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Réforme territoriale - Fusion, nouvelles compétences... comment la région Grand Est s'organise

Pour Localtis, François Bouchard, directeur général des services de la région Grand Est, dresse un bilan de la fusion au 1er janvier dernier de l'Alsace, de Champagne-Ardenne et de la Lorraine. Le chantier est bien engagé : des agences territoriales seront opérationnelles à la fin de l'année et l'harmonisation des politiques des anciennes régions doit être terminée à l'été prochain. Entre-temps, la région aura pris en charge ses nouvelles responsabilités dans le domaine des transports. Le bras droit de Philippe Richert explique comment il fait face à ces défis en veillant à la "sérénité" des 7.500 agents de la collectivité.

Localtis - Neuf mois après la fusion des régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine, quel bilan tirez-vous ?

François Bouchard - Au moment des débats sur la nouvelle carte des régions, les élus ont été très réticents à l'idée d'une fusion entre l'Alsace, la Lorraine et Champagne-Ardenne. Mais dès que la loi a été votée et confirmée en janvier 2015 par le Conseil constitutionnel, le président de la région Alsace, Philippe Richert, a décidé de tout faire pour réussir sa mise en oeuvre. Dans un total consensus entre les présidents des trois régions, les directeurs généraux des services concernés, dont je faisais partie, se sont rencontrés pour échanger et dresser un état des lieux des différentes politiques. Nous avons travaillé en parfaite harmonie au cours d'une période, qui en parallèle de la campagne pour les élections régionales, a été très fructueuse. J'ai pu notamment repérer les compétences présentes dans les équipes en place. Les personnels de nos collectivités se sont aussi rencontrés. De ce fait, il n'y a pas eu de "guerre de tranchée" entre les administrations.

Comment les services de la région Grand Est sont-ils organisés ?

Dès le 4 janvier 2016, nous avons désigné dix-huit directeurs préfigurateurs, de sorte qu'aujourd'hui, chacune des directions est opérationnelle, même si les organigrammes n'ont pas encore été officialisés. Leur organisation est "multi-sites", c'est-à-dire que leurs personnels sont présents à la fois à Châlons-en-Champagne, à Metz et à Strasbourg (les trois sièges des anciennes régions). Nous avons un peu plus de déplacements, mais nous travaillons surtout à distance, souvent en visio-conférence. Je pensais que ce serait compliqué. Mais, finalement, cela fonctionne bien et les agents s'y sont habitués.

La région va aussi mettre en place des agences territoriales. A quoi vont-elles servir ?

La région Alsace a fonctionné avec de telles agences pendant une dizaine d'années. Pour couvrir les 57.000 km2 et les 5,5 millions d'habitants que compte la région Grand Est, nous avons choisi d'utiliser la même maille, parce qu'elle nous a semblé pertinente. Chacune des douze agences couvrira donc en moyenne un territoire d'environ 450.000 habitants, aura la responsabilité de 20 lycées et encadrera environ 450 agents. Ces véritables directions de territoire auront vocation à faire de la subsidiarité, c'est-à-dire qu'elles favoriseront, chaque fois que c'est possible, le travail en circuit court. A titre d'exemple, elles instruiront les dossiers concernant les aides aux entreprises. A partir du moment où une aide est bien normée, il est important que les agents instructeurs soient localisés sur le terrain. Ces agences pourront contribuer aussi à la mise au point des stratégies. En particulier, elles réuniront les acteurs de la formation professionnelle, en vue de définir les besoins dans ce domaine. Les responsables de ces agences, qui prendront leurs fonctions à la fin du mois, seront des directeurs au même titre que les directeurs centraux. Sur le plan managérial, il existera donc une confrontation – au sens positif du terme – entre la vision territoriale des directeurs d'agences et le souci de cohérence centrale des directeurs centraux.

Tous ces changements impactent directement le personnel. Comment les vivent-ils ?

La région emploie 7.500 agents, dont 5.000 agents techniques des lycées (TOS). Pour plusieurs milliers d'entre eux, la fusion est un bouleversement. Je tiens à la conduire en toute clarté sur les objectifs, mais aussi dans un climat de sérénité sociale. Et nous y parvenons, parce qu'il n'y a aucun départ et aucune mobilité forcés. De plus, nous ne laissons personne sur le bord du chemin. Cela signifie que, dans la nouvelle organisation, tout agent doit trouver un poste correspondant à ses compétences et à sa position. L'application de ce principe a aussi permis à des agents qui avaient été "mis au placard" de retrouver des postes à responsabilité.

En sommes, vous dites que vous avez obtenu la "paix sociale". On peut toutefois penser qu'avec la fusion, il existe des doublons. Comptez-vous vous y attaquer ?

Je ne cherche pas à faire de la démagogie. Quand même, l'idée est que, globalement, l'effectif des agents évolue plutôt à la baisse. Mais, nous n'irons absolument pas au pas de charge. De toute façon, cela fait un an que la région n'embauche pas. Nous avons suffisamment de départs naturels (départs en retraite, mutations…) pour pouvoir discuter de l'ajustement des effectifs. Et, lorsque nous recommencerons à embaucher, nous régulerons les flux d'embauche.

Où en est le processus d'harmonisation des politiques publiques menées par les trois anciennes régions ?

La négociation sur le schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) durera tout l'automne et le schéma sera soumis au vote du conseil régional sans doute en mars prochain. Les dispositifs d'aides économiques qui en découleront seront approuvés d'ici au printemps prochain. Dans les domaines de l'aménagement et du sport, les dispositifs seront approuvés avant la fin de l'année. L'harmonisation va concerner toutes les autres politiques, à des rythmes différents. L'objectif étant d'avoir terminé à l'été 2017. A ce moment-là, les dispositifs existants des trois régions arrêteront de fonctionner.

En plus de la fusion et de la réorganisation des services, la région doit préparer les transferts de compétences prévus par la loi Notr, notamment celui qui concerne les transports scolaires. Où en êtes-vous ?

Nous mettons au point un régime juridique qui nous permettra de gérer ensemble les transports interurbains et les transports scolaires dès le 1er janvier prochain, alors que la loi a prévu deux dates distinctes pour la mise en œuvre de ces transferts, le 1er janvier pour les transports interurbains et le 1er septembre pour les transport scolaires. A partir du 1er janvier prochain, donc, les départements communiqueront leurs marchés à la région, qui les paiera à leur place. De plus, les agents des départements qui géraient les compétences, s'installeront dans les agences territoriales de la région. Pendant un certain temps, la région mettra en œuvre les politiques menées jusqu'à présent, sans rien changer. Les discussions en cours sur ces sujets avec les dix départements de la région se passent plutôt bien.

Pourquoi la région a-t-elle choisi d'assurer elle-même la compétence des transports scolaires et non de la déléguer aux départements ?

Le législateur a voté la fin de la clause de compétence générale des départements et des régions et de transférer les transports scolaires à la région. Alors, pour les citoyens, ne brouillons pas les cartes et exerçons cette compétence ! De plus, d'un point de vue pratique, nous allons disposer de nos agences territoriales qui nous permettront de gérer la compétence avec le même niveau de proximité que les départements.

Comment se déroulent les négociations avec les départements sur le développement économique ?

C'est un sujet plus compliqué que les transports scolaires et ce pour plusieurs raisons. D'abord, il n'y a pas de transfert de la compétence en matière de développement économique. Si les cartes sont rebattues dans le domaine, c'est lié à la suppression de la clause de compétence générale. Donc, les régions ne bénéficieront pas de transfert de ressources en direction des départements pour cette compétence-là. La discussion est, en revanche, ouverte avec le Premier ministre pour conférer aux régions une ressource nouvelle de l'ordre de 600 millions d'euros. L'autre difficulté vient des conseillers départementaux : ils sont nombreux à penser que, sans l'économie, ils n'existeront plus. Nous répondons à cela que ces élus ont encore la légitimité pour s'intéresser aux entreprises de leur territoire en tant qu'élus importants.

Les départements essaient-ils de conserver leurs outils économiques ?

Si la tentation existe, en droit ce ne sera plus possible. Les départements ne devront plus financer des outils de développement économique. A moins qu'ils disent que ce sont des outils d'aménagement. En effet, les frontières entre l'économie et l'aménagement sont assez floues. Quand une collectivité crée une zone d'activité et quand elle intervient dans le domaine de l'immobilier d'entreprise, son action relève-t-elle de l'économie ou de l'aménagement ? C'est assez ambigu.

La région a son siège à Strasbourg. La capitale accueille aussi les réunions de la commission permanente et des commissions thématiques – sauf celles de la commission des finances qui ont lieu à Châlons-en-Champagne. Enfin, les séances plénières du conseil régional se tiennent à Metz. Ce n'est pas simple !

Non, ce n'est pas compliqué et ce choix a très vite fait l'objet d'un consensus. Les maires des villes concernées considèrent que c'est un bon "deal".

Qu'en pensent les élus de Troyes, ville qui se trouve à l'extrémité ouest de la région ?

Ils ont le sentiment que la région s'occupe plus de leur ville aujourd'hui que lorsqu'ils se trouvaient en Champagne-Ardenne. Troyes était alors vraiment une ville éloignée et le département de l'Aube était quasiment plus mobilisé que la région sur des questions qui relèvent de l'échelon régional, comme l'université. De ce fait, les élus de Troyes sont de ceux qui sont les plus positifs par rapport aux actions de la région Grand Est. Ce que je dis est d'ailleurs vrai pour d'autres villes, comme Charleville-Mézières.

Quel rôle la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) va-t-elle jouer dans la concertation entre les collectivités territoriales du Grand Est ?

Le président de la région a réuni la commission une seule fois jusqu'à présent et le fera une deuxième fois à l'automne. Lors de la réunion, environ 150 personnes sont autour de la table. C'est l'occasion d'informer les acteurs présents et quelques-uns d'entre eux peuvent exprimer une remarque. La CTAP est donc un lieu d'information générale inter-collectivités. Dans l'Est, nous avons une attitude très légitimiste: puisque la CTAP existe dans la loi, nous la réunissons. Mais, heureusement que, pour la concertation, nous avons d'autres outils plus performants ! Nous organisons ainsi des réunions spécifiques, une fois avec les présidents de conseils départementaux, une autre fois avec les maires de certaines villes, ou avec les présidents des chambres de commerce, etc.

 

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