Budget 2026 : le gouvernement ouvre le débat avec les collectivités
L'exécutif a ouvert le 6 mai, lors de la conférence financière des territoires, des discussions avec les élus locaux sur les finances et la contribution des collectivités à la réduction du déficit public. L'occasion d'évoquer l'état des lieux des finances locales et de mettre sur la table plusieurs pistes pour freiner les dépenses, notamment dans le domaine de la fonction publique territoriale. Quatre groupes de travail vont être lancés pour poursuivre les échanges et parvenir à des "orientations" en juillet.

© @frebsamen/ Conférence financière des territoires le 06 mai
Après le "comité d'alerte budgétaire" du 15 avril, au cours duquel il avait sonné l'alarme sur l'emballement de la dette, le Premier ministre a lancé le 6 mai en fin d'après-midi, à l'Hôtel de Roquelaure - siège du ministère de l'Aménagement du territoire -, une séquence de discussions avec les élus locaux sur les finances de leurs collectivités, dans la perspective du projet de budget pour 2026. Alors que l'Association des maires de France (AMF), refusant de faire de la "figuration", avait boycotté la grand-messe de la mi-avril, l'ensemble des associations d'élus locaux ont bien été présentes à cette "conférence financière des territoires", à laquelle ont participé également quatre ministres (Aménagement du territoire, Travail, Économie et Comptes publics), les présidents du Comité des finances locales (André Laignel), du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (Philippe Laurent) et du Conseil national d'évaluation des normes (Gilles Carrez), des représentants des administrations de l'État, des parlementaires et des personnalités (dont Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, que le gouvernement a chargé d’une "mission sur la performance des collectivités locales").
Ce rendez-vous à huis clos a été l'occasion pour François Bayrou de répéter que la situation des finances publiques n'est plus tenable et qu'elle exige un effort de maîtrise des dépenses de la part de l'ensemble des administrations publiques, y compris des collectivités locales. Estimé entre 100 et 110 milliards d'euros d’ici à 2029 ("hors effort supplémentaire de défense"), le volume nécessaire des économies est "conséquent mais pas insurmontable", selon le document que le gouvernement a présenté aux élus locaux. "Cela représente, précise-t-il, une baisse de la dépense publique de 6% en 5 ans".
Un besoin de financement supérieur à 11 milliards d'euros en 2024
Reste que les collectivités devraient ajuster durablement leurs dépenses à la baisse pour respecter la trajectoire voulue par l'exécutif. Selon l'état des lieux des finances locales dévoilé aux élus, les dépenses réelles de fonctionnement des collectivités ont progressé de 3,9% en 2024, "nettement" au-delà de l’inflation, et cela "en lien notamment avec la forte croissance des frais de personnel (+4,4%) et des achats et charges externes (+6,7%)". Quant aux dépenses d'investissement (70,5 milliards d'euros), elles ont été en "forte croissance" (+6,9%). Les recettes de fonctionnement ont, elles, progressé de 2,2% en 2024, un rythme certes plus rapide que l’inflation, mais moins soutenu que celui ayant prévalu pour les dépenses. Il en a résulté un "besoin de financement" pour les collectivités de 11,4 milliards d'euros, représentant 0,4 point de PIB (après -5,5 milliards d'euros en 2023).
"Pour le bloc communal, la situation financière reste solide en 2024", avec une épargne brute (différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement) "en léger retrait" par rapport à 2023 et "à un meilleur niveau qu'en 2019", juge le gouvernement dans une analyse précise de la situation de chaque catégorie de collectivités. En revanche, la situation des départements "continue de se dégrader significativement". Les chiffres ne laissent pas de place au doute : 51 départements (contre 20 en 2023) ont un taux d'épargne brute inférieur à 8%, un niveau jugé "insuffisant" et deux d'entre eux sont même parvenus à une épargne brute négative à fin mars 2025. "La situation financière des régions apparaît stable mais fragile par rapport à 2023 et en légère érosion par rapport à 2019", complète le gouvernement.
Départs à la retraite des agents territoriaux
Davantage que sur ces données peu contestables, le débat a porté sur les "leviers possibles" mis en avant par le gouvernement pour parvenir à un "redressement pérenne". Au premier rang desquels figure la maîtrise de la dépense. Et l'exécutif estime que les collectivités disposent d'une occasion historique de freiner celle-ci avec l'accélération des départs à la retraite des agents territoriaux. Il leur suffira de ne pas remplacer tous les personnels en fin de carrière. Mais il peut s'agir d'une incantation, car sur le terrain, les choses sont plus compliquées, selon Christophe Bouillon, président de l'Association des petites villes de France (APVF). "L'essentiel des emplois du bloc communal sont dans les écoles, les crèches et les services techniques. Le départ d'une auxiliaire de puériculture diminue la capacité d'accueil de la crèche et si une Atsem n'est pas remplacée, on ne respecte pas le niveau d'encadrement recommandé par l'Éducation nationale", critique le maire de Barentin, interrogé par Localtis.
La "limitation des mesures catégorielles" conduisant notamment à une maîtrise du régime indemnitaire, est également préconisée par le gouvernement. Il s'agirait d'appliquer une mesure que le Premier ministre a récemment annoncée dans une circulaire visant la gestion des agents de l'État (voir notre article).
Autres "leviers à la main des collectivités" et mis sur la table par le gouvernement : "les mutualisations de services" rendues possibles par l'intercommunalité et les communes nouvelles. Des "économies structurelles de fonctionnement" peuvent être dégagées avec ces outils qui, on s'en souvient, avaient eu la cote sous le quinquennat de François Hollande.
"Décroisement des compétences"
Le gouvernement entrevoit par ailleurs l'existence de "leviers partagés", affirmant qu'il faut "réfléchir" au "décroisement des compétences". En somme une clarification dans l'exercice des compétences, qui avait été préconisée par exemple par le rapport de Boris Ravignon sur le "millefeuille administratif". Une "meilleure mobilisation des fonds européens et des autres types de financements" comme "les prêts de la Banque des territoires" est également à la portée de l'État autant que des collectivités territoriales, indique-t-on au gouvernement.
Ce dernier a aussi conscience que l'État peut générer des économies pour les collectivités en simplifiant la réglementation, en limitant le flux de nouvelles normes et en s'attaquant au stock de celles qui existent. De premières décisions dans ce domaine ont d'ailleurs été annoncées le 28 avril lors du "Roquelaure de la simplification de l'action des collectivités" (voir notre article). Des mesures perçues positivement par les élus locaux, qui demandent toutefois une ambition bien plus grande. "Il faut un moratoire sur les normes qui s'applique dès maintenant", revendique par exemple le président de l'APVF. Christophe Bouillon appelle aussi l'État à "mettre en plan" ses différents "plans" (pour renforcer les crèches, la police municipale…) qui sont coûteux pour les finances locales, en contradiction avec la recherche d'économies. Et il avance l'idée - partagée avec d'autres responsables d'associations d'élus locaux, tels que David Lisnard, le président de l'AMF - d'interdire la création par le Parlement de toute nouvelle dépense pour les collectivités, qui ne serait pas "gagée" par une recette (sur le modèle de ce que prévoit l'article 40 de la Constitution pour les dépenses de l'État).
Demande d'une "vraie négociation"
A noter aussi que plusieurs édiles – dont André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF et président du CFL et Johanna Rolland, présidente de France urbaine – ont appuyé la demande que puissent être dégagées des marges de manœuvre du côté des recettes, par exemple par la création d'une contribution territoriale en faveur des communes. Une orientation qui, pour rappel, est soutenue par le ministre de l'Aménagement du territoire, François Rebsamen, mais à laquelle le Premier ministre s'est dit récemment défavorable (voir nos articles datés du 28 avril et du 5 mai).
A l'issue de la conférence, les réactions des associations d'élus locaux étaient mitigées. Chez France urbaine, le délégué adjoint, Franck Claeys, saluait le souci qu'a eu le gouvernement de dialoguer et de revoir certains mots de son vocabulaire ("besoin de financement" au lieu de "déficit" des collectivités), mais pointait aussi la nécessité, à côté du diagnostic des finances locales, de réaliser un bilan des diverses mesures d'économies prises dans la loi de finances pour 2025. L'AMF était plus critique. "Cette séquence n’a pas constitué une vraie réunion de travail permettant d’identifier l’origine de la dépense locale et de négocier", regrettait-elle dans un communiqué.
Groupes de travail
Reste que le dialogue entre les élus locaux et le gouvernement ne fait que commencer, puisque quatre groupes de travail portant "sur des thématiques conjointement définies avec les collectivités" - selon le communiqué de Matignon - se réuniront jusqu’à fin juin. Un premier groupe de travail se penchera sur "les modalités de contribution des collectivités à l’effort pluriannuel de redressement des finances publiques" et comportera en particulier "un retour d’expérience sur la loi de finances pour 2025". La fonction publique territoriale (ses "effectifs", la "masse salariale", le "statut") feront également l'objet de travaux, signe que le gouvernement estime vraiment que des économies peuvent provenir de ce domaine.
Un autre groupe de travail sera consacré exclusivement à "la situation particulière des départements", ce dont s'est félicité l'association Départements de France sur le réseau social X. Il y a urgence à trouver des solutions au PLF [projet de loi de finances] et PLFSS [projet de loi de financement de la sécurité sociale] 2026 !", a-t-elle écrit.
Le gouvernement avait prévu d'engager des travaux sur "la péréquation". Mais devant l'accueil très défavorable réservé par les élus locaux à cette annonce, il semble qu'il soit revenu sur sa décision. Les associations d'élus locaux le vérifieront certainement dans les jours prochains, à la réception de l'invitation à participer aux différentes réunions des groupes de travail. Selon nos informations, l'entourage du ministre de l'Aménagement du territoire planifiait au soir de la conférence de lancer à la place un groupe de travail sur la "prévisibilité des recettes et l'investissement". Une manière d'approfondir l'engagement qu'a pris le gouvernement d'assurer aux élus locaux une "meilleure visibilité à long terme" sur les ressources de leurs collectivités, selon les termes du communiqué du gouvernement.
"Orientations" présentées en juillet
Et également peut-être de prendre en compte une revendication exprimée par Intercommunalités de France d'engager des discussions sur l'investissement local. "Le remède qui consisterait à réduire l'investissement serait pire que le mal, l'économie locale serait impactée", alerte Sébastien Miossec, président délégué de l'association, joint par Localtis. Une crainte partagée par le président de l'APVF. Christophe Bouillon qui soupçonne Bercy de ne pas avoir abandonné l'idée de réduire le fonds de compensation de la TVA (FCTVA). Pour rappel, cette mesure inscrite dans le projet de budget préparé par le gouvernement de Michel Barnier devait procurer 800 millions d'euros d'économies en 2025.
Une deuxième conférence financière des territoires se tiendra "en juillet" afin de "tirer les enseignements" des travaux communs aux associations d'élus et au gouvernement. Il s'agira aussi de "partager les orientations dans la perspective du projet de loi de finances pour 2026", indique le gouvernement. Rappelons que le Premier ministre souhaite dévoiler "avant le 14 juillet" les mesures qu'il entend introduire dans le projet de budget pour 2025