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Ecole numérique - Les collectivités ne considèrent plus le numérique éducatif comme "une lubie du ministère"

Alors que la rentrée 2016 est l'occasion de nombreuses annonces sur le développement du numérique à l'école, Localtis a rencontré Mathieu Jeandron, directeur du numérique pour l'éducation au ministère de l'Education nationale. Après des débuts difficiles, le plan numérique pour l'école a incontestablement amélioré le dialogue entre l'administration centrale, les rectorats, et les collectivités. Et l'insertion du numérique dans les outils pédagogiques est une problématique de plus en plus partagée. Mais beaucoup reste à faire pour mettre en place les structures qui permettront d'héberger les services proposés aux élèves avec plus de sécurité et de fiabilité, sous l'égide des collectivités dont les compétences s'accroissent en ce domaine.

L'appel à projets "Collèges numériques et innovation pédagogique" a constitué l'occasion d'un approfondissement des rapports entre les collectivités et les services de l'Etat. C'est bien l'avis de Mathieu Jeandron, directeur du numérique pour l'éducation au ministère de l'Education nationale, qui constate que "les départements attendent que le ministère accompagne le sujet du numérique dans la durée". De son point de vue, "la création de la direction pour le numérique éducatif a été un premier signe fort pour eux". Et ce n'est pas fini car, comme il l'explique à Localtis, "les crédits apportés par l'Etat pour l'équipement numérique des collèges ne sont pas soumis à l'annualité budgétaire, ils sont inscrits au titre du PIA (Programme d'investissements d'avenir, ndlr). Les sommes promises sont dans les caisses. Nous avons encore à faire nos preuves sur les résultats concrets des appels à projet, mais ils ont cette vertu de renforcer le dialogue local entre académies et départements. Nous avons ainsi pu, malgré le contexte politique tendu, améliorer la qualité des échanges".

Aller au-delà du "tout-tablette"

Jean-Pierre Quignaux, conseiller pour l'Assemblée des départements de France (ADF) sur l'innovation et le numérique, confirme. "Si nous étions réticents sur la méthode des appels à projets, peut-être trop centrée sur l'équipement numérique des élèves, le dialogue s'est peu à peu assoupli et élargi : toutes les thématiques sont sur la table. Avec l'arrivée des délégués académiques au numérique (DAN), les appels à projets ont été l'occasion de mieux se connaître et d'apprendre à travailler ensemble", se félicite-t-il aujourd'hui.
Les annonces du début de l'année ont été monopolisées par l'équipement des élèves en tablettes (voir notre article du 13 septembre 2016 ci-contre). C'est la mesure phare du plan numérique pour l'école. Et elle s'est adjointe de l'engagement du président de la République François Hollande à généraliser la mesure vers tous les collégiens d'ici la rentrée 2018. Cependant, les chantiers du numérique éducatif sont bien plus larges, y compris sur le plan de l'équipement matériel des élèves.
"Le ministère commandite des projets de recherche sur 3 ans, portant sur le BYOD (Bring your own device, pratique qui consiste à permettre aux enfants d'utiliser leur propre équipement numérique au sein de l'école, ndlr), mais aussi l'usage de la robotique, ou encore des montres connectées en cours d'EPS", détaille Mathieu Jeandron.

La gestion de la classe est plus difficile avec le BYOD

Le ministère a ouvert la porte au BYOD dès la dernière vague de l'appel à projets 2016, sur la demande de collectivités intéressées. Le conseil départemental des Hautes-Alpes l'est particulièrement. "On nous a sollicités pour étendre l'équipement en tablettes au-delà de nos deux collèges pilotes, mais nous envisageons plutôt de tester un autre modèle, le BYOD, avec une expérimentation prochainement", nous indique Christophe Lombard, son directeur du numérique, des usages et des moyens. "Nous savons que le rectorat est réceptif, et l'appel à projets 2017 va ouvrir plus grand cette porte. Chacun réalise qu'il sera difficile financièrement de remplir les objectifs d'équipements en investissant régulièrement dans du matériel neuf et coûteux".
Du côté du ministère, les propos sont plus mesurés. Mathieu Jeandron souligne que le BYOD a des conséquences pédagogiques et techniques dont les collectivités n'ont pas forcément pris la mesure : "la gestion de classe est plus difficile ; le matériel étant hétérogène, l'enseignant doit passer par la virtualisation pour contrôler les machines. Il y a aussi des implications psychologiques que nous sommes en train d'éclaircir : apporter sa propre tablette n'équivaut pas pour le jeune à en utiliser une spécialement pourvue par la collectivité. Ce sont donc des projets qu'il faut particulièrement suivre et accompagner à la fois sur le plan technique et dans les pratiques pédagogiques".

Vers la transformation numérique du fonctionnement des établissements scolaires

L'appel à projets destiné à la rentrée 2017 - et déjà en gestation au sein du comité des partenaires pour le numérique éducatif - devrait également afficher de plus grandes ambitions quant à la transformation numérique du fonctionnement même des établissements scolaires. "L'idée est de mettre en place un dispositif permettant de réfléchir le collège en dehors des contraintes d'aujourd'hui", résume Mathieu Jeandron. "Cela peut contribuer à repenser des concepts fondamentaux de l'organisation d'un établissement : la disposition de la classe, mais aussi la salle informatique, ou encore le CDI" (centre de document et d'information, la bibliothèque des établissements secondaires, ndlr).
Du côté de l'Assemblée des départements de France, on plaide pour que les collèges ruraux soient les plateformes privilégiées de ces nouvelles expérimentations. "Comme ils sont souvent les moins équipés", remarque Jean-Pierre Quignaux, "ils constituent aussi des cas pratiques pour tester une nouvelle structure, et éviter l'empilement des systèmes d'information". Cependant, l'aide de 25 millions d'euros attribuée pour les collèges ruraux devrait aller, en priorité, à des travaux sur les réseaux de télécommunications. "Cette somme peut contribuer à une profonde rénovation d'un réseau local pour, par exemple, amener le wifi jusque dans les classes", observe Mathieu Jeandron. "Cela correspondrait par exemple à une subvention de 25.000 euros pour un millier de collèges, pour un montant par établissement de 50.000 euros de travaux après apport d'autres acteurs".


Transfert de compétences, transfert de coûts

Voilà donc un investissement qui, une fois encore, reviendrait à parité au département et à l'Etat. Or, la note du numérique éducatif ne cesse de s'allonger pour les collectivités, avec le transfert de compétences opéré des rectorats aux conseils départementaux, pour la gestion et la maintenance des réseaux informatiques des collèges. "Sur ce point aussi, les dialogues enclenchés via les appels à projets ont pu permettre de remettre les choses à plat", avance Mathieu Jeandron. En effet, il y a encore quelques temps, certains départements faisaient de la résistance. Désormais, un dialogue s'amorce pour que l'Etat cherche, avec les collectivités, des solutions innovantes de réduction des coûts.
Parmi les pistes potentiellement abordées, la charge subie pour l'abonnement des établissements scolaires aux offres d'accès à internet est peut-être mal calibrée à leur mission de service public. Mais pour Christophe Lombard, "le transfert de compétences pose de nouvelles problématiques en termes de marchés publics. Que ce soit pour acquérir un ENT (espace numérique de travail, ndlr), ou encore pour équiper les machines en anti-virus, un appel d'offre local n'aura jamais la même force de frappe qu'une démarche nationale".

"Le serveur dans le placard de l'école, ce n'est plus d'actualité"

Plus fondamentale encore, c'est la question de l'architecture des réseaux qui sous-tendent les activités numériques des établissements scolaires. "Le serveur dans le placard de l'école, ce n'est plus d'actualité ; on va entrer dans une logique de stockage à distance, et de machine virtuelle", assure Mathieu Jeandron. "Cela résout tant des enjeux de coûts de maintenance, que de sécurité et de disponibilité".
Pour autant, du côté des systèmes d'information, les choses n'avanceront pas aussi vite. "Il n'y a pas l'intention d'un Gosplan piloté depuis la rue de Grenelle, qui forcerait la fusion des systèmes d'information des lycées, des collèges et des écoles". Cependant, des opportunités se présentent pour l'amorce d'une harmonisation. "Avec la fusion des régions, on a parfois des zones qui héritent de trois ENT différents, et même de trois politiques numériques différentes. Même si les anciennes académies ne disparaissent pas, cela va sans doute inciter à une harmonisation, au niveau des lycées". Les nouvelles exigences pédagogiques sont, aussi, l'occasion de faire évoluer les systèmes d'information (SI). "Avec un livret scolaire complètement dématérialisé, et qui se destine à suivre l'enfant tout au long de son cursus, il faut évidemment que les informations puissent être transférées d'un système d'information à l'autre, sans perte".

Comment va-t-on construire le cloud éducatif de demain ?

Dans cette optique, le ministère invite les départements et les communes à travailler ensemble, pour mettre en place des synergies entre les SI des collèges et des écoles. L'appel à projets sur les collèges numériques tente ainsi d'esquisser des ponts avec la démarche des écoles connectées. Le chemin est cependant encore long pour correspondre aux ambitions d'un système éducatif réellement intégré aux territoires intelligents. "Les DSI des collectivités et des académies se rencontrent toujours plus, pour travailler ensemble, explorer de nouvelles pistes", souligne Jean-Pierre Quignaux, "mais la question reste entière : comment va-t-on construire le cloud éducatif de demain ?".
L'entrée des collectivités dans le jeu va sans doute, dans un premier temps, ouvrir de nouvelles pistes plutôt que préciser les perspectives. Ainsi, certains DSI plaident pour une adoption moins timide des outils grand public par le monde de l'éducation. Une démarche à laquelle le ministère pourrait être réceptif, en période de disette budgétaire. Le cloud est, en tout cas, clairement inscrit à l'agenda. Les annonces de Najat Vallaud-Belkacem, le 13 octobre à Chevilly-Larue, sont d'ailleurs allées dans ce sens. Plus de liberté d'expérimentation, et un encouragement net envers les collectivités à proposer des solutions cloud pour équiper les établissements scolaires de leurs secteurs.