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La Cour des comptes passe au tamis les politiques publiques de réduction de la pollution de l'air

Dans une enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes apprécie les effets et les marges de progression des politiques publiques d'amélioration de la qualité de l'air. Malgré un constat accablant sur le retard pris, ses rapporteurs saluent l'implication croissante sur ces enjeux des collectivités territoriales. Elles devraient être parties prenantes dans l'élaboration et le pilotage du prochain plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA). Deux autres bonnes nouvelles : l'évolution dès janvier prochain de l'indice Atmo et une rallonge de dix millions d'euros pour financer les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa).

Comme la loi organique relative aux lois de finances (Lolf, 2001, art. 58-2) l'y autorise, la commission des finances du Sénat peut demander à la Cour des comptes la réalisation d'enquêtes pour nourrir ses réflexions. La dernière en date est, si l'on peut dire, dans l'air du temps au vu de l'actualité chargée dans le domaine. "Nous avons investigué du printemps 2019 jusqu'en ce début d'année sur la politique de lutte contre la pollution de l’air, son suivi, ses effets, poursuivant des auditions durant le confinement. Les principales administrations, des établissements, opérateurs publics ainsi que des collectivités et associations de collectivités ont été entendus. Notre enquête est assortie de recommandations sectorielles et d'annexes notamment sur ce qui se fait ailleurs", a présenté Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, lors d'une audition de restitution organisée le 23 septembre au Sénat. 

Un risque sanitaire doublé d’un risque contentieux

Les rapporteurs de la Cour des comptes relèvent certains progrès accomplis depuis sa dernière enquête et communication sur le sujet en 2015-2016. Ainsi, la diminution des émissions de polluants atmosphériques se poursuit, "du fait des efforts entrepris et de phénomènes structurels, dont la désindustrialisation". La prise de conscience de ces enjeux au sein de l’espace public s’est renforcée et "les instruments de politique publique se sont structurés". Mais ces baisses n’ont pas permis d’atteindre une qualité de l’air conforme aux normes établies par la réglementation européenne. Les obligations de réduction d’émissions sont certes respectées mais ce n’est pas le cas pour celles sur les niveaux de concentrations : "Encore douze agglomérations demeurent en situation de dépassements réguliers des concentrations maximales autorisées pour les oxydes d’azote ou les particules fines". Quant aux valeurs guides prônées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la base de considérations de santé publique, elles sont loin d’être atteintes alors qu’elles "font désormais référence pour un nombre croissant d’acteurs et sont déjà prises en compte dans de nombreux travaux scientifiques comme dans les avis de l’Autorité environnementale". 

La Cour des comptes revient aussi sur les contentieux européens et nationaux qui se sont multipliés et sur "la décision récente la plus importante", celle de juillet 2017 qui a fait "évoluer la responsabilité de l’État d’une obligation de moyens à une obligation de résultat". Elle a comme on le sait conduit le Conseil d'Etat à prononcer l’astreinte record de 10 millions d'euros par semestre de retard. Le constat d'échec est patent et quand bien même la France parviendrait à respecter, estiment les rapporteurs, "les exigences de la directive qualité de l’air dans un horizon proche, les baisses des concentrations ne permettraient pas des gains significatifs en termes d’impact sanitaire". Leur enquête informe d’une "probable révision des normes européennes au cours des prochaines années, dans le sens d’un rapprochement avec des valeurs guides de l’OMS, elles-mêmes en cours de révision". Ce qui devrait "renforcer le niveau d’exigence et nécessiter une intensification des efforts de limitation des émissions". 

Un nouvel indice Atmo dès janvier

La Cour des comptes déplore le fait que les particules fines inférieures à 2,5 microns (PM2,5) ne soient pas un polluant réglementé. Un biais bientôt corrigé dans le nouvel indice de synthèse Atmo (lire notre article). L’indice actuel présente en effet des faiblesses, "il ne prend pas en compte la pollution de proximité et est construit à partir d’une échelle qui n’est pas cohérente avec les valeurs guides de l’OMS visant à protéger la santé des populations". L’arrêté révisant l’indice est en cours d’élaboration. Il prend en compte la mesure des PM2,5 et non plus uniquement celles inférieures à 10 microns (PM10), comme c'est le cas actuellement. "Et prévoit de couvrir l’ensemble du territoire et non plus seulement les agglomérations de plus de 100.000 habitants. La Cour appelle à sa publication et à sa mise en œuvre rapide, ainsi qu’à la prise en compte des autres limites de cet indice".

Des collectivités actrices du prochain plan national

Le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) en prend pour son grade. On se souvient qu'il y a trois ans et demi, la publication de ce document stratégique d’une cinquantaine de mesures, fixant les orientations de l'Etat pour améliorer la qualité de l'air et répondre aux exigences d'une directive européenne, déclencha un soupir de soulagement au ministère de Ségolène Royal. Etait-ce exagéré ? A y regarder de plus près, les rapporteurs trouvent qu’il ne constitue pas un outil innovant de mobilisation des acteurs nationaux et locaux en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air. Ce PREPA de 2017, comportant "peu de mesures nouvelles" par rapport au plan précédent (2003), prenait plus la forme d’un  "inventaire de mesures déjà en vigueur au moment de sa mise en œuvre". S’il apportait de rares mesures nouvelles, plusieurs ont été abandonnées, "la plus emblématique concernant la fiscalité sur les carburants". 

Les Sages de la Cour sont plus tendres envers les collectivités territoriales. Leur "montée en puissance" sur ces enjeux de qualité de l’air est notable. Pour autant, nuancent-ils, "le degré d’implication des régions en la matière est variable, celles qui sont les plus exposées aux épisodes de pollution étant les plus mobilisées". Autre lacune, les plans de protection de l’atmosphère (PPA) restent trop peu nombreux et leurs orientations à mieux aligner avec celles des plans climat-air-énergie territorial (PCAET). " Cela tombe bien, plusieurs PPA vont être révisés, "à Nice, Clermont-Ferrand et Toulouse où l’évaluation débute en 2021", illustre Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat du ministère de la Transition écologique. Une autre bonne chose, la loi d’orientation des mobilités (LOM) entend renforcer la synergie entre le PREPA et ces plans climat. Plus généralement, la Cour des comptes défend la nécessité d’une "articulation accrue" des politiques entre les actions de l’État et celles des collectivités, "ainsi que des financements qui y sont consacrés, tant la pollution de l’air revêt des enjeux spatialisés". Elle nourrit l'espoir que le prochain PREPA, dont la révision débute cet automne en vue d'une entrée en vigueur en 2022, évitera cet écueil du manque d’ambition : "Un bon signe, déjà, on perçoit une réelle volonté d'y associer les régions", positive Annie Podeur. Pour "faire droit à la demande de collectivités territoriales de plus en plus sensibilisées à ces enjeux et disposant désormais de leviers d’action essentiels, dans les transports et l’urbanisme en particulier, la Cour voit d’un bon œil cette implication renforcée des territoires dans l’élaboration et le pilotage du prochain PREPA.  

Financement des Aasqa : 10 millions d’euros d'aides

Autre problème pointé, qui ne date pas d'hier, la fragilité du modèle économique des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa). Les raisons du problème sont connues et ont déjà été soulignées par la Cour des comptes : l'équilibre tripartite, qui est au cœur du financement des Aasqa, entre les apports des collectivités, de l'Etat et des industriels est mis à mal et plus vraiment respecté. La participation des deux premiers a dégringolé - surtout côté collectivités dans les départements, nombreux à s'être désengagés - et, sans toujours compenser cette chute, la part prise par les industriels a quant à elle grimpé. Reste que tous les pollueurs ne sont pas forcément les payeurs... "Et les polluants ont changé, les transports et l'agriculture sont des émetteurs importants mais ne contribuent pas directement à notre financement", précise Jean-Félix Bernard, président d'Airparif. En outre, la contribution des industriels est plafonnée, "mais le Medef et le syndicat France chimie seraient d'accord pour relever ce plafond, ce qui permettrait de pallier en premier lieu nos difficultés". "L'Etat veut aussi apporter un financement supplémentaire aux Aasqa et proposera au Parlement dans le cadre du PLF un apport conséquent de l’ordre de 10 millions d’euros par an", a pour sa part annoncé Laurent Michel.