Le Cese plaide pour une "reterritorialisation" de l'élevage

Alors que l'élevage s'enfonce dans une crise profonde, qui risque de s'aggraver avec l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, le Cese préconise un grand programme de réimplantation dans les territoires où il a disparu, en privilégiant les pratiques vertueuses pour l'environnement. Ce plan pourrait s'appuyer sur des programmes d'action régionaux, dans le cadre de la future PAC.

Depuis 1988 le nombre d'élevages en France a été divisé par trois. Et les élevages représentent près des deux tiers des disparitions de fermes en dix ans. Dans un avis intitulé "Relever les défis de l’élevage français pour assurer sa pérennité" adopté le 16 janvier, le Cese sonne le tocsin, à quelques jours de la présentation du projet de loi sur le renouvellement des générations en agriculture, annoncée pour le 24 janvier (voir notre article).

La crise a de multiples causes : effets du changement climatique en particulier pour les herbivores, nouvelles attentes sociétales, difficultés à dégager des revenus suffisants, pénibilité… "Cette situation se traduit par une véritable crise de renouvellement des actifs", en particulier pour les filières bovines (lait et viande) "qui furent longtemps des fleurons de notre agriculture", déplorent les rapporteurs Marie-Noëlle Orain, productrice de lait bio retraitée à Châteaubriant (Loire-Atlantique) et Anne-Claire Vial, agricultrice en polyculture installée dans la Drôme, présidente de l'Acta, association regroupant quelque 18 instituts techniques agricoles. Mais cette érosion rapide s'accompagne d'une concentration toujours plus grande, avec un nombre moyen d'animaux par exploitation qui augmente. En dix ans (2010-2020), le nombre de volailles par exploitation a progressé de 47%, celui des ovins-caprins de 41% et les porcs de 39%. Or les trois quarts de la production nationale sont aujourd'hui concentrés dans le quart Nord-Ouest.

Programmes d'action régionaux

"Le défi majeur est de maintenir le plus grand nombre de fermes de polyculture/élevage en France. Il s’agit aussi de réintroduire ce modèle dans les territoires où il a disparu", souligne le Cese qui préconise aussi un retour à des pratiques moins industrielles, plus durables, voire biologiques, plus en phase avec les attentes de la société. Parmi leurs douze propositions, les rapporteurs plaident pour "un grand plan national d’investissements et de transformation décliné au niveau territorial en s’appuyant notamment sur les Projets alimentaires territoriaux (PAT)", dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune pour 2027. Ce plan se traduirait en "programmes d'action régionaux" visant à accompagner les mutations nécessaires et mobiliser toutes les sources de financement, dont celles de régions (gestionnaires du 2e pilier de la PAC). Offrir la possibilité de "réimplanter des élevages là où ils ont disparu exige une mobilisation de tous les acteurs : élus, services de l’Etat, entreprises et artisans de l’amont à l’aval des filières, chambres d’agriculture, organisations professionnelles agricoles", soulignent les deux agricultrices, posant comme condition "indispensable" la présence d'abattoirs. De même que le déploiement de "services de remplacements" permettant aux éleveurs de se libérer du temps (pour une formation, des vacances, un mandat électif). Ce plan doit aussi servir à "favoriser les systèmes herbagers", "moderniser les bâtiments", "mettre en œuvre des actions d’éducation en faveur d’une alimentation diversifiée"…

Le Cese recommande par ailleurs de "favoriser les méthodes coconstruites d’évaluation des impacts climatiques et environnementaux des différents modes d’élevage" afin de "privilégier les types d’élevage vertueux à encourager". Et à l'échelle des exploitations, de mener des diagnostics sur la durabilité de l'élevage afin d'évaluer sa résilience dès l’installation et de proposer d'éventuelles adaptations nécessaires.

"10 euros le kilo d’agneau néo-zélandais contre 23 euros le kilo d’agneau français"

A l'heure où l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande va se mettre en place, le Cese demande de rendre opposables dans tous les accords de commerce bilatéraux des clauses sociales et environnementales. Des "clauses miroirs" défendues encore par le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau lors de ses vœux au monde agricole, lundi, mais qui pour l'heure s'apparentent plutôt à un miroir aux alouettes. "Dans le plus grand secret, l’Union européenne a autorisé une augmentation de 30% en dix ans du commerce entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande, séparées de 20.000 kilomètres, en supprimant tout ou partie des droits de douane entre les deux zones. Ainsi, à partir du printemps prochain, pourront notamment être exportées, chaque année, vers l’Union européenne 164.000 tonnes de viande ovine, 10.000 tonnes de viande bovine, 36.000 tonnes de beurre et 25.000 tonnes de fromage néo-zélandais", a dénoncé la députée de l'Hérault Nathalie Oziol (LFI), mercredi, lors d'un débat organisé à l'Assemblée à la demande du groupe LFI, en raison de l'inquiétude que suscitent ces accords. La députée a fait valoir que pour "pallier la baisse continue de la production laitière française et répondre à la demande, l’importation de produits laitiers n’a donc cessé d’augmenter". "Cet accord avec la Nouvelle-Zélande, pays considéré comme 'la laiterie du monde', ne pourra qu’aggraver ce phénomène." Selon l'écologiste Marie Pochon (Drôme), l'agneau importé représentera la moitié de la production française, à des prix imbattables : "10 euros le kilo d’agneau néo-zélandais contre 23 euros le kilo d’agneau français"…

Dans son avis, le Cese propose enfin de mieux sensibiliser et informer les consommateurs, avec des actions menées à l'école ou en faisant appliquer l'obligation de mentionner l'origine des produits, notamment pour les repas hors domicile ou les plats préparés.