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Régions / Intercommunalités - Réforme territoriale : les sénateurs confrontent la théorie au terrain

La mission sénatoriale de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des lois de réforme territoriale a présenté son deuxième rapport d'étape. Celui-ci fait suite à de nouveaux déplacements, notamment en Nouvelle-Aquitaine. L'occasion pour les sénateurs d'effectuer un tour d'horizon assez complet, mais surtout proche des réalités du terrain, des effets de la réforme territoriale en termes, notamment, de fusions d'intercommunalités, de communes nouvelles, de compétences et de réorganisation des régions.

Après un premier rapport fin mars (voir ci-contre notre article du 5 avril), qui identifiait un certain nombre de points de vigilance en matière d'intercommunalité ou de fusion de régions, la mission sénatoriale de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des lois de réforme territoriale poursuit ses travaux et vient de rendre public son deuxième rapport d'étape. Cosigné par Mathieu Darnaud, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, il est le fruit de déplacements, essentiellement en Normandie et en Nouvelle-Aquitaine, à la rencontre des élus, des agents des collectivités et de ceux des services déconcentrés de l'Etat.
Principal constat de ce rapport : la réforme territoriale contribue à la mise en place d'une "organisation plus différenciée", notamment par une "administration territorialisée des collectivités, adaptée aux spécificités du terrain, à son peuplement, à sa densité, aux bassins de vie, qui se caractérise par le recours à des modes de gestion diversifiés". Cette nouvelle organisation, que le Sénat appelle de ses voeux, se substitue graduellement à "l'uniformité de l'architecture jacobine".

Renforcement des pôles urbains

La mission salue l'essor des communes nouvelles, qualifié de "révolution silencieuse", à la suite du rapport de Christian Manable et Françoise Gatel (voir ci-contre notre article du 19 mai). Elle pointe au passage l'émergence d'un "Etat déconcentré facilitateur", même si l'implication des services préfectoraux dans la création de ces communes n'a pas été uniforme dans tous les départements.
Toutefois, elle se fait également l'écho, comme l'ont fait de nombreux élus lors du récent Congrès des maires (voir ci-contre nos articles des 2 et 3 juin), d'inquiétudes "quant à l'avenir des communes déléguées après 2020 et, plus globalement, sur l'avenir des anciennes communes au sein de périmètres intercommunaux plus élargis".
A une autre échelle, le rapport prend acte du renforcement des pôles urbains, à deux niveaux : les métropoles, et les communautés urbaines nées de la "transformation-extension" des communautés d'agglomération. Il revient en particulier sur l'organisation des métropoles dans les territoires visités.
La métropole normande a fait ainsi le choix d'une organisation territorialisée, se structurant autour de la conférence métropolitaine des maires, de cinq conférences locales et des comités spécifiques. Le territoire métropolitain est découpé en cinq "pôles de proximité", qui ont une double mission de conseil et d'expertise aux communes et de gestion des services de proximité aux usagers, tels que la voirie et l'urbanisme. Outre des budgets territorialisés pour les grands services publics, un dispositif financier d'aide à l'aménagement pour les communes rurales a été mis en place.

"Contractualiser avec la région" sur les fonds structurels européens

En matière de compétences, en application de la loi Maptam, la métropole de Rouen s'est vu transférer la voirie, plusieurs musées dans le cadre de la création d'un pôle muséal et certaines compétences sociales, tandis que la métropole de Bordeaux a conclu un accord global (voirie, social, tourisme) de délégation avec le département de la Gironde.
Quel rôle pour les autres pôles urbains majeurs des régions ? Comment peuvent-ils "peser" dans la nouvelle organisation régionale, notamment afin d'accéder aux fonds structurels européens désormais gérés par le conseil régional ? La question se pose en particulier pour les anciens chefs-lieux de région situés en Nouvelle-Aquitaine, Poitiers et Limoges. A cet égard, les rapporteurs soulignent que "les intercommunalités doivent structurer leurs projets de territoire pour contractualiser avec la région sur ces enveloppes ; les grandes agglomérations, particulièrement, doivent devenir des acteurs reconnus d'elle".
Les travaux de la mission mettent aussi en avant plusieurs problématiques majeures, sur lesquelles sont revenus ses rapporteurs, mercredi 29 juin, lors de leur audition par la commission des lois.

Qui adoptera les compétences orphelines ?

Mathieu Darnaud, rapporteur de la mission, est notamment intervenu sur la question des compétences orphelines. Il a rappelé que, dans le cadre de la refonte de la carte intercommunale, des territoires ruraux ou semi-ruraux étant amenés à fusionner avec des territoires urbains, les compétences de proximité aujourd'hui assumées par les communautés rurales, comme le scolaire et le périscolaire, ne seraient pas nécessairement reprises par la future intercommunalité. Une situation paradoxale, d'autant plus que le problème s'était déjà produit, encore qu'à une échelle bien moindre, lors de la réforme territoriale de 2010.
Pour le sénateur de l'Ardèche, il faudra donc imaginer "des modes de gestion différenciés au sein des grandes intercommunalités". Dans le cas contraire, a-t-il averti, "cela pousserait les communes à créer à nouveau des structures dédiées" - des syndicats -, à l'encontre des objectifs de simplification de la loi Notr. Pierre-Yves Collombat, également rapporteur, a évoqué le cas de grandes intercommunalités ne souhaitant pas pleinement exercer "certaines compétences qui sont pourtant essentielles et qui justifient leur vocation", comme les transports, du fait de leur coût, déplorant "un freinage contraire à l'objectif de la réforme".
Alain Vasselle a signalé qu'en matière d'urbanisme, le projet de loi Egalité et Citoyenneté prévoit que deux EPCI qui fusionnent pourront conserver la situation existante pendant cinq ans si l'un disposait d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) et l'autre non. Le gouvernement devrait prochainement accorder le même délai aux EPCI fusionnés pour opter pour un mode de financement unique en matière de collecte et de traitement des ordures ménagères. Le sénateur de l'Oise propose de généraliser cette logique : permettre la "coexistence" des compétences optionnelles orphelines, pendant cinq ans, avant de décider de leur attribution à tel ou tel niveau de collectivité.
Alain Richard a pour sa part rappelé que l'article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales permettait aux collectivités de déléguer une compétence à une autre collectivité par convention, moyennant un règlement financier, et pouvait donc empêcher la recréation de syndicats.

L'organisation des compétences économiques "prendra du temps" 

Concernant le transfert de compétences des départements à la région, Mathieu Darnaud a estimé que les départements n'avaient pas encore achevé "leur travail de deuil", notamment sur le développement économique et les transports scolaires. La réflexion est toutefois en cours. Il relève que si les conseils départementaux "veulent bien être délégataires de la région de la compétence transports scolaires", c'est à condition d'avoir un "véritable pouvoir d'organisation du service" (voir notre article du 26 janvier). En outre, la délégation entre régions et départements en matière de transports scolaires "soulève la question des subdélégations entre départements et les autres autorités organisatrices", celles-ci n'étant pour l'instant pas possibles. Une proposition de loi a d'ailleurs été déposée en mai par Bruno Sido pour régler ce problème (voir notre article du 20 juillet).
Pour sa part, la sénatrice Jacqueline Gourault a déploré que l'Etat ne clarifie pas sa position sur la compétence économique, "qui pose un problème de transferts financiers". Quant à la compétence touristique, "rien n'a changé, ce qui pose un sérieux problème sur les territoires et ne constitue pas une façon rationnelle de gérer l'argent public" (voir ci-contre notre article du 15 juin).
François Zocchetto a lui aussi souligné que l'organisation des compétences économiques sera "extrêmement compliquée." Prenant l'exemple de la région Grand-Est, il a indiqué qu'en application de la loi, les agences de développement économique des deux départements d'Alsace avaient fusionné, en association avec celle de la métropole. Pour autant, il n'est pas à ce jour question de parvenir à une seule agence pour l'ensemble de la région. "Tout cela prendra du temps", a-t-il conclu.

"Etanchéité" entre l'organisation des services de l'Etat et de la région

Enfin, Mathieu Darnaud et Pierre-Yves Collombat se sont rejoints sur la difficile coordination de la réorganisation des services de l'Etat et de ceux des régions fusionnées. Ainsi, en Normandie, l'Etat et les régions réorganisent leurs services sans se concerter : Caen est capitale de la région, où siège le conseil régional, mais l'Etat "privilégie Rouen", où réside le préfet de région. La région y a toutefois implanté certains services, mais sans tenir compte des services de l'Etat présents dans la ville. D'après Marie-Françoise Guguin, vice-présidente du conseil régional de Normandie, le choix du conseil régional pour parvenir à un équilibre entre les deux capitales s'est fait "indépendamment des choix opérés par l'Etat".
Les deux déplacements de la commission en Nouvelle-Aquitaine ont aussi confirmé cette "étanchéité" entre l'organisation des services de l'Etat et de la région, le président de région ayant expliqué qu'il gardait à Bordeaux son état-major - directeur général des services et principaux directeurs généraux adjoints - et que parallèlement à l'harmonisation des politiques publiques régionales, loin d'être identiques dans les trois régions, il réorganisait les services avec une certaine différenciation territoriale.

Comment fonctionner en multisite ?

Pierre-Yves Collombat a pour sa part rappelé que la réorganisation des services régionaux de l'Etat s'est faite selon deux principes : "les directions régionales relevant d'une seule grande région devaient fusionner, sans obligatoirement avoir leur siège dans la nouvelle capitale régionale, mais en privilégiant un fonctionnement multisite suivant une logique de spécialité." Il a déploré lui aussi que "la plupart des exécutifs des nouvelles régions" ne semblent pas voir de lien entre la réorganisation de leurs services et la réorganisation des services de l'Etat - ce qui laisse le rapporteur "rêveur" quant à la cohérence d'une réorganisation territoriale "censée renforcer les compétences et pouvoirs des régions", alors que "l'essentiel du travail en commun des services de l'Etat et des acteurs de terrain continuera à s'effectuer au niveau départemental."
Les services de l'Etat devront donc composer avec une organisation des services des conseils régionaux elle-même multisite (voir nos articles ci-contre), avec les difficultés que cela implique. Formulant un constat qui vaut tout autant pour les services déconcentrés que pour les services régionaux, il a rappelé qu'il "faut des moyens matériels suffisants" pour travailler en multi-sites, qu'il s'agisse de télétravail ou de déplacements. "Comment, en outre, l'encadrement peut-il être assuré partout et adapté à une gestion multi-sites ?", s'est-il interrogé.

Les sénateurs de la commission des lois se sont accordés sur la nécessité d'une pause législative, vivement réclamée par les élus. Pour autant, Mathieu Darnaud, suivi par Philippe Bas, a estimé que "des évolutions législatives, même petites, seront inévitables". Les deux sénateurs ont d'ailleurs eux-mêmes déposé le 5 juillet une proposition de loi "permettant un exercice territorialisé de compétences au sein des EPCI à fiscalité propre de cinquante communes au moins".
La commission devrait effectuer encore deux déplacements en septembre et octobre. Son rapport final est attendu en fin d'année.

 

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