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Les nouveaux grands stades n'ont pas tenu leurs promesses

Capacité souvent surdimensionnée par rapport à la moyenne d'affluence, difficultés d'accès, sous-estimation du coût pour le secteur public, poids des charges liées aux contrats de partenariat… Les nouveaux stades du football français n'ont pas vraiment répondu aux "espérances initiales", analyse le chercheur Jérémy Moulard dans un travail original mené dans le cadre d'une thèse de doctorat.

Les nouveaux stades français constituent "une économie de pertes" et ont "un impact final très éloigné des espérances initiales". Telle est la conclusion générale de la thèse de doctorat en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) soutenue fin 2018 à l’Université de Rouen-Normandie par Jérémy Moulard et intitulée "Nouvelle ressource et évolution du business model : une équation à plusieurs inconnues. Le cas des nouveaux stades du football français", qui vient d'être mise en ligne.

L'objet de la thèse était d'évaluer et d'expliquer l’impact économique des nouveaux stades sur l’écosystème du football professionnel français. Entre 2008 et 2016, en effet, treize nouvelles enceintes ont été construites ou rénovées, avec une participation de plus de deux milliards d’euros de fonds publics, dans le but de permettre l’évolution des modèles de revenus des clubs et, en parallèle, la baisse des subventions publiques qui leur sont versées.

Surdimensionnement

Selon ce travail original, une première raison de l'éloignement des espérances initiales tient dans la capacité souvent surdimensionnée des stades, puisqu'elle est en moyenne plus élevée de 20.500 places par rapport à l'affluence moyenne des clubs résidents durant les quinze années précédentes. L'auteur rappelle à ce sujet qu'"en 2007 et avant les nouveaux stades, la moyenne d’affluence en Ligue 1 était de 21.940 spectateurs, en 2017, dix ans et treize stades plus tard, elle est de 21.208 spectateurs (-3,3%)". "Avec du recul, certains clubs éprouvent du regret sur le calcul de ces jauges", ajoute-t-il. Et cela est d'autant plus vrai que le bassin de population, et donc le public susceptible de se rendre au stade, est peu élevé : "Cinq des sept clubs de notre étude disposent de moins de 28 clients pour une place de match, les chiffres descendent à 13 à Saint-Etienne et à 12 au Havre." Globalement, l'auteur estime que "le surcoût représenté par la surcapacité des stades […] peut être évalué à hauteur de 107 millions d’euros".

Mais le surdimensionnement des stades n'est pas la seule explication de l'écart entre les espérances et la réalité en termes de fréquentation. L'accès à l'équipement est régulièrement pointé du doigt, comme à Bordeaux où Gérard Chausset, président du groupe Europe Ecologie-Les Verts à la communauté urbaine, a témoigné : "L’emplacement du stade en lui-même est un vrai problème. Je me suis longtemps battu contre le lieu choisi pour sa construction. On l’a mis dans un cul-de-sac, ça n’a aucun sens." Résultat : une seule ligne de tramway qui ne peut évacuer que 9.000 personnes par heure et de "nombreux bouchons". Même constat à Nice : "Situé en périphérie, en bordure d’autoroute, sans aucun transport public aux alentours, l’enceinte est difficilement accessible", estime l'auteur. En résumé, dans les nouvelles constructions, excentrées des centres-villes, l’investissement en réseaux routiers et en parking a demandé un engagement de plus de 140 millions d’euros pour limiter les problèmes d’accès (à Lille et Lyon). En revanche, sans investissement conséquent, de nombreuses limites d’accès sont identifiées (à Nice, Bordeaux, Le Havre).

Surcoûts

Le chapitre le plus attendu de la thèse est bien entendu celui qui aborde le coût des nouveaux stades, essentiellement financés par des fonds publics. Ici, ce qui saute aux yeux, ce sont les surcoûts par rapport aux prix initialement prévus : +30% à Saint-Etienne, +25% à Nice, +45% à Lille. Le point commun entre ces trois projets ? Le club résident n'a pas participé au financement. Car quand le club co-investit (à Paris, Bordeaux et Le Havre), le budget initial est respecté.

Autre aspect du coût des stades pour le secteur public : les redevances payées par les clubs résidents. Dans les cas où les clubs étaient absents de la programmation, la collectivité finance aujourd'hui entre 53 et 85% du prix total du stade et pourrait être amenée à en supporter seule le coût de fonctionnement si le club résident venait à disparaître. "Il est notable de remarquer le montant important des stades en PPP [partenariats publics-privés] qui force les collectivités à prendre en charge plus de 11 millions d’euros de charges par an durant plus de trente ans", souligne l'auteur. Le comble est sans doute à chercher du côté des clubs résidents. Car s'ils bénéficient de nouveaux outils de travail largement financés par des fonds publics, leur modèle économique n'en a pas toujours été amélioré. "Dans certains cas, le déficit d’exploitation est plus important avec le nouveau stade qu’avec l’ancien. Un premier échec qui est renforcé par l’implication financière, toujours importante, des collectivités publiques au sein des structures qui ambitionnaient pourtant de réduire leurs subventionnements", résume l'auteur.

PPP toxiques

A propos des PPP toujours, la thèse de Jérémy Moulard pointe les "nombreuses critiques" dont ils sont la cible. "Sur le moyen terme, écrit-il, [ces contrats] se révèlent être des éléments toxiques pour les finances publiques." Et l'auteur de prédire qu'après que le gouvernement britannique a acté la fin de ces schémas en septembre 2018 – en raison notamment d'un "tsunami de surfacturation" –, une décision identique "pourrait également être prise par ricochet en Hexagone d’ici quelques mois".

Mais par quoi remplacer les PPP qui, malgré leurs défauts, ont permis la construction ou la rénovation de nombreux grands stades en France durant la dernière décennie ? L'auteur évoque la piste des "avantages fiscaux" et du "mécénat" pour permettre "l’implication d’organisations diverses" tout en jugeant "nécessaire de renforcer le leadership public pour contribuer à rééquilibrer la relation de pouvoir avec le secteur privé". Quant au "financement 100% public des infrastructures structurantes", cela nécessiterait de "miser sur la pertinence et l’intérêt social" des équipements et de "s’entendre sur la fonction structurante que nous voulons donner au sport qui se pratique et au sport qui se regarde".