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Transports - Les députés remettent leur rapport sur l'"éco-redevance" poids lourds

Court-circuité par des déclarations de l'exécutif, le rapport parlementaire sur l'écotaxe poids lourds a suivi un sinueux parcours jusqu'à sa présentation, ce 14 mai, par la mission d'information qui l'a patiemment élaboré depuis six mois. Une fin injuste au vu de son contenu, pertinent et construit à partir de retours des organisations professionnelles, des entreprises, des représentants de l'Etat, d'instances européennes et de collectivités, y compris de la région Bretagne.

Grand jour pour Jean-Paul Chanteguet ! Le 14 mai, le député socialiste de l'Indre et président de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale a présenté, seul, un rapport de 150 pages visant à "redonner du sens et à repenser en toute sérénité" le très épineux dossier de l'écotaxe poids lourds. Un rapport très attendu mais "remis à personne" et qui, au vu des tensions apparues entre exécutif et législatif (voir notre article du 4 avril sur la relance de la controverse par la ministre de l'Ecologie) - lesquelles conduiront certainement, selon ce député, à ce que François Hollande tranche au plus haut niveau sur ce dossier – a bien failli ne pas être présenté. S'y ajoutera, à la fin du mois, la remise du rapport de la commission d'enquête sénatoriale qui planche pour sa part sur un point précis du dossier, à savoir les modalités du contrat conclu entre l'Etat et Ecomouv pour la collecte de l'écotaxe. Si tout va bien, c'est une fois cette seconde pierre posée que le gouvernement fera son choix et prendra ses responsabilités au mois de juin, en visant un objectif de "conciliation", tel que l'a prescrit la ministre.
Pour resituer le "chemin raide et étroit" arpenté par sa mission d'information, Jean-Paul Chanteguet a souligné que la publication du rapport en question a été votée et autorisée de justesse, mais que sur le fond, l'Assemblée ne l'a pour l'instant ni voté ni adopté. D'ailleurs, ses propositions font débat et, de façon quelque peu incongrue, quatre députés bretons membres de la mission (mais opposés à ses conclusions) ont profité qu'elles soient présentées pour dévoiler les leurs. Ce contre-rapport critique le fait que la mission n'ait pas exploré des alternatives au dispositif mais l'ait au contraire conforté, en ne le retravaillant qu'"à la marge".

Treize propositions

C'est une marge généreuse alors, car la mission d'information parlementaire aligne tout de même treize mesures qui permettraient d'aménager un système "indispensable au développement des infrastructures de transport", répondant au-delà de l'aspect technique à un "véritable choix de société" et dans lequel "l'Etat est massivement engagé". "Les territoires et entreprises aussi : Ecomouv a investi 600 millions d'euros, sans oublier les six sociétés habilitées au télépéage", liste Jean-Paul Chanteguet, qui suggère pour commencer un changement de nom, en appelant l'écotaxe "éco-redevance", car "il ne s'agit pas d'un impôt supplémentaire mais d'une redevance d'usage de l'infrastructure routière".
En outre, "l'insuffisance de pilotage politique qui a caractérisé le dossier de cette éco-redevance" doit être rattrapée par un effort de pédagogie et de communication sur l'utilisation des recettes collectées, "en insistant sur les conséquences d'une éventuelle suppression". La mission propose surtout de créer une franchise de cette éco-redevance, techniquement réaliste, exprimée en euros et applicable par camion aux kilomètres parcourus dans le mois sur le réseau taxable. Une franchise qui "favorisera davantage les poids lourds circulant sur le réseau des régions périphériques, ainsi que les catégories de poids lourds les moins dommageables pour la chaussée et les moins polluants". Autre répercussion attendue : cela "allégera le coût pour les petits trajets et donc les petits transporteurs, qui ne peuvent structurellement pas bénéficier de report modal".
La mission propose aussi que les modulations du taux kilométrique de la redevance déjà prévu soient renforcées et ne tiennent pas seulement compte de la norme applicable dès maintenant (norme européenne Euro 6) mais aussi de la norme précédente et de la motorisation électrique (-30%).

Une marche à blanc cet automne

La mission a rappelé le film des événements : la mesure a été suspendue par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, fin octobre 2013, à la suite de mouvements de contestation particulièrement virulents en Bretagne, et ce alors qu'elle devait entrer en vigueur au 1er janvier 2014. Aujourd'hui, les parlementaires ambitionnent que débats législatifs et simplification-reprise des enregistrements techniques reprennent cet été, puis qu'une marche à blanc de trois mois s'opère fin septembre, en vue d'une mise en œuvre rôdée du dispositif au 1er janvier 2015. Une marche à blanc vue comme un réel exercice. "Elle serait nationale, nullement facultative mais obligatoire pour tous les poids lourds. Elle permettra ainsi une analyse fine des effets et conséquences de l'éco-redevance et de repérer les filières ou secteurs rencontrant des difficultés", éclaire Jean-Paul Chanteguet.
La mission propose aussi la création, en parallèle à la mise en place de la redevance, d'un fonds de modernisation visant à aider les transporteurs routiers à renouveler leurs flottes, prenant en cela exemple sur le voisin allemand, qui alimente un fonds comparable à hauteur de 550 millions d'euros par an.
Le rapport suggère également que la congestion de certains axes routiers soit mieux prise en compte par le dispositif de redevance et que son taux kilométrique puisse être relevé sur les axes "où un report modal ou autoroutier est possible". Une série d'exonérations est aussi abordée, notamment pour les véhicules de formation ou de conduite-école.
Répondant au sujet d'une régionalisation du dispositif – une piste finalement non retenue par cette mission parlementaire -, Jean-Paul Chanteguet a expliqué que cela serait impossible, pour plusieurs raisons : des "contraintes techniques", des risques de doublons entre circuits financiers et une difficulté par rapport au rôle de péréquation assuré par l'Etat.
Enfin, le député a fait une saillie très remarquée en proposant, sur le chantier connexe de financement des transports, que l'Etat rachète de façon anticipée les concessions autoroutières – une mesure tout de même évaluée à 15-20 milliards d'euros – et qu'il confie leur gestion via des "régies intéressées". "Sans être une nationalisation, ce serait la fin de la privatisation de la rente autoroutière, cela permettrait entre autres de dégager des marges de manœuvre pour le budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf)". Il a d'ailleurs  annoncé le lancement d'une mission d'information parlementaire pour étudier cette piste.