Aménagement numérique - Infrastructures passives de communication : un patrimoine à surveiller et à entretenir
La gestion des infrastructures passives de communication a connu une actualité en mars dernier, lors du renouvellement des permissions de voirie par les collectivités aux opérateurs, sachant que ces permissions donnent lieu à redevance. Or, avec l'envol des réseaux d'initiative publique (RIP) pour le FTTh (Fiber to the home), la bonne gestion de ce patrimoine souterrain devient tout aussi cruciale. Quelles sont les conditions à réunir pour en faire une activité, sinon rentable, du moins équilibrée ? Quel peut en être l'impact financier ? Comment aborder les risques fréquents de contentieux sur la propriété ? Les intervenants, élus et territoriaux, de la conférence organisée sur ce thème lors du congrès de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) qui se déroulait la semaine dernière à Montpellier, ont confirmé l'intérêt financier lié à cette gestion, tout en mettant l'accent sur les précautions à prendre.
"En optimisant la gestion des fourreaux, nous comptons économiser 10 à 15 millions sur les 180 engagés", estime Alain Mathieu, directeur du syndicat mixte d'énergies, d'équipements et de e-communication du Jura. Ce syndicat pilote la construction d'un réseau FTTh de 6.000 kilomètres de réseaux, dont 1.600 à enfouir. A cette échelle, et sachant que le génie civil représente jusqu'à 80% du coût de déploiement des réseaux, la gestion des infrastructures devient un enjeu économique à part entière. La méthode reste complexe. Il convient en effet de ne construire que ce qui est nécessaire en réutilisant largement l'existant, de gagner la bataille de l'information pour déterminer le taux d'occupation des fourreaux existants et identifier leurs propriétaires, d'arbitrer souvent entre un patrimoine en état de conservation moyen et l'option du neuf, de gérer les risques de contentieux sur la propriété sans oublier l'amélioration du rendement de la redevance d'occupation du domaine public (RODP) qui est en quelque sorte un "produit dérivé"...
Une gestion associant les communes
Ce travail demeure l'une des principales tâches du syndicat, qui vient de boucler son schéma d'ingénierie. Sur le terrain, les équipes ont dû composer avec "l'imprécision notoire des plans fournis par Orange et la difficulté d'identifier les propriétaires", sachant que le flou entretenu se répercute directement sur les recettes. "Le manque à gagner sur la RODP serait de 30%. Ainsi, l'opérateur devrait payer 100.000 à 150.000 euros supplémentaires chaque année au conseil général et aux communes", déplore Alain Mathieu. Aussi, au fil du temps, le syndicat s'est organisé pour améliorer la performance de son action : il a créé un service d'assistance pour aider les communes à se défendre. "Même au-delà de 10.000 habitants, il leur est difficile de se défendre et de faire valoir leur droit", commente Alain Mathieu. Côté fourreaux, le syndicat utilise les opportunités liées à son activité sur le réseau électrique pour construire annuellement 15 à 20 km de fourreaux et il incite les communes à suivre l'exemple afin de passer à un rythme de 40 à 50 km par an. Par ailleurs, le syndicat a créé un modèle d'affaires pour améliorer sa vision. "C'est une manière de se rassurer… Nous avons vu qu'en optimisant la RODP et en gérant le domaine locatif, nous pouvions dégager des recettes et financer ainsi un peu plus rapidement le FTTh."
Méthodologie : quelques principes à respecter
La multiplication des RIP va contribuer à l'expansion du réseau d'infrastructures passives. Dans ce contexte, Ariel Turpin, chargé de mission France Très Haut Débit, fort de son expérience antérieure de responsable de l'aménagement numérique en Seine-et-Marne, s'interroge sur le bien-fondé d'une collectivité à en être le propriétaire gestionnaire. "Dans l'ensemble, ça fonctionne, mais ceux qui ont déployé savent que c'est compliqué. Il y a des prescriptions techniques, des procédures, des obligations à respecter", souligne-t-il en mettant l'accent sur trois éléments essentiels constitutifs d'une bonne gestion.
Il s'agit tout d'abord d'établir des règles d'ingénierie précises, notamment sur les modalités d'utilisation des fourreaux. Faute de ce cadre, le SAN de la ville de Sénart, par exemple, a vu sa marge de manœuvre fortement rétrécir. Son réseau, en effet, est utilisé par tout le monde. S'il y a six fourreaux quelque part, un opérateur n'hésitera pas à en utiliser quatre ou cinq sans avoir le souci d'économiser la place, puisqu'il n'y a pas de règles établies. Par ailleurs, le SAN accueille au sein de ses fourreaux le réseau d'éclairage public et se retrouve également dans des conflits d'usages lorsque les fourreaux ne sont plus disponibles.
Deuxième principe énoncé par Ariel Turpin : arbitrer ses choix sur des critères de charges et donc de coûts. Il arrive que l'utilisation des propres fourreaux de la collectivité soit financièrement moins attractive. Ainsi, à Chevry-Cossigny (Seine-et-Marne) - l'une des villes choisies dans le panel du "pilote national" préfigurant le déploiement du très haut débit -, il s'agissait de déployer 2.100 prises dans un lotissement via les fourreaux destinés au réseau d'antennes collectives. Mais constatant un diamètre inadapté, l'absence d'informations sur les câbles déjà présents et un état d'entretien du réseau incertain, la mairie a finalement opté pour les fourreaux de l'opérateur historique.
Enfin, Ariel Turpin conseille de privilégier la continuité plutôt que les "bouts de réseaux", lorsque cela possible. Le différentiel financier peut être conséquent, comme le montrent deux exemples. Le SAN de Melun-Sénart ayant récupéré 270 km de réseaux après décision du tribunal administratif en 2002, les a mis en location. La recette atteint aujourd'hui 450.000 euros et la marge d'exploitation s'élève à 60.000 euros. De son côté, le département de Seine-et-Marne a déployé des tronçons épars de 3 à 4 km dans le cadre de son RIP de première génération. "Dans ce cas, constate Ariel Turpin, dès lors que le patrimoine est dispersé, distant et diffus, il est beaucoup plus difficile de trouver une rentabilité économique à la location, mieux vaut alors en confier l'exploitation à un tiers plutôt que de les gérer en propre."
Attention fourreaux en quête de propriété
Dernier volet "chaud" : celui du contentieux sur la propriété, qui oppose de plus en plus souvent les collectivités locales et l'opérateur historique. Pierre Ducou, maire de Cestas, président du groupe de travail Urbanisme de l'Association des maires de France, en fait l'expérience puisque sur sa communauté de communes, le contentieux porte sur 250 km de fourreaux et un potentiel de recettes équivalent à celui du SAN de Melun-Sénart. De son côté, Patrick Chaise, directeur du syndicat intercommunal d'énergie et de e-communication de l'Ain, n'en finit pas de croiser le fer avec Orange : "L'Ain a probablement le record des recours en contentieux", rappelle-t-il, tout en estimant l'impact faible sur le déploiement. "Sur 3.000 km déployés, les contentieux représentent, mis bout à bout, environ 2 km de réseau", assure-t-il. En revanche, la location des fourreaux de l'opérateur et l'accès à une information exploitable demeurent difficiles.
Tous les élus de la table ronde ont déploré cette rétention d'information et les contentieux à répétition qui émaillent le déploiement des réseaux. Un problème qui trouve son origine dans le transfert de propriété de l'infrastructure par la loi de 1996, consécutif à l'arrêt du monopole d'Etat détenu par France Télécom. Depuis, le contentieux, abondant et constant, résulte aussi de la méconnaissance du patrimoine local détenu par les collectivités. Cette insécurité juridique est un facteur de réduction des recettes (la redevance), d'accroissement des dépenses (fourreaux doublonnés) et de retard du déploiement.
Contentieux, quelques certitudes
En attendant une clarification législative - que certains espèrent avant l'extinction du cuivre -, quelques confirmations ont été apportées aux gestionnaires de réseaux par Terence Cabot, avocat au Cabinet Latournerie Wolfrom et associés, sur les positions établies par le juge administratif : "Dès lors que la personne publique a été maître d'ouvrage ou a fait réaliser les infrastructures pour son propre compte, elle en est bien le propriétaire en titre." Cette acception va assez loin puisque le juge considère que lorsque l'ancienne direction générale des télécommunications ou lorsque l'établissement public France Télécom a participé avec ses services techniques à la conception ou à la construction de ces infrastructures, la collectivité restait également propriétaire. De plus, ces infrastructures faisant partie du domaine public, même si la collectivité a pu considérer à un moment donné que les infrastructures ne lui appartenaient pas, "en l'absence de déclassement ou de désaffectation", ces infrastructures sont "imprescriptibles et inaliénables". L'histoire n'est pas terminée puisque dans quelques procédures en instance, Orange fait valoir des jurisprudences des cours d'appel de Paris et de Lyon et un arrêt de la Cour de cassation reconnaissant le réseau comme un ensemble constitué à la fois d'infrastructures et du réseau lui même, composé de câbles ou de fibres.