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Habitat indigne : un “phénomène massif”, alerte la fondation Abbé-Pierre 

Entre 900.000 et 1.300.000 personnes seraient contraintes de vivre dans des conditions d’habitat dangereuses et indignes. 600.000 logements seraient considérés comme indignes, estiment la fondation Abbé-Pierre et le collectif d’associations réunis ce mercredi 9 janvier pour exiger un plan gouvernemental à la hauteur de ce “phénomène massif” en France.

L'effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne à Marseille et la mort de huit personnes en octobre 2018 vont-ils susciter une prise de conscience et permettre d'agir contre un phénomène devenu massif en France ? Pour l'heure, le plan gouvernemental serait "sous-calibré", ont alerté mercredi 9 janvier 2019 la fondation Abbé-Pierre, associée à l'association Soliha, au réseau Procivis et à l'association nationale Compagnons bâtisseurs, s'inquiétant du sort de "900.000 à 1,3 million de personnes contraintes de vivre dans des conditions d'habitat dangereuses et indignes". D'après des estimations, fondées notamment sur les statistiques de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) portant sur le parc privé potentiellement indigne (PPPI), 600.000 logements seraient concernés quand l'État chiffrait en 2015 à 420.000 (1) le nombre de logements indignes en France métropolitaine et à 70.000 en outre-mer (2). Yannick Borde, le président de Procivis, ex-Sacipap, qui travaille avec l’État et l’Anah, déplore une "très mauvaise connaissance" de la situation des copropriétés du point de vue de l’habitat indigne.  Sachant que l’État se mobilise actuellement sur les plus "grosses" copropriétés dégradées, via son plan annoncé à Marseille en octobre dernier, il faut aussi être attentif aux plus petites. Un sujet sur lequel il a "alerté" le cabinet de Julien Denormandie, indique-t-il.

Très présent dans des centres anciens de grandes agglomérations, l'habitat indigne touche aussi le reste du territoire, en métropole comme en outre-mer, de manière parfois invisible : les zones périurbaines, les bourgs anciens, les villages et les territoires ruraux reculés. Ce phénomène massif est en grande partie le résultat d'une crise du logement qui persiste et qui, par le manque de logements accessibles aux ménages pauvres et l'explosion des loyers dans le parc privé décent, a produit des effets désastreux : celui d'alimenter un "sous-marché" locatif de très mauvaise qualité. 

Il faut "l'engagement réel et large des collectivités" 

Les quatre acteurs réunis mercredi 9 janvier ont tout de même salué les mesures gouvernementales déjà prises contre les "marchands de sommeil", le plan "Initiatives Copropriétés", le nouveau programme national de renouvellement Urbain (NPNRU) et le programme "Action coeur de ville". Si la loi Elan apporte des évolutions positives, notamment sur la lutte contre les marchands de sommeil, le président de Soliha, Xavier de Lannoy, déplore le "détricotage" opéré par la suppression de l'aide financière que constituait l'APL accession. Jusqu’à l’application de la loi de finances pour 2018, "la lutte contre l’insalubrité du logement d’un propriétaire occupant pouvait se réaliser parce qu’en sus de la subvention de l’Anah, il avait droit à un prêt bancaire qui ne pouvait qu’être solvabilisé par l’allocation travaux [dans le cadre de l’APL Accession]". Le sujet de la suppression de l’APL accession dans le cadre de la LFI 2018 va laisser des traces, estiment-ils.
Le même jour sur France Info, le ministre Julien Denormandie évoquait ces différents éléments, estimant qu'ils étaient constitutifs d'un plan "contre l'insalubrité". "Mais ces plans ne fonctionneront qu'avec un engagement réel et large des collectivités", prévient le collectif. 

En pratique, les préfets prononcent les arrêtés d'insalubrité, après avis des agences régionales de santé (ARS), lorsque la santé des habitants est menacée, par une pollution, une mauvaise isolation... Le maire intervient si c'est la structure d'un bâtiment qui est en cause, en prenant des arrêtés de péril. Si un immeuble menace de s'effondrer, une évacuation peut être ordonnée. Dans tous les cas, le propriétaire, bailleur ou occupant, doit réaliser les travaux, les payer et reloger les occupants, si besoin. Mais bien souvent, les réticences sont nombreuses, le délais longs, parfois dramatiquement trop longs. Les procédures coercitives (arrêtés d’insalubrité et de péril notamment) ne sont pas toujours engagées ou pas suivies comme il le faudrait par les agents de l’État ou les services d’hygiène, la justice peine encore à poursuivre et condamner de manière effective les personnes qui ne respectent pas la loi, estiment les quatre acteurs réunis.

Pourtant, mercredi 9 janvier 2019, la justice a justement frappé d’une condamnation exemplaire un ancien médecin pour avoir logé une quarantaine de familles dans des conditions indignes dans sa clinique de Seine-Saint-Denis : trois ans de prison avec sursis et une amende de 150.000 euros. 

Objectif : 60.000 logements rénovés par an pendant 10 ans 

Dans ce contexte, la fondation Abbé-Pierre et les associations réclament donc notamment "des engagements contractualisés" des départements et intercommunalités, "à l'instar des contrats locaux d'engagements signés lors du lancement du plan national de rénovation énergétique des logements". Le collectif souhaiterait que soient fixés des "objectifs quantitatifs et qualitatifs aux territoires, assortis d'obligations de résultats : ce sont environ 60.000 logements indignes qui doivent être rénovés chaque année pendant 10 ans". "Les objectifs fixés à l'Agence nationale de l'habitat [...] sont seulement de 10.000 à 15.000 logements à traiter par an et ne sont pas atteints", rappellent les quatre acteurs. Ils appellent également à développer "les opérations à périmètre départemental" pour mieux repérer les situations d'habitat indigne, souvent tues par les personnes concernées, à mieux accompagner les ménages mais aussi à utiliser davantage les procédures coercitives contre les bailleurs indélicats. 


(1) D'après le ministère de la Cohésion des territoires en 2015.
(2) Communiqué du ministère du Logement du 26 octobre 2016.

A Marseille, 100 immeubles frappés de péril imminent depuis les effondrements mortels

La ville de Marseille a annoncé vendredi 28 décembre 2018 avoir pris cent arrêtés de péril grave et imminent concernant divers immeubles à travers la ville, depuis l'effondrement de deux bâtiments qui a fait huit morts début novembre. Cette centaine d'arrêtés de péril en moins de deux mois représente une augmentation vertigineuse : 35 arrêtés avaient été pris en 2015, 43 en 2016, 57 en 2017 et 48 en 2018 jusqu'en octobre. L'effondrement de ces deux immeubles vétustes de la rue d'Aubagne, le 5 novembre, a plongé la ville et le maire LR Jean-Claude Gaudin dans l'une de ses plus graves crises, soulignant l'ampleur du problème du logement insalubre et dangereux. Les signalements se sont depuis succédé, et quelque 1.600 personnes ont été évacuées d'environ 200 immeubles, le temps de vérifier leur état. Temporairement sans domicile fixe, elles ont été hébergées la plupart du temps en hôtel. Ces évacuations ont donné lieu à la prise de 100 arrêtés de péril grave et imminent, qui obligent les propriétaires à faire des travaux d'urgence dans les deux mois. Après ce délai, la ville peut se substituer à eux et leur envoyer la facture. "Par ailleurs, 16 procédures de péril simple ont été lancées pour des travaux plus légers. Dans ce cas, les propriétaires disposent de 6 à 8 mois pour réaliser les travaux", précise la mairie, très critiquée depuis le drame par les évacués et son opposition pour l'insuffisance de son action en matière de logement insalubre ou dangereux.
Mercredi 28 novembre, la présidente LR de la métropole Aix-Marseille-Provence Martine Vassal a proposé qu'un plan de 600 millions d'euros, financés par l'Etat et les collectivités territoriales, soit mis en place pour lutter contre l'habitat insalubre à Marseille. Sur les 600 millions d'euros mobilisés, Martine Vassal, également présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, souhaite que l'Etat en prenne 229 millions, et la métropole Aix-Marseille-Provence autant, le reste étant réparti "entre les collectivités". La présidente de la métropole a par ailleurs annoncé le lancement d'"assises territoriales de l'habitat", chargées d'élaborer des propositions d'ici au printemps 2019.

Avec l'AFP