Commande publique - Informer le candidat évincé d'un marché public : imbroglio jurisprudentiel
Dans les faits, la communauté de communes de Vesle Montagne de Reims (CCVMR) avait lancé une procédure adaptée en vue d'attribuer un marché public pour la construction d'ouvrages de transfert des eaux usées. Le marché public est signé le 29 octobre 2009 et une société candidate est informée du rejet de son offre par courrier le 6 novembre 2009. La société évincée forme un référé précontractuel auprès du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne mais cette requête est jugée irrecevable puisque le marché public avait déjà été signé. La société évincée saisit alors à nouveau le tribunal administratif et demande l'annulation du marché litigieux ainsi que la condamnation de la communauté de communes au paiement de la somme de 77.590 euros au titre du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière. Le tribunal administratif condamne la communauté de communes au versement de cette somme et estime que la notification du rejet de l'offre de la société écartée "après la signature du marché était constitutive d'une irrégularité de nature à affecter la validité de la procédure de passation". En revanche, la demande d'annulation du marché public formulée par la société est rejetée par le tribunal. La personne publique fait appel du jugement rendu devant la cour administrative d'appel de Nancy. N'ayant pas obtenu l'annulation du marché en cause, la société évincée se joint à cette requête par la voie de l'appel incident.
La communauté de communes devait-elle informer le candidat évincé du rejet de son offre et de l'attribution du Mapa avant la signature dudit marché ?
A cette question, la juridiction d'appel répond par la positive, s'opposant par là même à la position du Conseil d'Etat sur le sujet. Dans un arrêt de principe du 19 janvier 2011 "Grand port maritime du Havre", les juges du Palais Royal avaient considéré que "les Mapa ne sont pas soumis à l'obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d'attribution". A l'inverse, dans l'affaire en cause, la cour administrative d'appel de Nancy considère que le respect d'un délai raisonnable s'impose à l'acheteur public avant la signature d'un Mapa. La juridiction d'appel invoque les principes généraux de la commande publique tels que la liberté d'accès à la commande publique, l'égalité de traitement des candidats ainsi que la transparence des procédures pour considérer qu'il "incombe notamment à la personne responsable du marché d'informer les candidats évincés du rejet de leur candidature ou de leur offre et de respecter un délai raisonnable avant de signer le marché afin de permettre aux intéressés, éventuellement, de contester le rejet qui leur est opposé".
Dans un arrêt du 28 mars 2013, la cour administrative d'appel de Nantes avait déjà adopté cette position (voir ci-contre notre article du 24 mai 2013).
Ces divergences jurisprudentielles entre le Conseil d'Etat et les juridictions inférieures contribuent à brouiller la réflexion sur la question du respect d'un délai raisonnable pour les Mapa, perturbant davantage le quotidien des acheteurs publics. Ces derniers choisissent parfois de manière délibérée de respecter un délai raisonnable entre la notification du courrier de rejet aux candidats évincés et la signature du marché. S'agit-il toutefois d'une obligation ou d'une simple mesure de courtoisie ? La question reste ouverte et ne semble pas encore trouver de consensus parmi les différentes juridictions… même si les décisions du Conseil d'Etat font en principe jurisprudence.
L'Apasp
Références : cour administrative d'appel de Nancy, 18 novembre 2013, n° 12NC01181 ; cour administrative d'appel de Nantes, 28 mars 2013, n°11NT03159
Conseil d'Etat, 19 janvier 2011, "Grand Port Maritime du Havre", n°343435
Fiche DAJ- Les marchés à procédure adaptée, 21 février 2013.
L'avis d'un praticien
La question du respect d'un délai raisonnable entre la décision d'attribution d'un marché et sa signature a été abordée par l'avocat Franck Lepron au cours de la 161e session d'études organisée par l'Apasp le 17 octobre dernier sur la prévention des risques et la nécessité de sécuriser les marchés publics. Reprenant la position du Conseil d'Etat dans l'arrêt "Grand port maritime du Havre" du 19 janvier 2011, Franck Lepron avait considéré que l'article 80 du Code des marchés publics (CMP), imposant le respect d'un délai de stand still d'au moins 16 jours (ou 11 jours pour une notification électronique) entre la notification du courrier de rejet aux candidats évincés et la signature du marché public ne s'applique pas aux Mapa. Pour l'avocat, même "les principes généraux de la commande publique n'obligent pas, en tant que tel, au respect d'un délai de stand still ou d'un délai raisonnable". L'acheteur peut donc signer son marché alors même qu'il n'a pas informé les autres candidats du rejet de leurs offres. En procédure adaptée, l'acheteur public "peut légalement et facilement fermer la voie des référés", affirmait Franck Lepron.
Du côté de la doctrine…
La fiche de la direction des affaires juridiques (DAJ) sur les marchés à procédure adaptée, actualisée au 21 février 2013, prévoit que "les marchés passés selon une procédure adaptée ne sont soumis ni à l'obligation d'information des candidats évincés, ni au respect d'un délai de suspension de la signature prévu au I de l'article 80 du CMP". L'acheteur public peut toutefois se soumettre volontairement à cette formalité. Les candidats non retenus peuvent ainsi prendre connaissance du motif de leur éviction et les personnes publiques anticiper toute contestation ou demande d'informations ultérieures. Pour la DAJ il s'agit surtout "d'une mesure d'élémentaire courtoisie, propre à instaurer de bonnes relations avec des entreprises, qui seront, peut-être, de futurs fournisseurs (…) ".