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Logement étudiant - François Rio : "Il y a de multiples façons d'intervenir pour les collectivités"

Réunissant de nombreux acteurs du secteur, les quatrièmes Rendez-vous du logement étudiant (RDLE) se tiennent ce 19 novembre 2019 à l'Université Paris-Dauphine (1). Il y sera notamment question de la mise en route du "plan 60.000", des impacts de la loi Elan adoptée il y a un an, ou encore du logement étudiant dans la métropole lilloise. Depuis juillet dernier, 28 observatoires territoriaux du logement étudiant sont désormais labellisés par le Réseau des collectivités Enseignement Supérieur Recherche. L'enjeu : affiner la connaissance tant quantitative que qualitative et nouer des partenariats pour agir. Délégué général de l’Association des villes universitaires de France (Avuf), animateur du réseau des collectivités de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et co-organisateur des RDLE, François Rio est revenu pour Localtis sur les principaux enjeux et actualités du logement étudiant pour les territoires.

Localtis - A-t-on aujourd'hui des ordres de grandeur, même très approximatifs, de l'offre et du besoin de logement étudiant en France ?

François Rio - Sur la demande, c'est très difficile parce qu'elle est en partie liée à l'offre. Quand on est en situation de pénurie, la conséquence c'est que la demande diminue, alors même que les effectifs augmentent. Les étudiants se résignent à continuer à habiter chez leurs parents, plus ou moins loin. Plusieurs facteurs entrent en jeu sur l’intensité de la demande selon les agglomérations : l'effet Airbnb dans des villes avec un fort tourisme urbain, ressenti comme une confiscation d'une partie du parc diffus au profit de ces plateformes de location de meublés courte durée ; une problématique de moyens, les boursiers étant moins décohabitants surtout lorsqu’il y a une insuffisance du parc très social du Crous ; ou encore les efforts de certaines régions pour des abonnements de transports (TER) à tarifs très réduits, voire parfois gratuits pour les boursiers.

On estime que sur 2,7 millions d'étudiants, 30% continuent à vivre chez leurs parents. Cette part est très variable d'une ville ou d'une région à l'autre, elle est donc liée en partie à l'offre, mais aussi à l'attractivité des villes. A Toulouse, 75% des étudiants ont passé leur bac en dehors du département de la Haute-Garonne, beaucoup plus qu'à Aix-Marseille par exemple. Evidemment quand on a une proportion importante d'étudiants qui viennent de loin, la demande de logements est plus forte.

Sur le besoin de logement social étudiant, il n'y a pas vraiment de consensus. Suite aux deux rapports Anciaux des années 2000, l'objectif d'une place pour 10 étudiants dans le parc social avait été mis en avant, ce qui n'est pas très loin de la réalité au niveau national si l'on considère le Crous et les logements qui sont gérés directement par des bailleurs sociaux ou des associations agréées. Mais les contrastes sont colossaux : ce taux est aux alentours de 5% sur le Grand Paris et 6,5% à Lyon, alors qu'il est de 12% voire 15% dans d'autres villes. Le besoin de logement social pour les étudiants se situe probablement un peu entre ce ratio de 10%, qui a été à un moment admis par tout le monde, et les 25% de la loi SRU.

L'observatoire national et les observatoires territoriaux du logement étudiant (OTLE) seront-ils bientôt en capacité d'affiner ces chiffres ?

Les observatoires territoriaux ont une approche autant qualitative que quantitative. Avoir un socle d'indicateurs communs et comparables, c'est une partie de notre méthodologie. Mais nous incitons beaucoup les observatoires que nous avons labellisés [dans le cadre du Réseau des collectivités Enseignement Supérieur Recherche (2), ndlr] à examiner des phénomènes particuliers, propres à leur territoire ou communs à un ensemble de territoires - la mobilité, les étudiants internationaux, la collocation…

Il n’y a pas actuellement d’observatoire national stricto sensu, mais une Mission interministérielle de mobilisation nationale pour le logement étudiant portée par les deux ministères de la Cohésion des territoires et de l'Enseignement supérieur. Pour le moment, elle dispose surtout d'un outil de recensement de toutes les résidences dédiées, l’Info-Centre sur le logement étudiant en France (Clef). Cet outil avait été mis en place dans le cadre du plan 40.000, essentiellement pour suivre les flux et les livraisons. Tout récemment, il a été décidé d'y rentrer tout le stock, donc il y a désormais un aller-retour entre cet outil et nos OTLE pour que ces derniers puissent signaler la disparition de telle résidence ou la mise en service de telle autre. Mais cela ne porte que sur le logement dédié, accueillant très approximativement 15% de l'ensemble des étudiants.

Et, même uniquement sur le logement dédié, c'est très difficile parce que les chiffres sont mouvants. Il y a des résidences en travaux et, dans le parc du Crous, les réhabilitations consistent souvent à diminuer le nombre de places pour répondre aux normes d'aujourd'hui. Concernant les résidences privées qui sont détenues par des particuliers copropriétaires, le renouvellement du bail commercial au bout de neuf ans peut conduire à un changement d'exploitant, le caractère étudiant de la résidence n'étant pas forcément garanti en l'absence d'un gestionnaire spécialisé et fiable. Les collectivités, qui ont l'expérience des copropriétés dégradées, sont assez vigilantes par rapport à ça. Certaines sont réticentes à l'idée de développer ces résidences services, c'est une des raisons pour lesquelles nous avons un projet de label qualité avec l'Association des villes universitaires de France (Avuf).

Quel serait l'objectif de cette labellisation des résidences étudiantes privées ?

Il s'agirait de faire en sorte que les étudiants et leurs familles puissent disposer de critères de qualité, de confiance lorsqu'ils choisissent une résidence privée à distance, parce que la plupart du temps ces résidences sont réservées en ligne et à distance. Ils ont le prix, la localisation, mais ils n'ont que ça. Il peut s'agir de résidences très mal gérées, mal entretenues, ou au contraire de résidences de qualité (sur le plan de l'isolation thermique ou phonique par exemple), faisant l'objet d'une grande attention. C'est ce qu'on veut mettre en avant, pour déclencher également des pratiques vertueuses pour les futures résidences.

Les observatoires territoriaux du logement étudiant ont des périmètres d'action divers : est-ce lié aux spécificités du territoire ou aux partenariats qui s'y nouent ?

Avec déjà 28 observatoires labellisés (3) alors que le premier appel à manifestation d'intérêt date de début 2018, nous avons été très étonnés par l'engouement. Huit nouveaux OTLE - dont trois sous réserves, qui vont être levées - ont été labellisés en juillet dernier suite aux deux premières vagues de labellisation en janvier et avril 2019 (voir notre article du 2 mai 2019). Parmi les métropoles en tension, certaines telles que Nantes ont choisi de ne pas monter d'observatoire car elles avaient déjà leur propre dynamique. D'autres territoires – Metz, Orléans, Rouen – devraient être candidats à notre prochain appel à manifestation d'intérêt en 2020 après les municipales.

Ces observatoires peuvent être locaux ou régionaux. Il y a par exemple l'observatoire de la Nouvelle-Aquitaine, avec des focus sur les situations de tension comme la Côte basque, La Rochelle et Bordeaux. Et il y a également des observatoires centrés sur une seule agglomération. C'est une alliance partenariale car il y a une problématique d'accès à la donnée, qui est dans les universités, dans les collectivités, dans les agences d'urbanisme, dans les CAF, dans les Crous, chez les bailleurs sociaux… Et il y a la question de ce qu'on fait de ces données : la devise de nos observatoires, c'est "observer pour décider". Il faut donc impérativement des collectivités qui soient fortement parties prenantes et avec la capacité de décider, de modifier leur PLU, leur Scot, d'avoir une politique de subvention, de décote du foncier… il y a de multiples façons d'intervenir pour les collectivités. Et la collectivité qui s'engage fortement est parfois la commune, ou parfois une région, ou encore la métropole. C'est assez variable.

Où en est-on de la mise en œuvre du "plan 60.000" ?

A la fin du "plan 40.000" mené sous le quinquennat précédent, il y a eu un fort effet de mobilisation des crédits, notamment des contrats de plan Etat-régions. En réalité, les résidences ont surtout été livrées en 2018 et 2019. On observe donc beaucoup moins d'élan depuis 2018, les collectivités étant confrontées au problème de la concurrence entre les publics. Les étudiants passant souvent après les familles ou les publics dits fragiles, c'est de fait la politique du "stop and go", un développement par à coup. Les collectivités ont fait assez peu de réserve de foncier pour le logement étudiant, y compris dans le cadre du Grand Paris. Ce travail de fléchage, d'anticipation commence maintenant.

Parmi les leviers à actionner, le statut de résidence universitaire présente des avantages pour les bailleurs sociaux qui en gèrent directement, avec par exemple une plus grande souplesse sur le ratio de places de stationnements (1 place pour 3 résidents, voire 1 pour 6). Par ailleurs, les très grandes résidences privées, si elles peuvent faire peur aux collectivités, fonctionnent plutôt bien et permettent de rattraper le retard (de l'ordre de 500 logements d'un coup). Enfin, les universités d'ores et déjà ou bientôt propriétaires de leur foncier - Clermont-Ferrand, Poitiers, Toulouse 1, Bordeaux, Aix-Marseille, Tours et Caen – entendent bien en tirer profit. Si elles souhaitent légitimement plutôt valoriser aux prix du marché, ce qui pourrait privilégier des opérations privées, des subventions d'équilibre de l'Etat et des collectivités peuvent faire en sorte que ce foncier contribue à répondre au besoin très conséquent de logement social.

Depuis la publication de l'Avuf de l'été dernier sur "Action cœur de ville", l'Enseignement supérieur et le logement étudiant ont-ils été mieux pris en compte dans les programmes de redynamisation des villes moyennes ?

Beaucoup de collectivités se sont positionnées sur les appels à projets du Cnam (voir notre article du 27 septembre 2019) et "Campus connectés" (voir notre article du 3 mai 2019). Sur le reste, nous n'avons pas assez de recul. Nous avions préconisé la relocalisation du logement étudiant en centre-ville. Le logement diffus ne suffit pas, on a besoin de flécher du logement dédié. Le maintien des sites universitaires est davantage garanti quand une filière se structure, quand le recrutement des étudiants n'est pas seulement local. Et pour cela, il faut que le logement étudiant soit visible de loin.

  1. Les Rendez-vous du logement étudiant sont organisés par Universités & territoires et la plateforme de réservation Adele, avec différents partenaires dont l’université Paris-Dauphine, Eiffage, Action logement, l'Avuf et l'Union sociale pour l'habitat.
  2. Le Réseau des collectivités Enseignement Supérieur Recherche regroupe France urbaine, l’Assemblée des communautés de France, la Fédération nationale des agences d'urbanisme, l’Avuf, Villes de France, en partenariat avec la Conférence des présidents d’université (CPU) et avec le soutien de la Banque des Territoires.
  3. Les observatoires territoriaux du logement étudiant labellisés par le Réseau des collectivités Enseignement Supérieur Recherche sont : Amiens métropole, Brest métropole, la région Île-de-France, partenariat Grand Reims-Ardenne Métropole, Sillon alpin (première vague de labellisation en janvier 2019), Angers Loire Métropole, Aix Marseille Provence, Alpes-Maritimes, Alsace, Dijon Métropole, Lille Métropole, métropole de Lyon, Grand Besançon, Grand Nancy, Nouvelle-Aquitaine, Rennes Métropole, Saint-Étienne Métropole, partenariat Métropole Toulon Provence Méditerranée-département du Var, Val-de-Marne (deuxième vague de labellisation en avril 2019), Saint-Nazaire, Saint-Brieuc, La Roche-sur-Yon, La Rochelle, Dialogue métropolitain toulousain, Nîmes-Ales, Lorraine Nord, Bourges Plus, Montpellier Métropole (troisième vague de labellisation en juillet 2019).
 

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