Habitat : décentraliser... et changer de modèle

L'association Villes de France organisait le 6 décembre en partenariat avec la Banque des Territoires une rencontre consacrée aux politiques de l'habitat... et, principalement, à leur décentralisation. Les élus représentant les villes moyennes ont fait part de leurs propositions en vue du futur projet de loi du ministre Patrice Vergriete. Clôturant la rencontre, celui-ci a insisté sur la nécessité d'un "nouveau modèle de développement territorial". Il soumet plusieurs questions aux associations d'élus. Les impératifs de rénovation étaient également à l'ordre du jour.

"Nous sommes favorables à une décentralisation de la politique du logement, mais pas à n'importe quel prix". Gil Avérous, le président de Villes de France, a résumé ainsi la position de son association représentant les villes moyennes à l'attention du ministre en charge du logement, Patrice Vergriete. "Décentraliser, pourquoi pas, mais pour quoi faire et comment ? Il faut une discussion en amont sur les objectifs et les moyens. Car si ça ne s'accompagne pas de moyens réglementaires, d'outils de programmation et de moyens financiers, alors nous ne sommes pas preneurs. Il faut un financement fiscal, autonome et dédié. Et est-ce qu'on décentralise tout ? Y compris les règles fiscales sur les meublés par exemple ? Et quid des dispositifs Malraux, Pinel ?", avait auparavant développé Jean-François Debat, le président délégué de Villes de France. Tous deux s'exprimaient ce 6 décembre, lors d'une rencontre organisée à Paris au Hub des Territoires, en partenariat avec la Banque des Territoires. L'intitulé choisi pour cette demi-journée faisant partie des "Rendez-vous de l'intelligence territoriale" de Villes de France : "Bien se loger, bien vivre dans les villes moyennes". En notant que ce même 6 décembre, l'Association des petites villes de France (APVF) organisait elle aussi, avec l'Union sociale pour l'habitat, un événement consacré aux "défis du logement" avec, évidemment, un certain nombre de problématiques communes (voir notre article de ce jour).

A l'heure où l'exécutif prévoit un projet de loi de décentralisation des politiques de l'habitat pour le premier semestre 2024, Villes de France, qui réunit les villes et intercos de 10.000 à 100.000 habitants, tient à apporter sa pierre à l'édifice, rappelant que cette strate représente pas moins de 600 villes et 60% de la population française. Son conseil d'administration avait ainsi le matin même adopté une série de propositions destinées à être remises à Patrice Vergriete venu conclure la rencontre (document à télécharger ci-dessous).

Pour les villes moyennes, dont certaines bénéficient aujourd'hui d'une dynamique démographique positive, y compris en lien avec celle de la réindustrialisation, l'enjeu de "l'accession au logement", qu'il s'agisse de logement social ou d'accession à la propriété, est naturellement "déterminant" dans leurs politiques de redynamisation. Et il y a consensus sur la nécessité de "tenir compte du fait que nos territoires sont très différents", tel que l'a formulé Frédéric Leturque, le maire d'Arras.

Privilégier la contractualisation

Certes, tout le monde est plus ou moins d'accord là-dessus, mais si "l'Etat reconnaît la nécessité d'adapter les politiques aux territoires", dans le même temps, il aurait "peur de perdre la main" et aurait donc jusqu'ici eu tendance à "renforcer son pouvoir normatif", non seulement en termes d'objectifs mais aussi de "moyens de les atteindre" et de "manières de faire". C'est ce que constate Anne-Katrin Le Doeuff, la directrice de l'Aorif (l'union sociale pour l'habitat d'Ile-de-France), pour qui il faut "redonner de l'air aux acteurs locaux" – aux collectivités, mais aussi aux organismes HLM.

Catherine Sabbah, déléguée générale de l'Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal), a toutefois estimé que les acteurs disposent d'ores et déjà d'une "palette très développée d'outils" pour offrir des "parcours résidentiels" dès lors que la politique du logement est réellement "portée et incarnée" localement. "S'il n'y a pas de portage politique" par les élus locaux, alors la décentralisation "ne changera rien" ou, pire, risque de renforcer certaines inégalités, craint-elle. En tout cas, "la décentralisation ne sera pas la solution à tout".

Selon Jean-François Debat, l'une des voies à privilégier doit être celle de la contractualisation : "Une contractualisation à cinq ans, avec des objectifs partagés, sur toute la chaîne du logement, depuis l'hébergement jusqu'à l'investissement privé en passant par le logement social. Au bout de cinq ans, on fait un bilan. Et oui, si on constate que les objectifs ne sont pas atteints, alors l'Etat reprend la main", propose le maire de Bourg-en-Bresse. Avec, toutefois, une série de prérequis, dont celui de "défendre les équilibres financiers des bailleurs sociaux", ce qui supposera de supprimer ou au moins de "rediscuter" la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui représente une ponction de 1 milliard d'euros par an. Face à ce manque à gagner pour les organismes HLM, "on leur dit 'Vendez des logements', résultat, on se retrouve avec un solde insuffisant de logements", dit Jean-François Debat. "En contrepartie" de la suppression de la RLS, Villes de France propose que les organismes HLM "s’engagent à investir l’intégralité des sommes restituées dans la construction neuve ou la réhabilitation, notamment thermique, de leurs logements".

"La notion de politique nationale du logement n'a plus de sens"

Patrice Vergriete n'a guère d'états d'âme quant à la nécessité de décentraliser. "On n'a jamais connu autant de contrastes de situations, de réalités territoriales différentes", dit-il lui aussi, soulignant que "le changement climatique va exacerber" ces disparités. Et le ministre de déclarer : "Est-il encore pertinent aujourd'hui d'avoir une politique nationale du logement ? On me demande souvent, 'Combien faut-il construire de logements en France ?'… Je m'en fiche ! La question c'est combien on construit de logements à tel ou tel endroit. La notion de politique nationale du logement n'a plus de sens. Il est donc urgent d'accepter que la politique du logement, c'est au niveau des territoires". Y compris parce que "beaucoup de choses supposent un contact direct avec l'usager", qu'il s'agisse par exemple de déployer Mon Accompagnateur Rénov' ou MaPrimeAdapt'. "C'est aux collectivités locales d'intervenir quand il faut faire du sur-mesure".

Pour celui qui est toujours président de la communauté urbaine de Dunkerque, l'enjeu de l'habitat dépasse la crise actuelle notamment liée à la hausse des taux d'intérêt et à l'inflation. Son diagnostic : "Cela fait déjà une bonne vingtaine d'années que notre modèle de développement territorial marche à l'envers. Ce modèle produit aujourd'hui des prix de l'immobilier qui ont totalement décroché du pouvoir d'achat, une consommation foncière largement excessive, l'éloignement du lieu de travail notamment pour les classes moyennes et populaires...". Et le ministre d'y ajouter l'ampleur du chantier de la rénovation énergétique, sans oublier l'adaptation du parc au vieillissement de la population, sur laquelle "on est encore plus en retard". Or "on continue à avoir des outils de la politique du logement du XXe siècle, qui correspondent à un modèle dépassé, qui ne correspondent plus aux besoins et aux usages en termes de transition écologique et démographique, en termes de lien emploi-logement, en termes d'usages et de confort de vie ; on continue à construire cette ville de l'énergie pas chère alors qu'on sait pertinemment que celle-ci est condamnée".

Dans ce contexte, Patrice Vergriete considère que sa mission consiste d'abord à "répondre à l'urgence" afin de "ne pas laisser s'effondrer l'appareil productif du logement" et parce qu'on "ne peut pas se contenter d'avoir une offre quasi nulle, que ce soit en logement social, intermédiaire ou privé". Il s'agit donc d'"amortir le choc" avec des mesures "de court terme" que l'on retrouve notamment dans le projet de loi de finances. Tout en veillant à "ne pas casser l'indispensable baisse des prix de l'immobilier", contrairement à ce qui s'est passé avec les "boosters" des décennies précédentes. Mais sa mission de plus long terme consiste aussi, donc, à "poser les bases d'une nouvelle politique du logement correspondant à un nouveau modèle de développement territorial".

Quel chef de file, quelles ressources, quelles compétences ?

Le ministre considère que "pour avancer sur cette décentralisation, il faut ouvrir quatre grandes questions". La première : "Qui est le chef de file ? Qui est l'Autorité organisatrice de l'habitat (AOH) ?". On sait que l'idée retenue jusqu'ici serait de miser sur les métropoles, communautés urbaines et communautés d'agglomération. Mais que sur certains territoires plus ruraux maillés de communautés de communes, ce rôle pourrait être confié au département. Il y a "débat" sur ce point entre les associations d'élus, constate Patrice Vergriete, pointant le problème d'une "peau de léopard" à l'échelle départementale. "La question de l'AOH, elle reste ouverte", dit-il.

Deuxième question : "quelles ressources" pour ces AOH ? Plutôt "un outil fiscal" et si oui lequel ? Ou alors plutôt des ressources venant de l'Etat ? En tout cas, Patrice Vergriete dit assumer le fait qu'il "faut un outil financier supplémentaire" dans la mesure où "le nouveau modèle de développement territorial coûtera plus cher" : "Du recyclage urbain dans le cœur des petites villes, ça coûte plus cher que de tartiner un champ de betteraves avec du pavillonnaire…". Là encore, il attend des propositions de la part des associations d'élus.

Vient ensuite "la question des compétences" à décentraliser. Selon le ministre, certains sujets sont "relativement consensuels" parmi les élus : le logement social avec notamment les aides à la pierre, la rénovation énergétique, l'adaptation au vieillissement… D'autres feraient en revanche davantage débat, tels que les APL ou l'hébergement d'urgence.

Il insiste enfin sur la question de "la boîte à outils de la régulation", sachant qu'à ses yeux, "le marché doit être fortement régulé par la puissance publique", y compris le marché du foncier. "De quels outils avez-vous besoin pour maîtriser le marché ?", interroge-t-il. "Là-dessus je veux vous entendre".

Ainsi, fait savoir Patrice Vergriete, la loi logement, "ce ne sera pas que la décentralisation". Car qui dit nouveau modèle dit "changer les instruments étatiques", "rééquilibrer le modèle économique de la production du logement"… et s'interroger sur "le rôle du logement social" : "On a assumé depuis trente ans une dérive du modèle généraliste du logement social vers un modèle résiduel et ce, sans débat politique" alors même que les élus "sont tous pour le modèle généraliste". "Faut-il ou pas y revenir, avec de nouvelles modalités d'attribution ?".

  • Produire… et rénover

"Nous devons aujourd'hui conjuguer la nécessité de produire et celle de rénover", a insisté Kosta Kastrinidis, le directeur des Prêts de la Banque des Territoires, lors d'une séquence consacrée à la rénovation énergétique. Or, prévient-il, "il va être très difficile de faire les deux ; si le monde HLM augmente sa production, il ne pourra pas rénover". Ce message, que la Banque des Territoires avait entre autres étayé dans une étude parue en septembre (voir notre article), serait aujourd'hui largement entendu. Et conduit à travailler à une palette de nouveaux outils et dispositifs, que ce soit avec l'apport de la "datascience" (dont PrioRéno qui, a indiqué Kosta Kastrinidis, va être "répliqué pour le logement social"), "l'ingénierie humaine" et, bien-sûr, de nouveaux outils financiers. On saura par exemple qu'un nouveau prêt bonifié en faveur du secteur HLM sera prochainement lancé avec l'Ademe, qui inclura les changements de vecteur énergétique et les raccordements aux réseaux de chaleur. Ou bien encore, s'agissant cette fois des copropriétés, sur la base du rapport de la mission conduite par Kosta Kastrinidis (voir notre article du 20 octobre), la possibilité d'un nouveau "prêt collectif" devrait figurer dans le futur projet de loi relatif aux copropriétés dégradées.

Le directeur des Prêts met en avant la nécessaire "imbrication" des acteurs, qui serait déjà une réalité : Anah, Ademe, Banque des Territoires… Celle-ci se joue évidemment aussi au niveau local. Telle est bien d'ailleurs la logique de France Rénov', lancé début 2022, qui entend aujourd'hui représenter un service public de la rénovation de l'habitat porté à la fois par l'État et les collectivités. Alé Sall, le directeur du programme à l'Anah, le présente comme "le guichet unique pour le parc privé". Pour pouvoir "donner envie de rénover", dit Alé Sall, il faut non seulement disposer d'un "système d'aides attractif" mais aussi "créer un écosystème de la rénovation localement". D'où l'idée d'un "pacte territorial de France Rénov'" (voir notre article).

La rencontre de mercredi a à ce titre montré que certaines collectivités, à leur petite échelle, ont largement pris les devants. A l'instar de la ville de Chaumont qui, dans une problématique notamment de rénovation ou réhabilitation des logements de son centre ancien, a mis en place "un guichet unique municipal" destiné à accompagner les investisseurs potentiels dans leurs démarches ("y compris avec l'ABF") et leurs recherches d'aides. "Plus de 100 dossiers en deux ans ont été traités pour l'hypercentre", a témoigné la maire de Chaumont, Christine Guillemy.

Cette séquence rénovation aura par ailleurs permis de mettre en lumière une nouvelle donne : on ne parle plus aujourd'hui uniquement de maîtrise de la facture énergétique… mais bel et bien aussi de "confort d'été". "Toutes les réglementations thermiques ont été pensées par rapport au froid. Or aujourd'hui, il faut ajouter ce nouveau paramètre, sachant que cela n'implique pas toujours les mêmes travaux", a par exemple prévenu Koumaran Pajaniradja, le directeur général d'Action Logement Immobilier.

 

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