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Laurent Davezies remet en cause "l'abandon des territoires"

Les territoires ruraux ont-ils été abandonnés par l'État ? Si la thèse a été fortement défendue par les gilets jaunes, Laurent Davezies s'inscrit en faux. Lors d'une conférence organisée le 10 juin 2021 par le Cner dans le cadre des "RDV du DEV&CO", l'économiste a montré que les inégalités interrégionales étaient en diminution depuis trente ans et que les métropoles, si elles concentrent la richesse, diffusent aussi du revenu alentour.

"S'il y a eu un abandon des territoires, ce n'est pas par l'État mais par leurs entreprises et populations." Lors d'une conférence organisée le 10 juin 2021 par le Cner dans le cadre des "RDV du DEV&CO", Laurent Davezies, économiste et spécialiste du développement territorial, balaie les idées reçues concernant les fractures territoriales, l'explosion des inégalités et l'abandon présumée des territoires périphériques, des thèses qui sont revenues au-devant de la scène avec le mouvement des gilets jaunes.

"Depuis quelques années, il y a une montée de ces différents thèmes de rejet de l'État ou de sa condamnation, sous des formes violentes, avec des revendications récurrentes, de plus de justice fiscale, de révolte contre les inégalités, a expliqué Laurent Davezies. Quand on voit cette suite de protestations, on est surpris, car on est dans un pays où les mécanismes de solidarité, les mécanismes redistributifs sont exceptionnels à l'échelle mondiale." C'est le thème qu'il défend dans son dernier ouvrage : "L’État a toujours soutenu ses territoires" (Seuil, mars 2021). Ces dispositifs tendent, selon lui, à réduire chaque année les inégalités. "Sur les trente années passées, les inégalités de revenus des ménages n'ont pas cessé de baisser", a insisté le professeur du Cnam, titulaire de la chaire "Économie et développement des territoires", précisant que dans le même temps les inégalités interrégionales de revenu disponible brut (RDB) par habitant ont elles aussi diminué. "Et dans le monde rural, dont on nous a dit qu'il a été abandonné, le revenu augmente plus rapidement que le revenu moyen des Français !", a souligné l'économiste, qui ne prend pas en compte les dernières années, avec les répercussions de la crise Covid-19.

"La métropole concentre la richesse mais diffuse ses revenus"

Autre donnée intéressante : le regain de ces territoires ruraux en termes de population. "On a découvert qu'en termes d'usage, le monde rural était plus habité aujourd'hui qu'il ne l'était avant. Le monde rural se repeuple, notamment avec les résidences secondaires. C'est la première destination des Français, via la famille, les hôtels, les campings… C'est un peuplement effectif, pas des résidences principales, qui est proche de ce qu'on connaissait dans les années 1950 et 1960. Aujourd'hui, il y a autant de cadres qui vivent en monde rural qu'il n'y a d'agriculteurs", a insisté l'expert, rappelant que cette mixité nécessitait de gérer parfois des conflits d'usages ou culturels (le fameux chant du coq pas toujours apprécié par les urbains...).

L'économiste ne nie pas l'hyperconcentration de la production de la richesse dans les territoires métropolitains. L'Île-de-France, par exemple, a vu sa part du PIB national passer de 27% en 1980 à 31% en 2015, avec un poids inchangé par rapport à la population nationale. Les métropoles concentrent 81% de la création de valeur et 85% des créations d'emplois. Mais ces métropoles "diffusent du revenu", a assuré Laurent Davezies, qu'il soit public ou privé. "Le mot de passe pour la croissance et l'efficacité productive est la concentration ; l'inégalité de répartition des activités c'est la méthode pour obtenir de la croissance, a-t-il assuré, mais cela permet de faire bénéficier les territoires alentour, les métropoles offrent du travail à des gens qui habitent autour d'elles, elles ont une vocation régionale, il y a un ruissellement autour, à 150 kilomètres. La métropole concentre la richesse mais diffuse ses revenus." Enfin, la dynamique des emplois publics est là pour compenser les plaies de la désindustrialisation dans les territoires, assure l'économiste. Une analyse qui vient à rebours de ce que concluait en mars 2021 l'Institut Montaigne pour qui le processus de métropolisation se ferait au détriment des territoires épars (voir notre article du 15 mars 2021)

Regain de l'industrie dans les périphéries des métropoles

Dernier point abordé par l'économiste : l'industrie. Si le secteur a connu des décennies de déclin - en particulier dans les territoires périphériques -, la situation, avant la crise Covid-19 commençait à se stabiliser, l'équation entre créations et suppressions d'emplois redevenant positive. Entre 2010 et 2016, d'après les données de l'Insee, 145.000 emplois industriels ont été détruits mais entre le troisième trimestre 2016 et le quatrième trimestre 2019, une création nette de 17.000 emplois a été enregistrée. "Aujourd'hui, l'industrie demande moins de main-d'œuvre, il faut en revanche du foncier pas cher, de la proximité avec les consommateurs et des infrastructures, ce dont dispose la France", a souligné Laurent Davezies, constatant le regain industriel dans les périphéries de métropoles, comme à Lyon ou Saint-Étienne. À termes, ce mouvement de réindustrialisation en zone périurbaine pourrait entraîner selon lui un étalement des métropoles. "Elles vont être beaucoup plus larges, et plus proches de cette typologie des zones de peuplement industriel et urbain* qui était utilisée avant par l'Insee, ou des systèmes territoriaux productivo-résidentiels, mais cela ne correspond pas à un découpage administratif. Ce sont des angles morts des politiques publiques."

* Le concept de zone de peuplement industriel et urbain (ZPIU) a été créé en France 1962 par l'Insee pour mesurer l’influence des unités urbaines sur les espaces ruraux qui les entourent et cerner ainsi la croissance des espaces périurbains.