Gestion des déchets outre-mer : différenciation du traitement et objectifs territorialisés au menu

Poursuivant ses travaux sur la gestion des déchets outre-mer, la délégation sénatoriale des outre-mer a auditionné le directeur général de l'éco-organisme Citeo et le délégué général de l'association Amorce. Le premier a notamment évoqué les problèmes d’ingénierie et de gouvernance auxquels sont confrontées les collectivités, et plaidé pour une hiérarchisation des modes de traitement des déchets différenciée selon les territoires. Le second insiste, lui, sur la nécessité de fixer aux éco-organismes des objectifs contraignants et territorialisés, et plus largement de responsabiliser tout metteur sur le marché sur la fin de vie de ses produits pour en finir avec la "prime aux cancres".

Auditionnés tous deux successivement le 16 juin par la délégation sénatoriale aux outre-mer, dans le cadre d’un prochain rapport sur la gestion des déchets dans les territoires ultra-marins, c’est peu dire que Jean Hornain, directeur général de l'éco-organisme Citeo, et Nicolas Garnier, délégué général de l’association Amorce, n’ont pas toujours été sur la même longueur d’onde. Nul doute qu’une audition simultanée aurait d’ailleurs été plus instructive. Les deux intervenants se sont retrouvés néanmoins sur quelques points, factuels il est vrai. A commencer par le retard pris par les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) outre-mer : "Leur mise en place a été plus tardive qu'en métropole. La Réunion a été la première à démarrer, en 2003, avant les Antilles en 2010 et Guyane et Mayotte en 2015", constate Jean Hornain, qui ajoute que "le modèle ne prenait pas nécessairement en compte les spécificités des territoires". "L'outre-mer a été la dernière roue du carrosse des REP dès 1992", se fait plus incisif Nicolas Garnier, qui regrette de surcroît que l'on ait "beaucoup de mal à avoir des chiffres sur les départements et régions d’outre-mer".

Pour une hiérarchisation des modes de traitement des déchets différenciée

Pas étonnant donc que les territoires d’outre-mer ne soient pas encore au niveau – "en moyenne, en France, la collecte annuelle d’emballages par habitant est de 50 kg environ. Elle est de 25 kg à La Réunion et de 2 kg à Mayotte", indique Jean Hornain –, d'autant qu'ils souffrent de handicaps particuliers (voir notre article du 20 mai). Pour améliorer la situation, et éviter en particulier les déchets abandonnés, diffus, qui constituent "un véritable enjeu sanitaire outre-mer", Jean Hornain appelle au "développement du réflexe de tri, qui n’est pas encore naturel outre-mer". Il espère également l'émergence de filiales locales de recyclage, "un axe majeur". En l’espèce, comme pour la lutte contre les déchets abandonnés d'ailleurs, il estime que "les moyens financiers sont là". "Mais on a pour l'heure peu de projets", déplore-t-il. S'il fait état d'une "volonté politique naissante", il souligne que "la capacité d’exécution est cruciale. Il faut que les collectivités aient les capacités d'absorber les projets". Or il constate des "difficultés en matière d'ingénierie et, parfois, de gouvernance" outre-mer (constat déjà dressé – voir notre article précité). Il se déclare par ailleurs favorable à une augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) – "qu'on devrait pouvoir flécher" – pour mettre un terme à l'enfouissement, un problème "majeur outre-mer", et à la tarification incitative, en concédant que "ce n’est pas un modèle que l'on peut appliquer partout". Cette diversité des situations le conduit également à préconiser que "la hiérarchie des modes de traitement des déchets soit adaptée aux territoires, et puisse être différente outre-mer", visant singulièrement ici la valorisation énergétique.

Des objectifs contraignants et territorialisés

Nicolas Garnier pointe, lui, une toute autre difficulté, qui si elle n’est pas propre à l'outre-mer, y prend une importance singulière : "les éco-organismes n'ont aucun intérêt à collecter la tonne supplémentaire, surtout quand elle est particulièrement coûteuse. Or la tonne de déchets est précisément beaucoup plus coûteuse à collecter outre-mer". Globalement, il dénonce un "système de REP à la française très peu contraignant", pointant "le gouffre existant parfois entre la loi votée et les cahiers des charges fixés par l’État", qui comprennent "des objectifs souvent flous, rarement ambitieux, à l'échelon national et non territoire par territoire". Et, "last but not least", sans risque de sanction. Et de prendre ici l’exemple de Citeo, qui "n'a jamais atteint ses objectifs depuis 2012. Or il ne lui est jamais rien arrivé".

Aussi Nicolas Garnier prône une reconfiguration du système en le calquant sur celui des certificats d’économie d’énergie (ou des quotas carbone), "où les acteurs ont tout intérêt à respecter leurs objectifs, car chaque MWh manquant leur coûte extrêmement cher. Il faut que les tonnes manquantes soient malusées. Aujourd'hui, dans le pire des cas, l'éco-organisme devra acquitter ce qu'il aurait normalement dû payer s'il avait rempli ses obligations", se désole-t-il. Il ajoute que ces objectifs contraignants devraient être fixés "territoire par territoire", afin d'éviter que la tonne manquante collectée "soit celle du Grand Lyon plutôt que la tonne guyanaise. Quitte à ce que les objectifs pour les territoires d'outre-mer soient moins importants qu'ailleurs. Au moins, cela créerait une obligation de faire", assume-t-il. Et de préciser encore que "dans ses rêves les plus fous, les régions fixeraient les cahiers des charges – et pas l'État, qui est juge et partie", déplorant sur ce point "que le ministère des collectivités territoriales ne nous défende pas. Je le dis très clairement". Des cahiers des charges qui devraient enfin prévoir "des objectifs de prévention que l'on n’a jusqu’ici jamais imposés".

Responsabilité universelle plutôt que "prime aux cancres"

Naturellement, il n’est pas favorable à une augmentation de la TGAP, singulièrement "lorsqu'elle porte sur des produits qui ne sont pas recyclables. Une véritable injustice, qui taxe le mauvais acteur", à savoir la collectivité qui n'y peut rien. Il propose en conséquence a minima "une franchise de TGAP sur les déchets que personne ne sait recycler, solution qui lève l'injustice mais ne règle pas le problème du non-recyclable". Ou, mieux encore, "une TGAP amont sur les produits non recyclables", pour "compenser le coût de leur élimination" mais aussi pour "provoquer une prise de conscience". Et de relever "qu'à chaque fois qu'on crée une REP, cela crée un signal chez les metteurs sur le marché sur la fin de vie de leurs produits". De là à penser qu'il "faut une REP partout", il n'y qu'un pas, que Nicolas Garnier franchit aisément : "La responsabilité est universelle. Il n'y a aucune raison qu'il existe une responsabilité élargie du producteur d'emballage, et pas du fabricant de briquet. Naturellement, on ne va quand même pas mettre une filière sélective pour tous les produits, dont le briquet. Il faut distinguer le principe de REP des formes de sa mise en œuvre, qui ne passe pas nécessairement par celle de l'éco-organisme". Il prend l’exemple de l'alimentaire en suggérant une "réflexion autour de l'obligation de retour au sol de la matière organique".

Dans tous les cas, juge-t-il, "il faut que le metteur sur le marché contribue au moins financièrement à la fin de vie de son produit. Aujourd'hui, c'est la prime aux cancres puisque seuls ceux qui font du recyclable contribuent".

 

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