Indicateurs financiers : les élus locaux jugent préférable de temporiser

Le comité des finances locales (CFL) a estimé, lors de sa séance plénière du 6 septembre, que la réflexion sur les indicateurs financiers utilisés pour la répartition des dotations et fonds de péréquation n'est pas suffisamment mûre pour qu'il soit procédé, dans le projet de loi de finances pour 2023, à de nouvelles modifications des règles relatives à ces données qui ont été déjà retouchées ces deux dernières années.

"Chi va piano va sano". Le comité des finances locales (CFL) vient d'appliquer l'une des maximes favorites de son ancien président, Gilles Carrez (UMP, puis LR), dix ans après que celui-ci a passé le relais à André Laignel (Soc). Dans une délibération (à télécharger ci-dessous dans son intégralité) que ses membres ont adoptée à l'unanimité, l'instance consultative des finances des collectivités juge "prématuré" de réformer une nouvelle fois les critères financiers qui servent à la répartition entre les collectivités des dotations de l'Etat et des fonds de péréquation. L'examen parlementaire à l'automne du projet de loi de finances (PLF) pour 2023 offre pourtant une fenêtre de tir pour remettre sur l'établi ces outils qui sont jugés "insatisfaisants".

Après que son groupe de travail dédié au sujet s'est réuni à six reprises entre mars et juillet 2022, le CFL appelle ainsi à un statu quo provisoire. "Sur ce dossier d'une grande complexité, il faut être prudent pour éviter les effets de bord. Alors, l'idée est de donner du temps au temps et de poursuivre les travaux", résume Antoine Homé, maire (Soc) de Wittenheim, membre du CFL et, par ailleurs, coprésident de la commission des finances de l'Association des maires de France (AMF). "Les élus locaux ont à payer les pots cassés d'une réforme - la suppression de la taxe d'habitation - dont les conséquences, notamment le bouleversement des indicateurs financiers, n'ont pas du tout été anticipées", dénonce de son côté l'entourage du président du CFL. Dans l'attente d'une solution satisfaisante qui reste à trouver, "le gel de l'existant" semble être l'option "la moins impactante", même si elle n'est pas sans défaut non plus, poursuit celui-ci.

"Neutralisation" bien réelle des effets des réformes en 2022

L'affectation à partir de 2021 de nouvelles ressources fiscales au bloc communal et aux départements - afin de compenser la suppression de la taxe d'habitation - et la réduction la même année des impositions locales payées par l'industrie ont contraint le législateur à adapter les indicateurs servant à mesurer la richesse relative des collectivités (potentiels fiscal et financier). Comme le souhaitait le CFL, il a aussi fait évoluer le périmètre de ces indicateurs, dans le but de "renforcer leur capacité à refléter de manière fidèle les ressources que [les collectivités] peuvent mobiliser". Enfin, pour éviter un bouleversement de la répartition des concours financiers, le législateur a cherché à neutraliser complètement pour 2022 les effets de ces réformes. Avec succès, puisque les "fractions de correction" mises en place ont empêché "des variations notables des attributions", comme le constate le CFL. Mais il faut rappeler que, pour le bloc communal, le dispositif laissera sa place à partir de 2023 à un système de lissage dégressif, sur six années.

S'agissant de l'effort fiscal des communes, le CFL "juge nécessaire de poursuivre en 2023 les travaux visant à identifier la possibilité de [le] réformer ou de lui substituer d’autres indicateurs". Pour rappel, comme le comité l'avait demandé l'an dernier, la loi de finances pour 2022 "a, à titre transitoire, recentré l’effort fiscal sur la mesure des ressources fiscales mobilisées par une commune par rapport aux ressources fiscales qu’elle peut effectivement mobiliser". Pour le CFL, la prochaine étape devait être la disparition pure et simple de cet indicateur. Mais il temporise désormais, car "les options et simulations présentées de suppression de l’effort fiscal du calcul des dotations" ont un "caractère insatisfaisant". En outre, au vu là encore des simulations, il n'est plus question de substituer l'indicateur par le revenu par habitant, comme envisagé il y a un an (voir notre article du 23 juillet 2021). Dans l'attente d'une solution, la correction des effets de la réforme de l’effort fiscal des communes devra être "intégralement maintenue en 2023", plaide le comité.

D'inévitables ajustements du potentiel financier des départements 

Concernant le potentiel financier des départements, le CFL constate que les effets de son adaptation sur les dotations et fonds de péréquation "sont neutralisés" de manière "pérenne" : aucune dégressivité de la neutralisation n’est prévue dans le temps. Toutefois, certains questionnements sont inévitables. En effet, si elle était votée par le Parlement, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et son remplacement par une autre recette seraient la source d'une modification substantielle de la composition des ressources des départements. Pour le CFL, il est clair qu'à terme, le potentiel financier ne reflètera plus fidèlement "la richesse relative des départements". Il convient donc d'"identifier la manière pertinente de mesurer les ressources ainsi que les charges des départements". Les travaux à mener seront toutefois longs et, donc, aucune solution ne pourra être votée dans le PLF pour 2023, souligne l'instance.

On notera que dans un courrier envoyé fin mai au ministre en charge des Collectivités territoriales et à son collègue en charge des Comptes publics, Départements de France avait demandé que le mécanisme de neutralisation des conséquences de la récente réforme de la fiscalité locale sur les indicateurs financiers des départements demeure pérenne. Des simulations réalisées pour l'association avaient montré que, sans cela, il serait constaté "d'importants transferts financiers entre départements", notamment en provenance des départements défavorisés et en direction des plus aisés.

Mesurer les charges de ruralité

Le CFL n'appelle pas à faire totalement l'impasse sur le PLF pour 2023. La discussion parlementaire du texte pourrait être l'occasion, selon lui, d'une petite correction des indicateurs servant à la répartition de la dotation de solidarité rurale (DSR). Il s'agirait d'abandonner dès l'an prochain la longueur de voirie communale, qui "présente plusieurs inconvénients en termes d’équité de traitement et de cohérence". Un "indicateur tenant compte de la superficie, pondérée par la densité et par la population" serait plus à même de rendre compte des charges de ruralité, estime l'instance. Qui, pour tenir compte des éventuels effets de la mesure, préconise la mise en place d'un "encadrement renforcé des attributions de DSR, en particulier celles de sa fraction 'cible'".

Au cours de leurs débats, les élus locaux se sont inquiétés de l'évolution des finances locales, dans le contexte de hausse des coûts des matières premières et de l'énergie. Certains auraient aussi alerté sur l’actualisation en cours des valeurs locatives des locaux professionnels qui, si rien n'est fait, doit profiter aux "grandes surfaces situées en périphérie, au détriment des commerces des centres-villes", relate un proche du président du CFL. Unanimement, les élus locaux ont aussi crié haro sur le projet de suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Si les parlementaires valident la mesure, celle-ci "coupera le lien entre les territoires et les entreprises", a fustigé Antoine Homé, jugeant cela "très anti-économique". Alors que les budgets des collectivités font face à l'ensemble de ces "menaces", la présentation au cours de la réunion, par un représentant de Bercy, du bilan d’exécution de l’objectif d’évolution de la dépense locale (Odedel) en 2021 - celui-ci est fixé par la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 - a donné "une image un petit peu trop positive de l'état des finances locales", estime l'élu.