Territoires - La montagne charge "l'appareil parisien"

Dans un climat d'incertitude lié à la réforme de la décentralisation et aux orientations de la nouvelle PAC, les élus de montagne, qui tenaient leur congrès à Cauterets, les 17 et 18 octobre, s'en sont pris au redécoupage cantonal. Quatre mois après les inondations qui ont frappé les Pyrénées, ils ont par ailleurs réclamé une réforme de la loi sur l'eau de 2006. Marylise Lebranchu a indiqué de son côté qu'un grand chantier de réforme de la DGF s'ouvrirait "dans les prochains mois".

D'eau, il a beaucoup été question lors du 29e congrès de l'Association nationale des élus de montagne (Anem) qui s'est déroulé les 17 à 18 octobre à Cauterets (Hautes-Pyrénées). Un territoire durement frappé par les inondations des 18 et 19 juin derniers. Après l'urgence et la remise en état des routes (qui n'est pas encore achevée), c'est la gestion des cours d'eau à long terme qui se pose. Les élus de montagne ont profité de la présence de deux ministres pour réclamer une réforme de la loi sur l'eau de 2006 qui aurait aggravé les dégâts causés par les crues des Gaves et de la Garonne. "Nous avons eu beaucoup de remontées d'élus. Ils nous ont fait part des difficultés que causaient cette loi pour la réalisation d'aménagements qui permettraient de prévenir les crues des cours d'eau", témoigne Frédérique Massat, députée de l'Ariège et présidente de l'Anem, interrogée par Localtis. Le ministre de l'Environnement, Philippe Martin, ne s'est pas opposé à cette révision. "Si le retour d'expérience de ces catastrophes et de la révision du Sdage [schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin Adour-Garonne, NDLR] nous conduit à quelques aménagements législatifs de la loi sur l'eau, j'y suis prêt", a-t-il assuré.
L'eau a aussi été abordée comme une ressource de première importance pour la montagne qualifiée de "territoire à haute valeur environnementale" par la ministre de la Réforme de l'Etat et de la Décentralisation, Marylise Lebranchu. Les élus ont ainsi demandé que "l'apport de la montagne en tant que château d'eau de la nation soit enfin reconnu". Il a été question de l'hydroélectricité (les collectivités veulent avoir leur mot à dire dans le renouvellement des concessions de barrages qui doit intervenir à brève échéance) mais aussi de l'irrigation. Le ministre de l'Environnement s'est dit attaché au principe de "l'eau paie l'eau", consacré par la loi de 2006, qui fait que chaque prélèvement d'eau fait l'objet de compensations financières. Mais, alors que les élus de montagne font valoir les services rendus par les canaux d'irrigation traditionnels en montagne, Philippe Martin a opposé son refus à une "exonération totale de redevance". En revanche, les irrigants pourront être davantage soutenus par le biais de "contrats de canaux".

Redécoupage cantonal

Les élus ont le sentiment de devoir batailler pour se faire entendre à Paris. Ils sont à ce titre remontés contre le redécoupage cantonal, essentiellement fondé sur des critères démographiques, qui va diviser par deux le nombre de cantons et engendrer une diminution du nombre de conseillers généraux/départementaux issus de la montagne. "Le regroupement des cantons est une fausse bonne idée s'il ne tient pas compte des communautés de vie et des réalités géographiques", a ainsi critiqué Michel Pélieu, président du conseil général des Hautes-Pyrénées, avant de s'en prendre à "l'appareil parisien". Frédérique Massat convient cependant que certaines "anomalies" méritaient d'être corrigées : "Vous avez des cantons de 500 habitants, d'autres de 15.000, la question de la représentativité est extrêmement complexe", concède-t-elle.
Sa spécificité, la montagne souhaiterait la voir prise en compte dans tous les domaines : l'aménagement du territoire avec la question des services publics ou du haut débit, la péréquation financière. Mais aussi dans la réforme de la décentralisation : la montée en puissance des métropoles et la suppression du Haut Conseil des territoires (au sein duquel les territoires de montagne devaient être représentés) ne sont pas pour rassurer les élus. Pourtant, l'Anem se dit confiante dans le retour de ce haut conseil lors de la dernière lecture du projet de loi sur l'action publique territoriale à l'Assemblée nationale. Un texte qui par ailleurs instaure la Conférence territoriale de l'action publique dans lequel les collectivités de la montagne seront représentées. Jean-Pierre Bel, président du Sénat - et élu de l'Ariège - a souligné l'importance qu'auraient les groupements d'intérêt public interrégionaux qui seront autorité de gestion des fonds européens. "Cela touche directement la politique de la montagne puisque les GIP de massifs montagneux sont déjà constitués", a-t-il indiqué.
Les élus demandent enfin plus de souplesse dans l'application des normes. Marylise Lebranchu a acquiescé, appelant à "reconnaître la spécificité des territoires". Une reconnaissance qui passera aussi par une réforme des dotations. "Un chantier de longue haleine va bientôt devoir s'engager : celui de la réforme globale de la DGF. Qu'elle prenne plus en compte les charges d'aujourd'hui, au lieu de figer les ressources d'hier. Qu'elle incite moins à construire partout des zones pavillonnaires et favorise plus les communes où les élus ont le courage de se préoccuper de la préservation foncière et des mètres carrés précieux de demain", a indiqué la ministre. Les consultations débuteront "dans les prochains mois".

Nouvelle PAC

Autre cheval de bataille : la place de l'agriculture de montagne dans le cadre de la nouvelle PAC 2014-2020. D'après les orientations présentées par François Hollande le 2 octobre, plus d'un milliard d'euros seront redistribués vers l'élevage et les zones défavorisées (300 millions d'euros au titre de l'indemnité compensatoire pour handicap naturel). Mais l'Anem reste prudente, même si un groupe de travail Montagne a été associé à ce chantier. Jean-Pierre Bel s'est voulu rassurant : "Les changements qui vont être mis en œuvre sont très importants et très positifs." Le président du Sénat s'est par ailleurs engagé à veiller à ce que les élus soient consultés avec toute réforme du dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR), alors que ces dernières pourraient voir leurs exonérations à nouveau restreintes dans le cadre du budget 2014. Le sénateur de l'Ariège a également annoncé qu'un débat se tiendrait le 7 novembre au Sénat sur l'aménagement du territoire, le foncier et le développement économique en montagne. "Ce sera pour nous l'occasion de questionner la ministre de l'Egalité des territoires et du Logement sur les actions qu'elle entend mener pour promouvoir un développement équilibré de la montagne", a-t-il dit.
Le prochain congrès des élus de la montagne aura lieu à Chambéry, en Savoie, les 16 et 17 octobre 2014. Pour ses trente ans, l'Anem mettra la loi Montagne de 1985 sur la sellette. Beaucoup d'élus, dont Frédérique Massat, souhaitent une révision. "Il faut selon moi être vigilant et prendre le temps de la réflexion", leur a répondu Jean-Pierre Bel. Lors du Conseil national de la montagne, le 29 avril, le Premier ministre s'y était également montré défavorable.