Le Sénat revoit les modalités de la défense extérieure contre l’incendie

Dénonçant l’inertie gouvernementale, le Sénat a adopté en première lecture, le 15 mars, une proposition de loi réformant la défense extérieure contre l’incendie, qui accorde une plus grande place aux élus locaux. Le devenir du texte reste toutefois incertain : le gouvernement y est défavorable, préférant procéder à quelques aménagements par décret.

Le Sénat vient d’adopter en première lecture, le 15 mars, une proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie (Deci) à la réalité des territoires ruraux. Déposée par le sénateur Hervé Maurey (Eure, UC), elle reprenait à l’origine en grande partie le contenu de celle qu’il avait cosignée l’an passé avec son collègue Franck Montaugé (Gers, SOC), mais qui n’a pas prospéré. Elle s’inscrit dans la continuité du rapport que tous deux avaient rédigé il y a deux ans, qui dressait l’échec de la révision de 2011 (voir notre article du 27 juillet 2021). 

La Deci, un "irritant pour les maires ruraux"

"Outre le délai, jugé excessif, de mise en application de cette réforme, les difficultés des communes demeurent : une concertation avec les élus jugée inégale ; une couverture du risque défaillante ; une inadéquation entre les prescriptions et les risques réels, faute d'évaluation et d'adaptation aux spécificités locales", décrypte lors des débats Loïc Hervé (Haute-Savoie, UC), rapporteur du texte, qui voit dans la Deci, qui vise à garantir l'accès des Sdis (services départementaux d'incendie et de secours) à des points d'eau, "un irritant pour les maires ruraux". Il est vrai que "les coûts sont tels qu’ils absorbent l’essentiel de la DETR", observe Nathalie Goulet (Orne, UC). Dans leur rapport précité, les sénateurs exhortaient en conséquence le gouvernement à procéder à une réforme urgente de la Deci. Comme ils l’avaient alors annoncé, faute d’être entendus, ils ont pris les choses en main.

Un volet du Sdacr

Le texte initial a été grandement modifié en commission, puis en séance publique. En l’état, il fait du règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie (RDDECI) un volet du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr). "Il était incongru que les deux documents coexistent, sans articulation entre eux", alors que "la prise en compte des moyens et des difficultés des communes en matière de Deci doit être un élément de la stratégie des Sdis", explique Loïc Hervé.

Pour en finir avec l’insuffisante prise en compte des élus et des spécificités locales par les règlements actuels, dont certains sont vertement critiqués – singulièrement celui de l’Eure, "parfaite illustration d’une Deci coûteuse et pénalisante, qui plus est souvent inopérante", selon Kristina Pluchet (Eure, REP) –, les sénateurs proposent que les règles, dispositifs et procédures fixées par ce volet "tiennent compte, le cas échéant, d’un référent national […] et en les adaptant aux spécificités du territoire et aux différences objectives de situations dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales situées sur ledit territoire". "Il n’est pas concevable de demander aux communes rurales peu dotées une couverture identique à celle des communes urbaines", estime Hervé Maurey. Ce volet devra en outre favoriser "un équilibre et une complémentarité" entre les moyens déployées par les communes (et EPCI compétents) et par le service d’incendie et de secours.

Consultation élargie des élus

Les sénateurs élargissent par ailleurs le champ des élus consultés. D’abord en ajoutant explicitement "les maires des communes rurales" (et plus seulement "les maires") à la concertation que les services d’incendie et de secours (SIS) doivent conduire lors de l’élaboration de ces volets. Ensuite en prévoyant que le projet de révision du volet est transmis pour avis au conseil départemental et aux conseils municipaux des communes compétentes (et aux organes délibérants des EPCI compétents). Ces volets devront être révisés en même temps que le Sdacr, mais pourront aussi l’être à l’initiative du préfet, à tout moment. Ils devront également l’être dans l’année de publication de la loi si les règlements existants n’ont pas été révisés dans les cinq années précédant la promulgation de cette dernière.

Une commission départementale de suivi…

Plus encore, le texte prévoit l’institution dans chaque département d’une "commission de suivi de la défense extérieure contre l’incendie", chargée de favoriser l’adéquation entre les objectifs de couverture des risques et la création, l’aménagement et la gestion des points d’eau. Elle devrait procéder à l’évaluation régulière de cette adéquation et dresser un rapport annuel en faisant état, qui sera communiqué aux communes et EPCI compétents ainsi qu’au SIS. Il évaluera les conséquences du fonctionnement du service public de défense extérieure contre l’incendie en matière budgétaire, d’urbanisme et de développement économique et ce, "au regard de l’état de connaissance des conséquences climatiques sur le risque incendie dans le territoire concerné". Le conseil d’administration du SIS pourra également décider que ce rapport vaut évaluation du service public de la défense extérieure contre l’incendie.

… composée uniquement d’élus

La composition de cette commission (30 membres maximum) est arrêtée par le préfet, sur proposition des associations des maires du département (ou par dérogation par délibérations concordantes du conseil départemental, des conseils municipaux et organes délibérants des communes et/ou EPCI compétents). Seuls les membres des conseils municipaux des communes compétentes (et des organes délibérants des EPCI compétents) pourront être désignés, à l’exclusion des membres du conseil d’administration du service d’incendie et de secours. La répartition des sièges devra assurer la représentation démographique et géographiques des communes et EPCI compétents.

À noter par ailleurs que sur amendement de Franck Montaugé, le texte autorise le transfert de la police spéciale de la défense extérieure contre l'incendie vers les syndicats des eaux ayant déjà la compétence de la DECI.

Le gouvernement défavorable à la proposition…

Le devenir de cette proposition reste toutefois incertain, alors que le gouvernement y est défavorable. Tant sur le fond que sur la forme. Lors des débats, la ministre Dominique Faure, favorable à une meilleure articulation entre Sdacr et RDDECI et à une plus grande consultation des maires, a proposé de mettre ces mesures en œuvre par voie règlementaire (le RDDECI est de nature réglementaire aujourd’hui) "avant l’été". Elle s’oppose en revanche "à transformer la nature même du Sdacr", qui "doit rester un document stratégique, et non opposable". Recevant ici le renfort de Dominique Théophile (Guadeloupe, RDPI), qui salue l’ambition "louable" du texte, mais se dit "partagé sur la méthode". "Ce débat trouvera mieux sa place dans la proposition de loi de Jean Bacci visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie" (voir notre article du 13 janvier), estime-t-il.

Par ailleurs hostile à l’institution de la commission de suivi "alors que tous partagent le constat d’un trop grand nombre d’instances", Dominique Faure "propose que la Deci soit discutée au sein d’une instance existante, la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité", dont les compétences seraient élargies par décret. La ministre promet en outre un "guide de bonnes pratiques à destination des SIS sur le déploiement de la Deci" et un référentiel technique pour améliorer la synergie entre cette dernière et les règlements d’urbanisme.

… mais dont l’inaction est dénoncée

Les arguments du gouvernement n’ont toutefois pas convaincu. "Un renvoi par décret à la commission d’accessibilité, c’est tout ce dont nous ne voulons pas. Il y a trois maires et neufs représentants de l’administration ! On a fait mieux pour entendre les élus", moque Hervé Maurey. Le sénateur suggère en outre à la ministre de "parler avec M. Darmanin. J’ai un courrier de sa part, du 24 octobre, dans lequel il propose de créer une commission départementale spécifique". Par ailleurs, les promesses portent d’autant moins que l’inertie du gouvernement en la matière est dénoncée sans ambages. "Le gouvernement avait annoncé un audit par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Nous l’attendons toujours", tance Patrick Kanner (Nord, SOC), qui déplore "la déconnexion de l’exécutif sur le problème qui nous intéresse". "Les élus et le Sénat vous alertent depuis plusieurs années. Rien n’a bougé, nous attendons toujours le rapport que le gouvernement doit remettre au Parlement [prévu par la loi 3DS ; Dominique Faure a indiqué qu’il avait été transmis à la commission des lois, et le sera à l’ensemble des parlementaires]. Il est donc nécessaire de passer par la loi", ajoute Céline Brulin (Seine-Maritime, CRCE), pour qui "plus l’État abandonne ses missions, plus il se montre exigeant et procédurier". "Nous avons essayé plusieurs fois, dans les projets de loi de finances, de réserver des crédits pour la mise en conformité des Deci, en vain", dénonce encore Franck Montaugé, qui estime que l’état des lieux des réseaux de Deci "renvoie à la problématique des ponts" : "préoccupant", alors que "la responsabilité juridique des maires est en jeu". Monique de Marco (Gironde, EST) déplore toutefois que la proposition ne contienne "aucun instrument financer", sans lequel "toute initiative sera vaine".

Référence : proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l'incendie à la réalité des territoires ruraux.