"Il existe un vrai problème de fonctionnement démocratique à l'échelle locale"

Moyens matériels et financiers réduits, droits limités en matière de communication, expression réduite lors des séances des conseils municipaux… Sur la base d'une enquête auprès de 500 conseillers municipaux minoritaires, l'Association nationale des élus locaux d'opposition (Aelo) dénonce les carences des institutions locales et le risque d'"hégémonie" politique qu'elles font courir. Le malaise des élus d'opposition est également pointé.

Après l'abstention record enregistrée aux élections depuis 2020, nul ne doute de l'urgence de revivifier la démocratie locale. Pléthore de rapports ont avancé des remèdes ces derniers mois. Mais, pour intéressants que soient ces travaux, ils ont en commun un angle mort : ils ne prévoient pas de renforcer la place et les droits de l'opposition dans les assemblées municipales et communautaires. Les "déficits" dans ce domaine sont pourtant criants, dénonce l'Association nationale des élus de l'opposition (Aelo), en s'appuyant sur les résultats d'une enquête, à laquelle près de 500 élus d'opposition issus de communes de toutes tailles – dont un tiers n'adhérant pas à l'Aelo – ont répondu au début de l'année. Les données de ce baromètre conçu par trois membres de l'association (Yvon Rosconval et Sandrine Bize, deux conseillers municipaux d'Ile-de-France, ainsi que Michaël Lopez, un ex-conseiller municipal, également francilien) mettent en évidence la rareté des moyens dont disposent les élus d'opposition dans les communes.

Un peu plus de quatre répondants sur dix disposent d'un local. Mais, parmi eux, près des deux tiers déplorent son mauvais équipement. Moins de trois élus d'opposition sur dix se sont vu remettre un équipement informatique par la commune et moins de deux sur dix ont la faculté de faire des photocopies à la mairie. En outre, moins de quatre élus d'opposition sur dix disposent d'une salle leur permettant d'organiser des réunions publiques. Enfin, un peu moins d'un tiers disposent d’une protection juridique, en sachant que la plupart du temps, cette dernière est à leur charge. Et ce, alors que très peu d'entre eux (14%) bénéficient d'une indemnité.

Des élus à qui l'on donne peu la parole

En matière de communication, les droits accordés aux élus de la minorité sont "des plus réduits", selon l'Aelo. Ils se résument pour l’essentiel à la traditionnelle tribune dans le journal municipal, selon neuf répondants sur dix. Seulement un sur dix a la possibilité de publier sur les réseaux sociaux de la commune et 15% ont cette faculté sur le site internet.

Les élus d'opposition peuvent en principe obtenir la communication de certaines informations relatives aux décisions de la commune. Mais même ce droit n'est pas toujours respecté, le recours à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), voire la saisine du tribunal administratif étant alors requis.

Une large part des élus d'opposition considèrent les conseils municipaux comme des "chambres d'enregistrement". À noter que près des trois quarts d'entre eux estiment que le délai minimum de réception de trois à cinq jours à respecter pour l'envoi de la convocation et des pièces n'est pas suffisant pour permettre une bonne préparation du conseil municipal. Il n'est alors guère étonnant que les élus d'opposition attribuent au fonctionnement du conseil municipal la note moyenne de 3,1 sur 10. S'agissant des réunions des commissions, la déception est également grande : pour 75% des élus, les commissions ne favorisent pas les échanges constructifs.

La relation avec le maire jugée très médiocre

Mais ces conseillers municipaux sont encore plus critiques à l'égard du maire de leur commune. La relation avec ce dernier se voit octroyer une note moyenne de 2,4 sur 10. En dehors des réunions du conseil municipal et des commissions, l'opposition a peu l'occasion de rencontrer le premier magistrat de la commune. Et rares sont ses membres (pas plus de 8%) s'étant vu confier une mission. Les relations avec le maire sont parfois tendues. Il n'est ainsi pas rare que les litiges soient portés devant le tribunal. Près d'un élu minoritaire sur quatre affirme ainsi que le maire a engagé des démarches judicaires à son encontre. Du côté des élus de la minorité, un tiers indiquent avoir fait de même contre leur maire.

"Les pouvoirs accordés aux maires, ainsi que le non-contrôle de l’application des lois, leur permettent de gouverner seuls. Et nombreux sont ceux qui abusent de ce pouvoir", dénonce une récente lettre ouverte au président de la République, signée par quelque 300 élus de toute la France. "L'analyse des témoignages montre que cet absolutisme est la cause majeure de démission des adjoints et conseillers municipaux", poursuit-elle. Pour l'Aelo aussi, le risque de démotivation est réel. Selon le baromètre, 19 % des élus d’opposition ont démissionné depuis le début de l'actuel mandat. Ce serait trois fois plus que pour les conseillers municipaux de la majorité (6%), lesquels sont cependant largement plus nombreux.

Abaisser la prime majoritaire

Selon l'Aelo, l'absence de "culture du compromis" au sein des institutions locales trouve son origine dans les règles du scrutin municipal, plus exactement la prime majoritaire. L'attribution automatique de la moitié des sièges à la liste arrivée en tête à l'élection favoriserait "un fonctionnement hégémonique". En effet, avec un nombre confortable de sièges qui lui sont acquis, le maire n'a nul besoin de se tourner vers des élus numériquement faibles.

L'attribution d'une prime majoritaire abaissée à 25%, comme c'est actuellement le cas pour les listes recueillant le plus grand nombre de voix aux élections régionales, "permettrait à l'opposition de fonctionner", sans pour autant être de nature à bloquer la prise de décision, juge Yvon Rosconval.

L'association, qui prépare une plateforme de propositions - notamment en vue des élections sénatoriales -, met aussi en avant la nécessité de faciliter le recours à la médiation pour régler les litiges entre les maires et leur opposition. Elle préconise en outre l'installation de commissions "du temps long" dans les communes, afin de favoriser des débats "prospectifs" et, donc, "apaisés".

L'Aelo n'entend pas porter de "revendications catégorielles" : "l'idée est de voir comment on peut mieux faire vivre la démocratie", souligne l'élu d'opposition de Triel-sur-Seine (Yvelines). L'exercice est primordial, alors que le président de la République a ouvert des discussions avec les élus locaux sur une nouvelle page à écrire en matière de décentralisation. "Il ne peut y avoir de phase de décentralisation supplémentaire que si on réfléchit véritablement à ce que peut être la démocratie locale à l'échelle de la commune et de l'intercommunalité", insiste le représentant de l'association.