Réforme des indicateurs financiers : les effets ne sont toujours pas clairs, déplorent les élus locaux

Le comité des finances locales a examiné un projet de décret "portant diverses mesures relatives aux dotations de l'État aux collectivités territoriales, à la péréquation des ressources fiscales, à la fiscalité locale et aux règles budgétaires et comptables applicables aux collectivités territoriales." Un projet de texte, qui, notamment, précise les modalités de la transition, prévue par les dernières lois de finances, vers de nouveaux critères d'évaluation de la richesse des collectivités, et introduit la possibilité pour les départements de mettre en réserve une partie du produit des droits de mutation à titre onéreux.

Comme chaque année à pareille saison, la direction générale des collectivités locales (DGCL) prépare un projet de décret pour affiner les modalités de mise en œuvre de certaines dispositions de la dernière loi de finances, en particulier en matière de dotations de l'État et de péréquation des ressources financières locales. Le projet de texte, qui vise à permettre l'entrée en vigueur des dispositions de ce type figurant dans la loi de finances pour 2022, était au menu de la séance que le comité des finances locales (CFL) a tenue ce 17 mai. Une séance qui avait par ailleurs été consacrée aux modalités du soutien de l'État aux services publics locaux au titre de l'année 2021 (voir notre article du 18 mai) et à la répartition du produit des amendes de police en matière de circulation routière (voir notre article du 19 mai).

Il contient une quinzaine d'articles, parfois très techniques. Il apporte ainsi des précisions sur le calcul ou la répartition de plusieurs dotations (dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité et la valorisation des aménités rurales, dotation de péréquation urbaine des départements, dotation politique de la ville, ou encore dotation de compensation pour la protection fonctionnelle des élus des communes de moins de 3.500 habitants). Dans ce projet de texte sont aussi inscrites les conditions de déclaration de modifications des supports publicitaires assujettis à la taxe locale sur la publicité extérieure, le nouveau calendrier de la transmission par les collectivités territoriales des taux de taxe de séjour aux services de la direction générale des finances publiques, mais aussi la suppression de l'obligation pour les assemblées locales de délibérer pour autoriser la constitution, l’ajustement ou la reprise d’une provision.

Anticiper les conséquences de la réforme des indicateurs financiers

Autant de sujets qui n'ont pas appelé de remarques particulières de la part du CFL. L'instance s'est surtout montrée attentive à trois articles, qui précisent les modalités d'application des modifications des indicateurs financiers servant à la répartition des dotations et des fonds de péréquation, lesquelles ont été introduites par les lois de finances pour 2021 et 2022. Ces dispositions portent sur les modalités de calcul des fractions de correction "qui doivent permettre de neutraliser intégralement en 2022 puis partiellement et de manière dégressive jusqu’en 2028 les effets des réformes récentes de la fiscalité locale (suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, réforme des impôts de production) sur les indicateurs financiers des collectivités du bloc communal", explique le gouvernement dans la fiche d'impact du projet de décret. Il s'agit aussi de "neutraliser" les effets de la mesure intégrant de nouvelles ressources communales dans le calcul des potentiels fiscal et financier communaux et de la réforme de l'effort fiscal. Les fractions de correction visent à "neutraliser les effets de bord" de l'ensemble de ces réformes dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement et des montants du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic). Toutefois, il est prévu que les indicateurs de richesse des collectivités locales "continuent d’évoluer du fait des phénomènes sans lien avec les réformes fiscales (évolution de la population, évolution des bases de fiscalité ou des taux, etc.)".

Le CFL a émis un vote négatif sur le projet de décret, non en raison de "l'extrême complexité" du dispositif, mais plutôt à cause de l'absence de simulations. "On a considéré qu'on ne pouvait pas voter à l'aveugle", déclare Antoine Homé, maire de Wittenheim. "On est noyé dans le brouillard", insiste le président de la commission finances et fiscalité locales de l'Association des maires de France. Si cela dure, "on risque d'avoir des effets bourrasque non anticipés", prévient-il. Il est toutefois possible que la DGCL fournisse le 24 mai prochain au groupe de travail du CFL qui planche sur les indicateurs financiers de premières analyses des conséquences de la mise en place des fractions de correction appliquées aux indicateurs financiers. Sous réserve qu'elle ait bien lieu, cette présentation sera trop tardive, estiment les élus locaux.

Départements : mettre de côté pour les coups durs

Si ceux-ci se sont prononcés contre le projet de décret, ils n'en ont pas rejeté les dispositions qu'il contient. Certaines sont même considérées comme positives. Il en est ainsi d'une disposition prévoyant que les départements puissent, par délibération, affecter en réserve une partie des recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) d'un exercice. Cette décision, qui relève d'une attitude de précaution, pourra être mise en œuvre au cours de l'exercice où les DMTO sont constatés, ou lors de l’exercice suivant.

Cette faculté sera assez strictement encadrée, puisque le montant de l'"affectation en réserves au titre d'un exercice ne [pourra] excéder la différence entre le montant des DMTO constatés au cours de l’exercice et le montant moyen de ces mêmes produits constatés au cours des trois exercices précédents". En outre, les départements ne pourront pas constituer de "super tirelire". En effet, "le montant cumulé des produits affectés en réserves ne pourra pas être supérieur à 50% du montant moyen des produits de DMTO perçus au cours des trois exercices précédents.

Les ressources mises de côté devront servir dans les périodes où le département connaît "une dégradation caractérisée de sa situation financière du fait, dans une proportion significative, d’une augmentation de ses charges ou d’une diminution de ses produits, constatée au regard de la moyenne des données des trois exercices précédents". Dans de telles circonstances, le département pourra avoir recours à tout ou partie du produit de DMTO qu'il aura mis de côté.

Soutenir l'investissement

Les membres du CFL se sont prononcés favorablement sur cette disposition du projet de décret, indique-t-on à Départements de France. "Mais sous réserve, précise l'association (ex-Assemblée des départements de France) que le texte évolue pour rendre encore plus souple l'utilisation de la réserve", en permettant qu'elle soit utilisée pour des dépenses d'investissement". Et ce, "en faisant abstraction" de la situation financière du département. Une demande qui a obtenu une réponse positive de la part de la direction générale des collectivités locales (DGCL), celle-ci s'engageant à des discussions sur le sujet "dans les jours prochains". Ce dialogue "ne se traduira peut-être pas par une modification du décret en lui-même, mais par l'élaboration d'une instruction qui invitera à une lecture assez souple des dispositions du décret", précise Départements de France.

Ce point n'est pas un détail. C'est précisément dans le but de pouvoir soutenir l'investissement que, lors des assises qu'ils ont tenues début décembre à Bourg-en-Bresse, les élus départementaux avaient émis le souhait que soit créé le dispositif. L'une des 102 propositions présentées à cette occasion prévoyait d'"autoriser les provisions contra cycliques pour faciliter les plans d’investissement pluriannuels".

La mesure sera d'application immédiate. Cela signifie que des départements pourront s'en saisir dès cette année. Le niveau très élevé des recettes dont beaucoup d'entre eux bénéficient au titre des DMTO de l'an dernier… et l'hypothèse d'un essoufflement de la croissance, voire de la contraction en 2022 du marché de l'immobilier, pourraient les y inciter.