Installation en agriculture durable : les solutions de l’économie sociale et solidaire mises en évidence par le programme Tressons
L’approche collective, la mutualisation, l’ancrage local et l’hybridation des ressources, marques de fabrique de l’économie sociale et solidaire (ESS), offrent des solutions aux nombreux défis qui se posent en matière de renouvellement des générations et d’installation agricole, notamment aux porteurs de projet en agriculture durable qui souvent ne sont pas issus du monde agricole. L’Avise et le RTES viennent de publier sur le sujet un guide à destination des collectivités territoriales, dans le cadre du programme Tressons. Récemment clôturée, cette démarche a permis de renforcer les synergies entre des acteurs de l'agriculture, issus ou non de l’ESS, des acteurs plus généralistes de l’ESS et des collectivités.

© RTES / Studio Fengari / Mélanie Fengari - Le séminaire de clôture du 20 mai dernier avec, entre autres, Anne-Laure Federici
Après une première phase en 2018-2022 (voir notre article), le programme Tressons (Territoires ruraux et ESS, outils et nouvelles synergies) copiloté par l’Avise et le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) a été prolongé en 2024-2025, avec le soutien du Réseau national agricultures et ruralités (RNAR). Un séminaire de clôture de la démarche a récemment eu lieu à Stains (voir notre article).
Alors que la première étape avait permis de mettre en évidence la place de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans les territoires ruraux, les acteurs du programme se sont particulièrement intéressés, en 2024 et 2025, à la façon dont l’ESS pouvait favoriser le renouvellement des générations et l’installation en agriculture durable. Deux autres axes ont porté sur le développement et l’inclusion dans le monde agricole et sur la mobilisation de l’ESS en faveur de l’attractivité des territoires ruraux et de la transition écologique.
"On observe un renouvellement important du profil des porteurs de projet : en agriculture biologique, quasiment la moitié sont des femmes, ce qui n’est pas du tout le profil habituel en termes d’installation agricole", souligne Anne-Laure Federici, déléguée générale du RTES, interrogée par Localtis. Le rapport au travail des jeunes qui s’installent est également différent, par rapport aux générations précédentes. "Face à ces évolutions, il y a des réponses vraiment pertinentes de l’ESS qui mise sur la dimension collective et la mutualisation, mais aussi l’ancrage local et l’hybridation des ressources" (aides publiques, participations des usagers, bénévolat…), selon Anne-Laure Federici. Pour répondre aux problématiques de logement qui se posent en particulier aux personnes non issues du milieu agricole, des sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) investissent par exemple dans des bâtiments pour proposer des "logements passerelles" à des personnes qui envisagent de s’installer ou sont en cours d’installation.
Protéger et "rendre utile" le foncier agricole
À l’occasion de la sortie du guide "Faciliter l’installation en agriculture durable en ESS : leviers pour les collectivités", produit dans le cadre du programme Tressons, un webinaire a été organisé le 30 juin 2025 par le RTES. "C’est assez récent mais, de plus en plus, les collectivités territoriales s’emparent de cette question du renouvellement des générations et de l’installation en agriculture durable", a indiqué Chloé Sécher, déléguée générale adjointe du RTES.
Le guide détaille bien sûr les leviers d’action sur le foncier : sur celui des collectivités (diagnostic précis du patrimoine et veille sur les ventes avec l’outil Vigifoncier de la Safer, mise en réserve de terres entre le moment de la vente et celle d’une nouvelle installation, mise à disposition de terres par exemple pour une ferme d’insertion professionnelle, acquisition de parcelles éventuellement avec la fondation Terre de liens…) et sur le foncier privé (protection des terres agricoles par la modification des documents d’urbanisme, soutien de projets de réhabilitation de terres en friche, sensibiliser les cédants et favoriser la mise en relation avec des porteurs de projet…).
Élu en 2020 maire du village de Bou (Loiret, 1.000 habitants), Bruno Cœur a classé l’ensemble de sa commune en "zone agricole protégé", ce qui garantit que les parcelles agricoles le resteront "pendant plusieurs décennies, quels que soient les conseils municipaux suivants". "C’était aussi un moyen de faire comprendre aux propriétaires de ces parcelles qu’il fallait arrêter d’attendre une constructibilité future et donc les rendre utiles", a témoigné Bruno Cœur lors du webinaire. La commune acquiert des parcelles (12 hectares jusqu’à présent) pour les louer à des producteurs bio - un maraicher et un viticulteur. Dans la perspective du prochain départ à la retraite d’un exploitant qui libérerait 200 hectares, l’équipe municipale s’est rapprochée de l’association Terres de liens pour faciliter l’installation d’agriculteurs avec, selon le maire, "l’ambition d’avoir une commune intégralement bio".
Construire des parcours de formation adaptés
Le RTES et l’Avise citent dans le guide un grand nombre d’acteurs de l’ESS investis dans le domaine de l’agriculture durable, de l’accès au foncier à la distribution (voir l’encadré ci-dessous). Et invitent les collectivités à "connaître et accompagner les formes coopératives favorisant l’agriculture durable" et, plus globalement, à s’appuyer sur les acteurs de l’ESS dans les projets alimentaires et agricoles territoriaux. Porté par un pôle territorial de coopération économique (PTCE), le projet alimentaire territorial (PAT) Sud Landes fédère par exemple un collectif d’acteurs de l’ESS, d’acteurs agricoles (producteurs) et de collectivités locales (voir notre article).
Autre levier pour les collectivités : soutenir la formation et l’emploi. Du fait d’un manque d’ancrage territorial, de réseau et de capital, nombre de porteurs de projet en agriculture durable ont en effet besoin d’un parcours de formation plus approfondi, par rapport par exemple à des enfants d’agriculteurs qui reprennent l’exploitation familiale. La Coopérative d’installation en agriculture paysanne (Ciap) Centre-Val de Loire a ainsi conçu un parcours de formation d’un an, rémunéré par France Travail ou la région, intégrant à la fois un soutien à l’entrepreneuriat, des stages et une aide à l’installation ou un portage temporaire d’activité.
"De plus en plus d’incubateurs et autres acteurs généralistes de l’accompagnements de projets ESS se rapprochent du monde agricole pour proposer des parcours d'accompagnement cohérents et adaptés", indique à Localtis Morgane Lang, responsable du pôle Territoires de l’Avise, qui cite l’exemple d’un partenariat entre Les Ecossolies et la Ciap 44. C’est d’ailleurs pour elle l’une des réussites du programme Tressons d’avoir "renforcé les espaces de dialogue et les possibilités de synergies entre des acteurs de l'agriculture, des acteurs de l'économie sociale et solidaire généralistes et des collectivités".
Soutenir l’emploi et l’insertion dans le monde agricole
Les collectivités peuvent ainsi soutenir les coopératives d’activités et d’emplois (CAE) qui "accompagnent les porteurs de projets agricoles en leur proposant de tester leur activité dans le cadre d’un contrat CAPE puis de devenir entrepreneur salarié associé de la coopérative", peut-on lire dans le guide. Mais également apporter un appui, via la commande publique, aux structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) et aux entreprises adaptées du monde agricole. Dans le cadre de l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée à Redon, les collectivités soutiennent l’entreprise à but d’emploi (EBE) qui porte une légumerie "créée pour répondre aux besoins de la restauration collective du territoire".
Le rôle des collectivités porte évidemment aussi sur l’accompagnement des coopérations et la structuration de filières agricoles, la sécurisation des débouchés – notamment dans la restauration collective -, le soutien aux outils de transformation territorialisés, la mobilisation de financements et la planification – des enjeux qui sont détaillés dans le guide.
› De l’accès au foncier à la distribution : des acteurs de l’ESS présents dans le secteur agricoleLe guide réalisé dans le cadre du programme Tressons met en avant un grand nombre d’acteurs de l’ESS œuvrant pour une agriculture durable : sur l’accès au foncier (Terres de lien, la Ceinture verte…), sur l’accompagnement à l’installation (réseaux des Civam, Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, et des Adear, Associations pour le développement de l’emploi agricole et rural, les Ciap, Coopératives d’installation en agriculture paysanne, ou encore le Reneta, Réseau national des espaces test agricoles), sur les emplois inclusifs dans le secteur agricole (Jardins de Cocagne, fermes de la communauté Emmaüs), la mutualisation d’emplois agricoles (groupements d’employeurs), les formes collectives de production agricole (par exemple les fermes partagées en Auvergne-Rhône-Alpes), les outils d’accompagnement (les Cuma), de transformation (conserveries, légumeries ou abattoirs sous forme coopérative), de distribution (dont les Amap, les épiceries solidaires, la Scic Coop Circuits et le réseau des Biocoop) et de plaidoyer (le pôle InPACT, Initiative pour une agriculture citoyenne et territoriale). |