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Développement durable - Les grandes villes à l'heure post-carbone

La 15e conférence des villes organisée le 23 septembre à l'hôtel de ville de Paris par l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) était placée cette année sous le signe de la transition énergétique. Mobilité, habitat, urbanisme, solidarités, énergie, santé... : à deux mois de la conférence mondiale de Paris sur le climat, les élus urbains ont tenu à rappeler le rôle essentiel des métropoles dans les transformations à l'oeuvre.

"Métamorphoses urbaines. Les villes à l'heure post-carbone" : dans la perspective de la conférence de Paris sur le climat (COP 21), qui doit se tenir du 30 novembre au 11 décembre prochain, l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) a choisi ce thème comme fil conducteur de la 15e conférence des villes organisée le 23 septembre à l'hôtel de ville de Paris pour illustrer la place majeure des acteurs urbains dans les mutations en cours. "Nous sommes à un moment important pour réaffirmer le rôle des grandes villes, des métropoles, des agglomérations dans la croissance", a déclaré en ouverture Jean-Luc Moudenc, président de l'AMGVF, maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole, avant d'annoncer la fusion au 1er janvier prochain de l'AMGVF et de l'Association des communautés urbaines de France (Acuf) présidée par Gérard Collomb, président de la métropole de Lyon. "Nous avons depuis plusieurs années un destin partagé, a-t-il souligné. Nous sommes souvent sollicités sur les mêmes questions et nous avons pris l'habitude de travailler ensemble. Il s'agit de donner une nouvelle impulsion pour faire reconnaître le fait urbain. Nous allons désormais représenter 27 millions d'habitants."

Reconnaissance du "fait métropolitain"

"Nous sommes à un moment de l'histoire de notre pays où on reconnaît le fait métropolitain", a affirmé pour sa part Anne Hidalgo. Pour la maire de Paris, "l'avènement des grandes villes doit nous amener à faire un pas de plus vers l'acte de décentralisation". "Je n'accepte plus que l'on parle de nos villes comme si nous étions la source des problèmes alors que nous sommes une solution, a martelé l'élue qui milite pour un nouveau statut de Paris. Il faut que nous nous engagions dans une relation de confiance qui doit passer par la contractualisation." Une opinion relayée par Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui estime que "la France de demain ne sera plus construite sur un rapport d'autorité mais sur le contrat".
Anne Hidalgo a rappelé qu'en parallèle à la COP 21, un millier de maires du monde entier doivent se retrouver le 4 décembre à Paris pour soutenir la conférence. Car si les grandes décisions se prennent au niveau des Etats, "la partie très opérationnelle se fait au niveau local", ont souligné les participants à la conférence des villes. Alain Juppé, maire de Bordeaux, a souhaité pour sa part que la COP 21 parvienne "à un accord ambitieux et contraignant". Il a toutefois appelé la population, les ONG, les villes et collectivités, à se mobiliser, "parce que l'expérience prouve que si nous n'exerçons pas une forte pression sur nos gouvernements, la solution de facilité sera peut-être de renvoyer à plus tard des décisions qui s'imposent aujourd'hui".

Lutte contre le dérèglement climatique : un besoin d'innovation

En introduction des tables-rondes de la conférence des villes, Jean-Luc Moudenc a rappelé que cette dernière était l'occasion de marquer "la continuité entre les collectivités territoriales et les entreprises autour de la conduite des politiques publiques" et permettait d'offrir une "vitrine des initiatives" qu'elles menaient conjointement. L'édition 2015 a commencé par une table-ronde sur les compétences des collectivités en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Partant de l'exemple francilien, Francis Chouat, maire d'Evry et président de la communauté d'agglomération Evry Centre-Essonne, a insisté sur la responsabilité des élus. "Si l'heure est à l'organisation d'intercommunalités fortes, il faut avoir le courage de dire que les grandes politiques publiques comme la transition énergétique s'exercent à l'échelle d'un territoire organisé. Il faut fixer les objectifs et se saisir des compétences dévolues par la loi." Philippe Rapeneau, président de la communauté urbaine d'Arras, a lui plaidé pour que l'Etat laisse les territoires innover : "Nous voulons un droit à l'expérimentation." Au regard de l'expérience alsacienne sur le réseau ferroviaire, Robert Hermann, président de l'eurométropole de Strasbourg, s'est dit pour sa part confiant dans les nouvelles relations avec les futures grandes régions, qui seront chargées de l'élaboration des schémas d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. "Dès lors que l'on a un objectif partagé, il faut un schéma cohérent." "Ce qui nous guide, c'est le principe 'penser global, agir local', a ajouté Philippe Rapeneau. La région fixe les objectifs et doit ensuite dialoguer avec les territoires en tenant compte de leurs spécificités pour les co-financements". Pour Laurence Lemouzy, directrice scientifique de l'Institut de la gouvernance territoriale et de la décentralisation, "il faut une révolution culturelle dans la façon d'aborder les politiques publiques. La bonne gouvernance, c'est l'expérimentation, l'adaptation, la participation" et la recherche de "l'harmonie".

Mobilité : conforter les moyens des transports publics

Le deuxième grand thème en lien avec la COP 21 abordé au cours de la conférence des villes a été la mobilité, et plus précisément les modes alternatifs à la voiture solo. Jean-Claude Boulard, sénateur-maire du Mans et président de Le Mans Métropole, a plaidé pour la poursuite du développement du transport collectif. Il a présenté un projet de résolution pour demander "à l'Etat de maintenir l'assiette du versement transport (VT) essentielle [à leur] financement". Le gouvernement envisage en effet de relever de 9 à 11 salariés le seuil de prélèvement du VT. Une modification d'assiette qui réduirait de l'ordre de 500 millions d'euros l'enveloppe de financement des transports, pointe l'AMGVF. Pour Christophe de Maistre, président de Siemens France, "on peut faire mieux avec moins de moyens" en baissant notamment les coûts du matériel roulant, qui sont "20 à 30% plus élevés" en France en raison de "l'empilement des normes". Les partenariats public-privé (PPP) permettent aussi selon lui de "faire des projets à des prix compétitifs" et peuvent être encadrés "de façon intelligente". "Ce n'est pas demain que les choses vont bouger côté normes !", a rétorqué Jean-Claude Boulard. "En revanche, c'est demain que le versement transport risque de diminuer. On ne demande pas davantage de moyens pour le transport collectif mais que l'on maintienne les moyens existants." "Ce serait un hold up si on nous piquait 500 millions d'euros", a ajouté Dominique Gros, maire de Metz, déjà très remonté contre l'abandon de l'écotaxe. "En Lorraine, l'écotaxe est pour nous une évidence car notre territoire est traversé par des milliers de camions qui ne s'arrêtent même pas pour acheter un sandwich."

Réduire la place de la voiture dans les déplacements pour respirer mieux

Plusieurs solutions ont été évoquées pour développer les alternatives aux déplacements automobiles. En Ile-de-France, où la moitié des kilomètres parcourus se fait encore en voiture, "il y a encore des marges de manœuvre pour les transports publics", a rappelé Elisabeth Borne, P-DG de la RATP. "L'objectif est de combiner modes lourds et solutions de rabattement, en incluant l'économie du partage, le covoiturage pour proposer l'offre la plus fluide pour les utilisateurs", a-t-elle expliqué. L'opérateur des transports franciliens affiche aussi des ambitions élevées en matière de lutte contre la pollution. En 2025, sa flotte de bus devrait être composée de 80% de véhicules électriques et de 20% de véhicules roulant au biogaz.
Plusieurs entreprises ont aussi livré leur témoignage. Le groupe Casino assure l'approvisionnement de ses magasins parisiens par la voie fluviale et par des camions "propres" pour les derniers kilomètres de livraison. 450.000 kilomètres de déplacements routiers sont ainsi économisés chaque année. Mc Donald's France a de son côté obtenu une dérogation administrative temporaire pour faire rouler pendant cinq ans 17 de ses camions avec des huiles de fritures usagées transformées en biocarburant. "La baisse des émissions a été de l'ordre de 20 à 50% selon les types de polluants."
Alors que la pollution de l'air est citée comme le sujet de préoccupation numéro un des Français en matière d'environnement, il reste encore beaucoup d'efforts à faire. "On note une baisse des principaux indicateurs de pollution mais dans les grandes agglomérations, des millions d'habitants vivent dans des zones qui dépassent les valeurs limites", a rappelé Emmanuel Rivière, directeur adjoint d'Atmo Alsace, membre associé d'Atmo France, réseau d'associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air. Certaines grandes agglomérations ont pris le problème à bras le corps. C'est le cas de Grenoble : en plus d'une politique de forte promotion du vélo (+30% de locations en 18 mois), le maire de la ville, Eric Piolle, a rappelé la généralisation des zones 30 à l'échelle de la quasi-totalité des communes composant la métropole grenobloise (lire ci-contre notre article du 17 septembre 2015). Le président du groupe La Poste, Philippe Wahl, a pour sa part mis en garde les élus sur le "paradoxe des villes pionnières en matière de politique de transport public des personnes". Il les a appelés à la vigilance car selon lui "l'espace libéré risque d'être absorbé par croissance extrêmement rapide du transport de marchandises".

Rénovation énergétique : secouer l'inertie des collectivités

En termes de rénovation énergétique du bâtiment, le défi est dans l'ancien. Le président de Rennes Métropole, Emmanuel Couet, s'est dit optimiste au vu des progrès réalisés en termes d'efficacité énergétique dans le neuf. Sa préoccupation porte sur les logements anciens. Sa collectivité n'est pourtant pas inactive dans le domaine et aide les copropriétés et l'ingénierie. Mais depuis la loi Grenelle 2, qui a fixé un cap pour accélérer la réhabilitation énergétique des 8 millions d'appartements du parc privé français gérés en copropriété, les travaux restent rarement réalisés et les verrous nombreux à faire sauter. Les trois quarts d'entre eux sont dans des immeubles construits avant la première réglementation thermique de 1974. Leurs habitants sont dans le flou complet. Du côté des collectivités locales, l'accompagnement reste donc la clé. S'appuyer sur les bons acteurs locaux aussi, en vue de convaincre sans forcer, et de rénover sans se ruiner.
"Car le frein est avant tout économique", dit l'élu rennais. Il ajoute qu'"avec un retour fiscal de cinq-six ans sur les aides mobilisées, un modèle économique a été trouvé dans le neuf ; mais pas dans l'habitat ancien, où un temps de retour sur investissement sur vingt-trente ans n'est guère satisfaisant". "Dans la rénovation de l'ancien côté tertiaire, l'équilibre n'est pas loin d'être atteint", tempère Luc Rémont, président de Schneider Electric France. Côté habitants, les experts estiment en effet qu'à plus de 8.000 euros de travaux par logement en copropriété, un blocage se crée. Or, en rénovation énergétique, la barre des 30.000 euros est vite atteinte...
Pour financer les travaux sans avance de fonds, le tiers-financement sera-t-il la solution miracle ? "Un problème perdure avec le tiers-financement. Il faut que les régions peaufinent son modèle économique. L'Ile-de-France, avec sa société d'économie mixte (SEM) Energie posit'IF, a pris de l'avance. Nous travaillons avec une demi-douzaine d'autres, comme le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie, pour faire avancer les choses", a indiqué Marc Abadie, directeur du réseau et des territoires au sein de la Caisse des Dépôts.

Décentralisation énergétique : les producteurs sont-ils prêts ?

Une autre table-ronde a réuni des élus et producteurs d'énergie autour de la question de la décentralisation du modèle énergétique. "Je réclame régulièrement, par voie d'amendement, que soit admis un droit à l'expérimentation des collectivités en matière de production énergétique décentralisée. Cela paraît simple et cela marche. Les coopératives citoyennes énergétiques fonctionnent très bien à l'étranger. Mais systématiquement cela soulève des oppositions. Le blocage est politique", estime Chantal Jouanno, sénatrice de Paris. Les énergéticiens, eux, se disent prêts à fournir des solutions. "Nous nous sommes restructurés en interne à Engie (ex-GDF Suez) et l'une de nos cinq lignes métiers est justement consacrée aux solutions décentralisées pour les villes et territoires", glisse Olivier Biancarelli, directeur projet métier chez Engie. Entre réseau centralisé et production plus locale, EDF croit à la complémentarité, "pour l'électricité comme pour la production de chaleur", dit Jean-Noël Guillot, à la tête de la direction des projets territoriaux d'EDF. Et un élu, délégué à l'écologie urbaine de la mairie de Dijon, vice-président du Grand Dijon en charge de l'environnement, de les interpeller : "Vous, les producteurs, dégainez toujours, comme sur catalogue, des solutions ! Mais cela ne satisfait plus toutes les collectivités. Elles veulent que les besoins partent du territoire. Il vous faut basculer d'une logique de l'offre à une logique d'accompagnement de la demande."

 

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