissement, le gouvernement propose de "définir une trajectoire pluriannuelle" des besoins des collectivités. "Le niveau et la prévisibilité des recettes d'investissement (...) pourraient faire l'objet d'échanges", poursuit-il. De plus, l'intention de mener une réflexion sur "le rapprochement" (et non la fusion) des dotations de soutien à l'investissement, est confirmée.
"Modalités des relations financières entre l'État et les collectivités"
L'après-midi du 26 mai, les élus locaux et le gouvernement échangeront dans le cadre d'un groupe de travail dédié aux "modalités des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales". Au menu : "la régulation" des normes ayant des conséquences sur les finances publiques locales, qui est réclamée de longue date par les représentants des collectivités. "Les modalités d'un possible 'moratoire' de normes dès 2025" seront étudiées, prévoit le gouvernement. Cette idée avait été mise en avant par plusieurs responsables d'associations d'élus locaux, lors de la conférence financière des territoires. Le gouvernement estime par ailleurs qu'"il conviendrait également de pouvoir renforcer le rôle du Conseil national d'évaluation des normes" (CNEN), qui donne un avis sur tous les projets de textes ayant un impact sur les deniers des collectivités.
Les travaux seront l'occasion d'échanger sur une autre piste d'économies : "les mutualisations entre les structures locales", par exemple en ce qui concerne "les fonctions achats et finances". "La réflexion pourra être engagée pour promouvoir" ces mutualisations, écrit le gouvernement.
Le groupe de travail pourra, par ailleurs, "chercher à identifier les champs de compétences qui pourraient être assurés de façon plus cohérente pour éviter les redondances dans le respect de la libre administration". Le rapport de Boris Ravignon sur le millefeuille administratif servirait de base à ces discussions.
La péréquation financière est également au programme du groupe de travail, ce qui répond à un souhait du gouvernement. L'évocation de travaux sur le sujet avait suscité, le 6 mai, une levée de boucliers de la part des élus locaux. Ceux-ci craignent qu'un renforcement de la solidarité financière entre leurs collectivités conduisent à des tensions entre elles. "L'efficacité" des mécanismes de péréquation horizontale "mérite d'être réexaminée", insiste cependant le gouvernement. Qui poursuit : "La question de la péréquation entre strates, au regard de la forte divergence notamment sur le dynamisme des recettes, peut également être soulevée".
"Effectifs et masse salariale des collectivités"
Les effectifs et la masse salariale des collectivités, que le gouvernement considère comme une piste importante d'économies, font l'objet d'un groupe de travail spécifique, qui sera installé dans la matinée du 27 mai, toujours à l'hôtel de Roquelaure. Les dépenses de personnel des collectivités et de leurs groupements (76,3 milliards d'euros, hors syndicats, en 2024) ont connu, entre 2016 et 2023, "un taux de croissance supérieur à celui de la fonction publique de l'État" (+21,3 % contre 17,9 %), indique le gouvernement en préambule. L'un des enjeux sera donc d'"identifier les facteurs de la dépense de personnel et les mesures permettant de maîtriser leur évolution".
L'une d'elles consiste pour le gouvernement à ne pas remplacer tous les agents territoriaux, qui seront nombreux à partir à la retraite ces prochaines années. Il avait suggéré explicitement la piste aux élus locaux lors de la conférence financière des territoires. Il souhaite donc que dans le cadre du groupe de travail soient identifiés "les leviers de gestion prévisionnelle des effectifs" à l'aune de ces départs. En sachant que plusieurs autres questions seraient évoquées, dont "l'équilibre de la politique de ressources humaines au niveau du bloc communal" (communes et intercommunalités), les "mutualisations de services", "les mesures incitatives" prises "pour faciliter les recrutements", ou encore "l'impact et les conséquences" de la hausse des cotisations vieillesse des employeurs territoriaux.
"La situation financière des départements"
Le groupe de travail sur "la situation financière des départements" sera le dernier à se réunir, le 27 mai après-midi. Sa création témoigne d'une prise de conscience au plus haut niveau de l'État des difficultés rencontrées par ces collectivités. "Début 2025, plus de la moitié des départements ont atteint désormais des seuils d'épargne brute inférieure à 8%, jugés insuffisants", indique la note envoyée aux élus locaux.
Le groupe de travail aura pour objet de "poser la question du périmètre d'intervention des départements en particulier sur le champ social". Certains départements "bénéficient" d'une recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) et d'autres vont mener une expérimentation de la fusion des sections soins et dépendance des Ehpad, rappelle le gouvernement. Ce sont des "leviers d'action potentiels", estime-t-il. "Au-delà des compétences obligatoires en matière sociale", les départements peuvent intervenir au profit de compétences non obligatoires, constituant d'éventuelles marges de manoeuvre", considère-t-il aussi.
En outre, dans la perspective du projet de loi de finances pour 2026, l'exécutif entend "identifier les mécanismes de solidarité mobilisables au profit des départements les plus fragiles". Plus largement, il lui semble nécessaire de se pencher sur "les mécanismes visant à garantir les départements contre les effets contracycliques des recettes". En sachant que des mécanismes de mise en réserve de recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) existent déjà. La mise en place d'"un moratoire des nouvelles normes" est là encore évoquée.
Ces différentes pistes étaient formulées ce 20 mai, à quelques heures d'une rencontre entre le Premier ministre et une délégation de présidents de département, conduite par le président de Départements de France, François Sauvadet.
Des parlementaires, des experts et des représentants des administrations concernées seront associés aux échanges des quatre groupes de travail. Ceux-ci se dérouleront en deux temps, puisque les premières réunions (26 et 27 mai) seront suivies d'une seconde série de rencontres, les 18 et 19 juin.
"Les résultats" des travaux menés et "les actions envisagées" seront présentés lors de la seconde conférence financière des territoires qui se tiendra "en juillet".